Drames et tourments d’un « Médecin de nuit »

« Je voulais faire un film noir avec un beau personnage romanesque », confie le réalisateur Elie Wajeman, qui a dirigé Vincent Macaigne formidable en toubib écartelé.

Mélange de brut et de lyrisme, c’est un film noir, dur, qui fait ressentir la tension, le danger, et la solitude d’un homme.

« Je ne sais absolument pas comment le film va être perçu, au regard de la pandémie, quand il sortira. C’est un portrait d’un type un peu bizarre mais plein d’humanité », confiait en janvier Elie Wajeman, qui a réalisé Médecin de nuit » (sortie le 16 juin), film qui figurait dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2020. L’épidémie de covid fait que ce long-métrage, dont le personnage principal est un médecin, sort dans une période sanitairement bien particulière. Il est effectivement « un peu bizarre mais plein d’humanité », ce toubib formidablement incarné par Vincent Macaigne. Un médecin qui en l’espace d’une seule nuit, dans Paris, tente de remettre sa vie en ordre, de s’échapper du chaos.

 « Je voulais faire un film noir avec un beau personnage romanesque », assure Elie Wajeman (qui avait tourné auparavant « Alya » et « Les Anarchistes »), « C’est quelqu’un qui s’est un peu dévoyé, qui est parti dans un sens qui n’est pas le bon ». Ce médecin « un peu alcoolo, un peu raté », c’est « le saint des toxicos » ; toxicos qu’il reçoit dans sa Volvo, où il rédige à la chaîne des ordonnances de subutex, se faisant complice d’un trafic proposé par son cousin pharmacien (Pio Marmaï).

Sous menace d’une enquête pour ses trop nombreuses prescriptions, il veut tout arrêter ; côté vie privée, son épouse (Sarah Le Picard) le somme de choisir avec qui il va vivre, sa famille ou sa maîtresse (jouée par Sara Giraudeau). L’homme est écartelé, pris dans plusieurs dilemmes, amoureux, éthique, professionnel… « C’est un film très sombre, mais je pense que le cinéma doit être un art de la réparation », précise Elie Wajeman, qui a donné des prénoms de tragédie russe (Mikaël, Sofia, Dimitri, Sacha…) à ses personnages dans cette « adaptation lointaine du Platonov de Tchekhov » (« La matrice de mon cinéma », dit-il).

« C’est une chance d’avoir un cinéaste qui change un acteur »

« Le médecin est aux avant-postes, dans la nuit de la grande ville », constate le cinéaste, qui le suit lors d’une longue nuit de garde, enchaînant les visites les unes après les autres, entrant dans l’intimité des malades. « Tourner de nuit, c’est une manière de se couper du monde et de fédérer une équipe dans une aventure ; les rues sont vides, c’est une manière de trouver une ambiance un peu étrange, j’ai tenté de saisir un Paris qu’on ne connaît pas trop », dit Elie Wajeman, « En tant que petit-fils d’immigré, je filme Paris comme une ville monde, cosmopolite ».

Le réalisateur, qui « aime bien les acteurs lourds », a alourdi encore d’un long manteau de cuir la silhouette de Vincent Macaigne, qu’il avait vu hurler sur scène au théâtre : « J’avais bien vu que le type n’était pas un tendre ». Si le comédien dégage calme et douceur en toubib empathique, il explose aussi en éclairs de violence au cours de cette nuit où il s’enfonce petit à petit, répétant que « Tout va s’arranger ». « On a beaucoup échangé avec Elie sur le scénario, ça m’a permis au moment du tournage d’être rempli de l’histoire et du film », précise l’acteur, souvent vu dans des comédies au cinéma. « C’est une chance d’avoir un cinéaste qui fasse confiance et qui change un acteur, qui l’emmène vers quelque chose qu’on n’a pas vu », dit-il, « Je fais du théâtre, j’ai commencé à faire des films pas forcément âgé mais pas non plus si jeune que ça, c’est deux vitesses différentes ; au cinéma quand j’ai fait ‘’Un monde sans femmes’’, j’ai l’impression qu’on m’a vite mis dans ce truc un peu nounours, mais dans la vie je n’ai pas l’impression d’être un nounours ».

Pas « nounours » non plus dans la peau de ce « Médecin de nuit » capable de distribuer des coups de boule aux plus méchants : « Dans ce film, tous les acteurs sont un peu transfigurés, c’est une des réussites du film, il crée beaucoup de vérité, quand je l’ai vu en tant que spectateur, j’étais vraiment étonné de ça, le frottement entre le film de genre et ce qu’on peut dégager, je trouve ça très beau », dit Vincent Macaigne. « C’est tendu, c’est l’histoire d’une nuit où tout se passe, et c’est un des enjeux du film, les choses se passent en peu de temps, dans l’énergie », ajoute l’acteur qui a suivi un toubib dans sa tournée, pour se préparer aux gestes médicaux.

« Je fais des films qui racontent la France »

« On est toujours entre mystère, danger, l’envie d’aller vers l’autre, cette chaleur humaine qu’on retrouve avec ses patients, et cette sensualité avec Sofia », confie Sara Giraudeau, qui incarne cette Sofia ainsi que l’espionne Marina Loiseau dans « Le bureau des légendes », série dont Elie Wajeman a tourné quelques épisodes. « Elie parvient à capter l’instant de manière abrupt, il y a de l’élégance dans le brut, il parvient à choper, capter, les instants des comédiens, tout est sensoriel, le son, le montage… Il y a du chaud et quelque chose de glacé dans Médecin de nuit, c’est un film très sensoriel, la nuit amène ça tout le temps », ajoute Sara Giraudeau.

« Dans mes trois films, il y a une demande en mariage, ça fait à la fois Cimino et roman russe », dit le cinéaste, qui revendique l’influence du cinéma américain des années 1970. Mélange de brut et de lyrisme, celui-ci est effectivement un film noir, dur, qui fait ressentir la tension, le danger, la solitude d’un homme et parfois celle de ses patients, un voyage au bout de la nuit emporté par la musique prenante d’Evgueni et Sacha Galperine, jouée avec des instruments rares, bizarres, qui donnent « une couleur singulière ». « Je fais des films qui racontent la France », dit Elie Wajeman, qui alterne des « moments documentaires et des moments de passion ». Après un périple nocturne fiévreux, nerveux, « Médecin de nuit » s’achève au matin, au petit jour, alors que la lumière revient.

« Médecin de nuit », un film de Elie Wajeman, Vincent Macaigne, Sara Giraudeau, et Pio Marmaï (sortie le 16 juin).

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