Femmes, femmes, femmes…

En marge du Festival de Cannes, à l’affiche en ce moment, de très bons films sur des destins singuliers de femmes. Admirables portraits derrière lesquels se cachent l’oppression, la souffrance, le féminisme, le rire aussi.

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Je danserai si je veux, de Maysaloun Hamoud

Ce premier film s’inspire de la vie de la réalisatrice et débute comme un film sur la jeunesse, avec les fêtes, les colocations, les cigarettes… Deux amies partagent le même appartement, Layla avocate émancipée et Salma DJ qui travaille en cuisine. Arrive une troisième, Nour, Palestinienne d’origine Israélienne ; elle porte le voile et devrait se marier à un homme choisi par sa famille « L’amour vient ensuite » lui dit-on.

Un film féministe

Je danserai si je veux nous parle d’une émancipation. Du combat de celles qui veulent affirmer leurs choix dans une société qui les condamne. Dans la colocation, elles vivent une forme de complicité qui fait leur force. Pas de manichéisme dans ce film, puisqu’à la fin, Nour, - qui continue de porter le voile -, a refusé un mariage forcé et choisira désormais qui elle veut aimer. Le stratagème utilisé par ses amies pour l’aider à s’affranchir et à décider de son bonheur est un passage très fort. Un chemin reste à parcourir pour ses femmes arabes israéliennes. Le rythme, les changements qui s’opèrent au fil des images, font de ce film une œuvre féministe d’aujourd’hui.

Une famille heureuse, de Nana Ekvitmishvili et Simon Gross

Nous sommes en Géorgie. Dans un appartement où vivent sept personnes, on se prépare à fêter l’anniversaire de Manana, la mère âgée d’une cinquantaine d’années. Dans cette famille patriarcale de Géorgie, comme dans la plupart, il est admis qu’une femme ne peut rien faire sans les hommes. Néanmoins, c’est sur elle que reposent les tâches quotidiennes ; faire les courses, attendre les invités qui se sont « invités » ce soir-là. Sourire, être à l’écoute et au service des uns et des autres.

Une renaissance

Manana n’en peut plus de jouer ce rôle et quitte la maison sans explications pour s’installer dans un modeste appartement où elle pourra enfin vivre sa vie ; écouter du Chopin, se nourrir de pâtisseries si elle n’a pas envie de cuisiner. Cela provoque des remous parce qu’elle affirme sa différence dans une société où pour des raisons culturelles, on vit en famille et où l’individu ne compte pas. A plusieurs reprises, par la fenêtre le vent qui souffle dans les branches et symbolise sa nouvelle renaissance.

A mon âge je me cache encore pour fumer, de Rayhana Obermeyer

Fatima a l’habitude de prendre un peu de temps pour elle avant d’ouvrir son hammam ; cela lui permet de griller une cigarette et de s’isoler d’un mari violent. Une autre femme, Myriam arrive en larmes. Elle est enceinte ; son frère, qui se sent déshonoré, la cherche pour la tuer. Fatima se propose de la cacher dans ce lieu interdit aux hommes. Ce film est issu d’une pièce de théâtre au titre éponyme qui avait obtenu un vrai succès et des menaces pour l’auteure Rayhana Obermeyer.

A l’ouverture du hammam, d’autres femmes arrivent et chacune y va de son récit dans ce lieu clôt ou les soins du corps permettent un relâchement de la parole et des douleurs enfouies.

Retrouver la parole

Le dispositif de mise en scène est simple, et ce qui émerge du film est le courage des femmes à vouloir mettre des mots sur leur situation et les oppressions qu’elles subissent. Nadia vient de divorcer et ne cache pas sa joie. Une autre femme fait le récit de sa nuit de noce avec un ami de son père alors qu’elle n’avait que dix ans.

Au Festival Premiers Plans à Angers, Rayhana et la productrice Michèle Ray Gavras expliquaient, que pour des raisons de censure, le film censé se passer en Algérie avait été tourné dans un hammam à Carthage alors que « Z » de Costa Gavras sur les colonels grecs (sujet brûlant en Grèce) avait été tourné en Algérie...

Aurore, de Blandine Lenoir

Le film de Blandine Lenoir, cinéaste française traite de la période troublante de la cinquantaine chez la femme. Aurore est en pleine ménopause ; elle est séparée, n’a plus de travail et sa fille est enceinte. Pas de quoi rêver ! Dans une société obsédée par la réussite il y a mieux.

La réalisatrice choisit de traiter sur le mode humoristique, les questions de l’amour, du travail et de l’impression de rejet (pas seulement l’impression d’ailleurs) par la société de cette femme admirablement interprétée par Agnès Jaoui.

A tout âge, le désir amoureux

Le film fonctionne avec l’audace de la comédie subtile en alternant des gags exploités de façon répétitives comme l’entretien à Pôle emploi et des instants de tendresse à l’instar de cette scène où une vieille dame pétillante se souvient de sa joyeuse et très récente vie sexuelle.

Film sur la difficulté d’être, Aurore réussit avec optimisme à montrer que la féminité existe quel que soit l’âge. Et le prénom du titre n’est pas anodin. Aurore se décline en renouveau possible, en désir amoureux retrouvé et en solidarité combative.

Certaines femmes, de Kelly Reichardt

Enfin Certaines femmes (adapté de trois nouvelles de Maile Malcy) dresse le portrait de trois femmes. La première est aux prises avec un client obsédé par l’idée de poursuivre son employeur qui l’a licencié après un accident de travail. La deuxième, épouse et mère de famille, voudrait construire une maison avec les vestiges d’une école d’autrefois sur le terrain d’un vieux fou. La troisième, palefrenière d’origine indienne, noue une relation avec une juriste qui forme des personnes en situation de précarité.

Film sur le désenchantement, Certaines femmes invite à réfléchir à comment ces femmes peuvent aujourd’hui trouver leur place sur le territoire américain hanté par son passé et déserté au présent. Difficulté de se comprendre. Précarité professionnelle et relationnelle. Solitude.

L’Amérique désenchantée

Filmé en demi-teinte, Certaines femmes est un film qui respire, n’hésite pas à affronter le silence (en dehors même d’un cinéma américain souvent tapageur). Un ciel pesant comme un couvercle, un espace rétréci autour des personnages, comme si la société américaine avait aujourd’hui un horizon limité. Quelque chose du récit de Kelly Reichardt donne une vision délabrée du monde actuel où les personnages isolés, des femmes, ne trouvent pas encore de quoi se réchauffer. Elles attendent peut-être un jour nouveau où des liens pourront enfin se nouer.

Peut-être.

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