Devenir français, joie et soulagement

La préfecture de Besançon accueille chaque année trois à quatre cérémonies de remise de décrets de naturalisation à une cinquantaine de personnes qui ont dû remplir un épais dossier. Cet exercice qui se tient depuis dix ans conclut un parcours parfois semé d'embûches.

france1

Ils s'appellent Medhi, Chahrazed, Claude ou Suzanne. Ils étaient Tunisien, Algérienne, Rwandais ou Syrienne... Ils sont maintenant Français. Comme le sont devenus Thi Kieu Giang, Sandra-Pascale et Vendim, Violeta, Marian, Vladena et Jan, Abdul-Aziz ou Youssef jusqu'alors Vietnamienne, Centrafricaine, Kosovar, Serbe ou Tchèques, Russe ou Marocain.

Ils sont rassemblés avec leurs proches sous les boiseries d'un salon de la préfecture et écoutent le préfet Raphaël Bartolt en grand uniforme prononcer un discours de bienvenue où il est question « d'entrée dans la communauté nationale ». Le représentant de l'Etat dit que la France est « le creuset d'une civilisation » qui va « s'enrichir » de la culture de ses nouveaux citoyens.

 « Notre patrie est une terre d'accueil dont nous sommes fiers », affirme-t-il encore en précisant que « devenir français n'est pas qu'un simple processus administratif », mais aussi l'adhésion à une « nation libre » et « européenne » qui défend les « droits de l'homme ». Il parle « mode de vie et usages », incite à utiliser le « droit de vote », souligne que la nationalité confère « l'éligibilité ».

« Tous ensemble... »

Il cite la devise liberté-égalité-fraternité qu'il faut « respecter », souligne que l'état est « laïc » ce qui signifie la « liberté d'exercice des cultes et la liberté de conscience », précise que les discriminations sont proscrites. Raphaël Bartolt rappelle la « construction patiente de notre système politique », et conclut sur quelques notes se voulant empathiques et fraternelles : « tous ensemble faisons en sorte que la France soit unie, elle qui est attentive aux souffrances des autres peuples... Cette cérémonie est solennelle, elle est aussi un moment de joie ».

La Marseillaise !

Il se met alors au garde-à-vous et la Marseillaise retentit, reprise par les nouveaux citoyens français qui en suivent les paroles sur le texte distribué à l'entrée. L'hymne n'est pas chanté avec la ferveur révolutionnaire de l'époque de sa création, quand la patrie était en danger, mais calmement, doucement, comme on fredonnerait une berceuse... Puis vient l'appel des noms. Medhi s'avance le premier avec un large sourire. Adrian est un peu gauche, une main sous un coude, manifestement impressionné mais finissant par répondre timidement au sourire du préfet qui lui tend la main.

 « On a grandi ici, on est Français »

Dans la petite foule où chacun attend son tour, les visages se détendent à mesure que les certificats de nationalités sont remis sous les applaudissements des parents et enfants. Chahrazed n'en finit pas de sourire, elle est soulagée de l'aboutissement du processus : « c'était un peu long..., mais c'est normal. » Samira dont l'émotion est visible va-t-elle pleurer de joie ? Elle tient bon : « Non ! » Déjà français, Akil, son mari, sourit : « Pas devant tout le monde ! »

Un aboutissement, le mot est aussi dans la bouche de Sarguis et Marina. Frère et soeur, 20 et 22 ans, ils étaient arméniens et vivent en France depuis 15 ans, sont étudiants : « on n'avait pas besoin de cette cérémonie pour se sentir Français », dit Marina. « On a grandi ici, on est Français », dit Sarguis, « mais on avait un dossier compliqué, l'ambassade arménienne ne voulait pas accorder l'apostilleannotation en marge d'un écrit, selon le Robert, mais ce qui a plaidé pour nous, c'est qu'on est bien intégrés ».

La nationalité française, c'est pour Claude, juriste venu du Rwanda, « une immense joie, un accomplissement de l'intégration, être accepté dans une grande famille ». Ayant fait ses études à Besançon, y travaillant, il s'y est marié : « avoir une femme française, ça aide », dit-il sous le regard attendri de son épouse, enseignante à la fac de droit.

« J'ai toujours vécu en France, mes enfants sont Français »

C'était moins compliqué pour Carlos Fontinha, mais ça a été long : « j'ai refusé d'être français à 15 ans alors que mes parents étaient sur le point de retourner au Portugal, mais j'ai aussi refusé de partir et ils sont restés dix ans de plus... Je suis né en France, j'ai toujours vécu en France, mes enfants sont Français, c'était logique que je franchisse le pas ». Aujourd'hui directeur général de la commune de Saint-Vit, il a dirigé le Medef de Franche-Comté et l'a représenté à l'Urssaf et la caisse d'allocations familiales...

Pour Albert, qui était Albanais, les choses ont été moins faciles : « Ça a été long », explique Elsa, sa femme depuis plus de 7 ans, « il a eu du mal à avoir un document d'état-civil, l'acte de naissance de sa mère, en Albanie, il faut payer un bakchich... En plus le nom de jeune fille de sa mère avait disparu de l'état civil albanais après son mariage... »

Clandestin à son arrivée en France, Albert pensait aller en Angleterre quand il a croisé la route d'Elsa : « on s'est marié sans papiers, c'était chaud mais ils ont accepté. On a quand même dû aller passer deux mois en Albanie pour refaire des papiers et revenir régulariser pour que je puisse rester en France. Je travaille, ça m'a permis de me sentir Français. Je suis même déjà venu dans ce salon comme restaurateur de monuments historiques ! »

1500 demandes par an en Franche-Comté

Les petits fours et les jus de fruits sont vite dégustés. Le salon se vide. Restent les employés du service immigration et intégration qui traitent 1500 demandes par an sur la Franche-Comté, dont 80% aboutissent, en général entre un an et 18 mois... quand tout va bien, parfois plus vite. Sa cheffe, Marie-France Barraux confirme que l'acte d'état civil de sa mère qui manquait à Albert est bien « obligatoire ». Elle entend bien la difficulté des bakchichs, mais n'y peut pas grand chose : « les dossiers sont complexes et épais », dit-elle en évaluant avec deux doigts, écartés de 3 à 4 centimètres... « Ça dépend des situations personnelles, de famille, professionnelles... On demande tous les bulletins de salaire d'une année quand les gens travaillent... Ça dépend aussi de la nationalité d'origine... »

Arrive une jeune journaliste stagiaire née en république serbe de Bosnie, à Banja Luka : comment devenir Française ? « Il faut réussir deux ans d'études supérieures en France pour bénéficier d'une dérogation » permettant de réduire à deux ans la durée de séjour au bout duquel une demande de naturalisation est possible. Autrement, c'est cinq ans. Ne devient pas Français qui veut, mais qui peut... Sachant qu'il y a aussi la loterie diplomatique des pays classés ou non « sûrs ». Le Kosovo et l'Arménie ont ainsi changé plusieurs fois de catégorie, compliquant non seulement la situation des candidats à la naturalisation, mais aussi celle des demandeurs d'asile...

La fête est finie, jusqu'à la suivante : il y en a trois ou quatre par an pour quarante à cinquante personnes à chaque fois. On a le droit d'être absent, dans ce cas, on reçoit le décret de naturalisation par courrier... La fête est finie, mais en était-ce vraiment une ? On sent les efforts de chacun, mais le fossé demeure entre l'administration avec ses règles intangibles et ses coupe-file officieux, et les vrais gens qui doivent en endurer les rigueurs et les excès, qu'ils soient anciens ou nouveaux compatriotes...

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !