En thérapie, la France sur un divan…

Une fois n’est pas coutume. À défaut de pouvoir écrire des textes sur les films, cette semaine, Factuel prend un chemin de traverse et vous propose de rejoindre votre divan pour regarder la série « En thérapie ». Attention, attention, un divan pourrait bien cacher un autre !

L'actrice Mélanie Thierry sur le divan du psychiatre incarné par Frédéric PierrotEn thérapie © Carole Bethuel ou Les Films du Poisson

Au premier confinement, on a vu fleurir les nouveaux modes de communication ; c’était le printemps, la saison des apéro-zooms ; on découvrait malgré nous qu’une vie était possible à court terme loin du travail, loin des loisirs, chez soi.

On a vu fleurir le streaming, la (presque) joie de voir les films chez soi, d’assister à des festivals sans se déplacer, d’y être, de faire partie de ce monde-là ouvert sur une certaine modernité.

Enfin, les modes de communication (internet) allaient nous être très utiles, nous permettre d’être reliés au monde, de prendre l’apéro seul chez soi en parlant à nos amis ! De vivre par procuration puisque les liens physiques n’étaient plus possibles.

A vrai dire, on s’adaptait tant bien que mal à une situation inconnue avec l’optimisme nécessaire pour relever la tête.

Au deuxième confinement, on parlait moins des apéros zoom ; quelque chose commençait à s’user au royaume de la communication internet et de l’isolement forcé.

Ayant entre temps retrouvé le cinéma et les cinéphiles, l’espace des salles obscures, l’ambiance, j’ai presque abandonné le streaming, m’offrant un retour sur les œuvres cinématographiques fondamentales : revoir des films des années 70 comme La Salamandre d’Alain Tanner. Redécouvrir les comédies de Billy Wilder. Me pencher sur l’œuvre de Guy Gilles, cinéaste injustement méconnu. Revisiter la société japonaise avec Ozu. Troquer le streaming sur ordi contre des œuvres éditées en DVD. Je ne me suis même pas intéressée aux films des festivals que je fréquente habituellement (Angers, Belfort). Dans le mot Festival, c’est le mot fête que je privilégie. C’est parler avec des cinéphiles dans les files d’attente en grignotant un sandwich. C’est courir d’une salle à l’autre. Discuter passionnément. Croiser des amis et échanger quelques mots sur le film à voir absolument. Assister à un débat. Rire avec des inconnus assis à la même table dans une gargote bondée de joyeux festivaliers…

Entamer un pot de confiture

Et puis, au fil des jours, lorsque je communiquais avec des amis, tous me disaient : as-tu vu la série En thérapie ? J’avais décidé envers et contre tous de ne jamais regarder de séries craignant leur aspect chronophage. Curieuse de ce phénomène, j’ai commencé de regarder les premiers épisodes comme on entame un pot de confiture, en soulevant précautionneusement le couvercle. Et c’est devenu rapidement impossible de ne pas regarder la suite (au total environ seize heures !)

En thérapie, série vendue sous l’étiquette « Produite par Eric Toledano et Olivier Nakache », me faisait craindre le pire. Je n’aime pas particulièrement le cinéma de Nakache et Toledano ; leur manière de traiter du handicap dans Intouchables, celle de parler de l’autisme de manière consensuelle dans Hors-normes ou de stigmatiser un sans papier dans Samba. On peut rire de tout certes, mais pas n’importe comment ; pas en réalisant une œuvre dégoulinant de bons sentiments au risque de gommer la lourdeur du handicap, la difficile intégration des autistes dans la société et la question vitale des sans papier. Bref, je me demandais comment ces deux cinéastes allaient approcher la thérapie, l’intimité qui se créée entre un analyste et ses patients, dans le huis-clos d’un cabinet.

La clé de la réussite

En thérapie est l’adaptation de BeTipul, série israélienne née en 2005 qui depuis s’est démultipliée dans le monde entier, des États-Unis au Brésil, de la Macédoine à la Serbie, de l’Italie au Japon… Chaque pays a trouvé son propre angle d’attaque : à titre d’exemple en Italie, un flic infiltré dans la mafia vient consulter le thérapeute. Au Japon ce sont des midinettes en jupe plissée et socquettes qui fréquentent le cabinet.

La règle du jeu est la suivante : il s’agit d’approcher la réalité d’un pays à travers son rapport à la psychanalyse. En France la temporalité choisie est le lendemain des attentats du 13 Novembre 2015 au Bataclan. Sur le divan, quatre personnages : une chirurgienne au bloc ce soir-là (Mélanie Thierry) ; un flic de la BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention) d’origine nord-africain (Reda Kateb) ayant pris part à l’assaut du Bataclan ; une jeune adolescente sportive rescapée d’un accident de la route (Céleste Brunnquell) et un couple au bord de la rupture (Pio Marmaï et Clémence Poesy). Après avoir reçu ces cinq personnes, le psy (extraordinaire Frédéric Pierrot) se rend chez sa superviseuse incarnée par Carole Bouquet.

Cette série de 35 épisodes diffusée chaque jeudi sur Arte sera visible en replay sur arte.tv jusqu’au mois de juillet. 

Terriblement humains

Pourquoi la série fonctionne-t-elle ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui tout le monde en parle ?

D’abord la durée : chaque épisode dure le temps d’une séance chez un psychanalyste. Ensuite, le casting : la plupart des acteurs (à l’exception de Carole Bouquet) sont peu connus : En fait, il est plus facile de s’identifier à des personnages pas trop en vue sur le plan médiatique avec lesquels nous avons peu d’expérience à l’image. Cela évite de dire : « comme d’habitude Depardieu fait du Depardieu. » Frédéric Pierrot est très crédible en psychanalyste même s’il est surtout connu au cinéma pour ses seconds rôles ; c’est la première fois qu’à l’image, il apparaît à chaque séquence. Les acteurs Mélanie Thierry, Pio Marmaï, Clemence Poesy et Celeste Brunnquell, Reda Kateb, Elsa Lepoivre n’envahissent pas l’imaginaire du spectateur comme c’est souvent le cas. Ils sont tous terriblement humains, ce qui les rend évidemment plus proches de nous. De ce fait, ils incarnent plus facilement la période douloureuse de l’après-Bataclan (jusqu’alors refoulée dans les fictions). Ils mettent des mots sur une période qui nous a tous bouleversés et sur la peur, exprimée par le policier de la BRI qui explique avoir senti une main s’accrocher à sa jambe, alors qu’il avançait sur un monceau de cadavres.

Un jeu avec l’invraisemblance

En quoi la série joue-t-elle un rôle cathartique auprès des spectateurs ? Comment peut-on dans notre rapport à l’image nous débarrasser de nos fantômes ?  Le choix du champ contre-champ et l’emploi des gros plans créent une connivence avec le spectateur. Le huis-clos du cabinet, un rapprochement, une certaine intimité. Par ailleurs, on peut aussi se demander si cette proximité ne fait pas de nous des voyeurs : en ces temps de crise sanitaire et de solitude, la série peut avoir un effet rassurant (il y a toujours pire !)

Bien sûr, la série tord plusieurs fois le cou aux règles sacrées de la psychanalyse (notamment sur l’idée du transfert et l’accès de certains patients à la vie privée du psy) ; cela n’exclut pas à la séquence suivante le rappel des limites. Bien sûr, les auteurs ont fait le choix de montrer la vie du psychanalyste en proie à ses propres problèmes. Bien sûr certaines séquences frôlent l’invraisemblance comme la fausse couche sur le divan (pas très finaude l’idée !). Ces petits dérapages n’occultent pas pour autant le sujet, l’approche de la mémoire supposée de l’après Bataclan, période emblématique et douloureuse dans l’hexagone.

Et pour tout dire, En thérapie ne ressemble pas aux films consensuels d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache. Ils sont co-producteurs de la série et les 35 épisodes sont réalisés par eux et trois autres réalisateurs (Mathieu Vadepied, Pierre Salvadori et Nicolas Pariser). Tiens, pas de femmes à la réalisation !

L’immense et invisible talent des scénaristes

Les vrais auteurs de la série, disons-le haut et fort, sont les scénaristes dont on ne parle jamais. Si la série existe c’est bien parce qu’il y a une vraie écriture signée David Elkaïm, Vincent Poymiro avec Pauline Guena, Alexandre Manneville, Nacim Mehtar. Ce sont à eux les scénaristes à qui l’on doit l’empathie et la vulnérabilité de Frédéric Pierrot, les dialogues, la vraisemblance des personnages, la continuité et la teneur de la série. Ce sont eux qui créent le rythme investissant le temps, ajustant les répliques.

Par ailleurs, suite à un désaccord avec la production, le pôle de scénaristes vient d’annoncer son départ du projet alors que la saison 2 est déjà sur les rails. Lors d’un entretien publié dans les Inrocks, les scénaristes ont déclaré :« Nous qui avons tout écrit, et connaissons l’architecture de l’ensemble de la série, nous voulions garder contractuellement une place à la table des discussions jusqu’au bout… La production nous l’a fait miroiter et n’a pas respecté ses promesses. Mais nous avons notre part de responsabilité. Après vingt-cinq ans de métier, croire à la parole d’un producteur, il faut être idiot ! »

C’est bien là un des grands problèmes du cinéma, ne pas savoir rendre hommage et créditer ceux qui dans l’ombre font exister les œuvres, scénaristes et techniciens. En l’occurrence tout ce qui est dit par les personnages relève d’une approche très précise de ce qu’ils sont dans une situation donnée. Le jeu de Frédéric Pierrot silence et paroles, approbation et empathie a nécessité beaucoup de nuances dans l’écriture. Au cours de la thérapie, Adel le policier de la BRI revient sur ses propres fantômes, l’histoire de l’Algérie apparaît en arrière-plan comme un autre traumatisme enfoui dans sa mémoire et prêt à remonter à la surface. La création de ce personnage a nécessité un travail d’écriture très fouillé pour qu’il en résulte ce personnage « d’une inquiétante étrangeté » auquel on finit par s’attacher. La série totalise aujourd’hui plus de 23 millions de vues !

Pour regarder En thérapie sur le site d'Arte, suivre ce lien

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