Etalans : les recettes d’un déclic pour le lien social

Issu de l'association locale Familles rurales, le dispositif Décliic est la base d'un processus de réappropriation du lien social et de l'engagement sur un petit territoire de 3500 habitants de dix villages entre la vallée de la Loue et Valdahon. De micro-initiatives apportent de la vie, du café-tricot à la table des amis, du jardin partagé au café-citoyen (photo).

etalans

Quel bonheur de parler de son métier à qui a envie d'en connaître quelques ressorts peu fréquemment mis en évidence ! D'échanger avec qui veut aller un peu plus loin que le mythe et les idées reçues, avec qui apprécie d'en débattre... C'est ce que l'auteur de ces lignes a vécu mercredi 3 février en inaugurant le premier café citoyen organisé par Décliic à la Caf' des talents à Étalans, village de 1300 habitants du second plateau du Doubs.

« Savoir lire la presse », le thème retenu, permet un très utile dialogue entre lecteurs et journaliste en ces temps de déferlement continu de messages où il n'est pas toujours aisé de distinguer l'information de la communication, voire de la propagande ou du délire complotiste.

Cela permet aussi d'aborder les conditions de production du journalisme, d'insister sur l'importance des technologies et de l'économie, de souligner la nécessité de l'éducation aux médias notamment aux âges scolaires, de constater que l'actuel niveau élevé de connaissances n'a sans doute jamais été autant partagé. Même si, comme le faisait remarquer une participante, tout le monde n'est pas égal face au choix entre médias de masse et médias pour citoyens exigeants.

Marie-Pierre, engagée dans Familles rurales et Décliic...

 

Ce café citoyen se veut « un lien pour rassembler les gens du territoire, un espace itinérant d'expression et de débat », souligne Laurent Amiotte-Suchet qui anime la Grange-Culture de Guyans-Durnes. Ce café qui n'est pas vraiment un bistrot mais où l'on peut boire un coup et parler, en appelle d'autres. Il n'est pas arrivé  comme un cheveu sur la soupe sur ce petit territoire de vie situé entre la vallée de la Loue et la petite ville de Valdahon. Il est comme la petite pierre supplémentaire d'un cairn, ce petit monticule de cailloux qui indique le chemin sur les itinéraires de haute montagne. Car Décliic n'en est pas à son coup d'essai. Vous aurez remarqué les deux i qui signifient incubateur d'initiatives.

 

Sur le logo, ils sont inversés, histoire de suggérer le mouvement d'un shaker à cocktail... On trouve donc pèle-mêle un jardin partagé, un café-tricot, un café-poussette, une table des amis, un festi-marché... Ce sont des micro-projets nés de l'expression d'un besoin ou d'un désir, et rendus possibles par l'implication de ceux-la même qui les ont exprimés autant que par le soutien logistique, technique ou institutionnel de Décliic.

Emploi-jeune en 1999...

Mais qui est Décliic ? C'est un collectif né en 2012, juridiquement « porté par l'association Familles rurales d'Etalans », explique Stéphane Normand. Embauché en 1999 comme emploi-jeune, un dispositif créé par le gouvernement Jospin, sur le péri-scolaire, il fut le premier salarié de l'association. Elle emploie aujourd'hui quinze personnes et il en est le directeur à mi-temps. Il est coordinateur de Décliic sur l'autre mi-temps.

Le projet remonte à 2010 quand l'association décide de réaliser un diagnostic du territoire où 3500 personnes vivent dans une dizaine de communes. Titulaire d'un master DESJEPSDiplôme d'Etat supérieur de la jeunesse, de l'éducation populaire et des sports, Stéphane Normand mène alors une centaine d'entretiens en 2011 avec des élus, des professionnels de santé, des paysans, des habitants de toutes les générations : « je posais une question : comment voyez-vous votre territoire en 2020 ? » Les réponses sont croisées avec des études de l'INSEE, des analyses sociologiques nationales.

Stéphane Normand et Anne Grosso devant ce qui fut la maison du directeur, le premier coordonne Décliic, la seconde anime le café associatif. Au fond, la maison d'accueil spécialisée.

 

Il en ressort une « matière première » que Stéphane restitue à un groupe de réflexion d'une trentaine de personnes qui se réunit quatre fois. « L'objectif était de parvenir à un diagnostic partagé sur quatre thèmes. Sur le premier, la petite enfance, on a relevé un problème de garde ». Le dynamisme démographique du secteur, qui voit l'installation récente de frontaliers, au carrefour de trois zones d'emplois (Besançon, Morteau, Pontarlier), révèle « un manque de professionnels de santé : des nouveaux habitants étaient refusés par les médecins qui soulevaient le problème depuis 1998... »

« Alors on a dit : il y a des choses à inventer, qui veut continuer ? »

La question des liens sociaux est vite posée, notamment par les anciens qui, autrefois, se voyaient aux cafés aujourd'hui presque tous disparus, à la coulée disparue également avec le ramassage du lait, à la sortie de la messe maintenant moins fréquentée. « Certains évoquent les veillées qui ont été stoppées par la télé... » On aborde enfin la façon dont le vieillissement est envisagéé : « les clubs du troisième âge sont en décalage avec les seniors d'aujourd'hui. Il y a plus de 120 plus de 60 ans, mais seulement 15 adhérents au club dont les responsables ont parfois du mal à entendre que tous n'ont pas forcément envie de jouer au tarot. Beaucoup veulent bien donner un coup de main, mais pas s'engager... »

La même question revient dans tous les domaines : l'engagement. « C'est à la base de la construction Décliic », dit Stéphane Normand. « A la fin des réunions, les gens disaient : on cause, mais qu'est-ce qu'on fait ? Alors on a dit : il y a des choses à inventer, qui veut continuer ? Une vingtaine de personnes étaient d'accord. Si on avait posé la question dès le départ, on n'aurait eu personne... Tous ont trouvé riche de croiser tous les regards, ont entendu le désir d'engagement sans se sentir prisonnier. On a eu des gens impliqués dans rien auparavant. En fait, ce n'est pas très compliqué, car dès qu'on accorde de l'attention à la parole des gens, ils sont intéressés... »

Financements extérieurs multiples

Pour que Décliic se lance, il a aussi fallu un déclic. Il a été amené par SDH, Solidarité-Doubs-Handicap, l'association qui gère, sur place, une Maison d'accueil spécialisée (l'ancien IME), un Foyer de vie et un Établissement et service d'aide par le travail, et à Valdahon un Foyer d'hébergement. Le site d'Etalans accueille 170 résidents et la maison du directeur, un vaste pavillon, était disponible. 

L'articulation a vite été trouvée : SDH a proposé le pavillon, l'a rénové et proposé à Décliic qui l'a équipé et ouvert ses activités aux résidents. La CAF, la MSA et même des caisses de retraite ont participé au financement. Un bureau à l'étage pour l'administration, une grande salle de plain-pied attenant à une cuisine et le tour est joué.  « Des mamans en congé parental voulaient voir du monde et ont créé un café-poussette le vendredi matin. Il s'est arrêté, mais si on ressent à nouveau le besoin, on proposera de le relancer. On essaie d'être acteur de la démarche, mais pas du contenu ».

« C'est une bonne leçon pour nous »

Pour le jardin partagé, c'est la commune qui a mis une parcelle à disposition près de l'église : « c'était un leg conditionné à l'utilisation pour un projet collectif ». Une dizaine de personnes le cultivent dont des résidents de la MAS... Les conseils municipaux des dix villages sont tous dans le comité de pilotage de Décliic et, selon Stéphane Normand, sont rassurés par les financements multiples qui viennent de l'extérieur.

  Extérieur, ouverture... Tout ne se passe pas forcément à Etalans, comme le festi-marché qui tourne d'un village à l'autre : « ça a permis de réunir tous les comités des fêtes pour la première fois. On a même eu un bénéfice de 4000 euros qu'on va sans doute investir dans des tentes et des tables qui seront mises à disposition des comités ou des particuliers... » Idem pour la table des amis : « il suffit d'une cuisine, de trois à quatre bénévoles qui se regroupent pour faire une vingtaine de repas sur un thème et les vendent de 3 à 8 euros selon les revenus... C'est sorti des murs, c'est allé à Fallerans, ailleurs dans un restaurant, là dans une salle des fêtes... C'est une bonne leçon pour nous : les gens se le sont approprié... Je suis très optimiste sur la notion d'engagement. Il faut se poser les bonnes questions... »

 

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