Des nouvelles de la Roumanie, pays désenchanté

Cristi Puiu aurait mérité d’apparaître au palmarès du dernier Festival de Cannes où il était sélectionné. Son film est une véritable prouesse. Presque entièrement filmé dans un appartement de Bucarest, Sieranevada est une œuvre majeure du cinéma roumain de ces dernières années.

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Dans la Roumanie d’aujourd’hui, une famille diffère sans cesse le moment de passer à table. Entre tragédie et comédie, le cinéaste Cristi Puiu donne à voir la Roumanie comme un pays incapable de forger de nouvelles valeurs…

Un huis-clos étouffant

Début du film. On ne sait pas ce qui se trame dans cette rue grise de Bucarest. Un couple dans une voiture se chamaille sur la différence entre la robe de Blanche neige et celle de la Belle au bois dormant. Des coups de klaxon. Un embouteillage. La caméra hésite comme si elle cherchait quelque chose.

On apprend ensuite que le couple se rend à une réunion de famille. Ce jour-là tout le monde se réunit pour le quarantième jour du deuil selon un rite traditionnel orthodoxe. Jusqu’alors l’âme du mort était encore là pour adoucir la séparation avec les vivants. Après cette journée l’âme s’en ira librement. Dans cet appartement de Bucarest, la famille se prépare à un repas mais tout l’empêche de se mettre à table : le pope n’arrive pas. La tradition veut aussi qu’on donne un costume du père décédé à un des fils mais le vêtement est trop grand pour lui. On cherche des aiguilles. On coud. Cela fait penser à L’Ange exterminateur, de Luis Buñuel, film où les personnages ne pouvaient pas partir sans qu’on connaisse les raisons de cet empêchement.

Cristi Puiu, qui avait réalisé en 2005, La Mort de Dante Lazarescu, aurait mérité, me semble-t-il, d’apparaître au palmarès du dernier Festival de Cannes où il était sélectionné. D’une durée de 2 h 53 le film est une véritable prouesse. Presque entièrement filmé dans un appartement de Bucarest (une scène tournée à l’extérieur fait référence à des courses à Carrefour !), Sieranevada est une œuvre majeure du cinéma roumain de ces dernières années. En effet, Cristi Puiu filme les discussions, altercations et déplacements des personnages en de larges plans séquences qui lui permettent de jouer avec le hors-champ ; quand il décide de ne pas tout montrer, la porte se ferme. Tout se passe au centre de l’appartement, ce qui donne une liberté et un style au film.

Un pays désenchanté

La caméra choisit les personnages, va de l’un à l’autre, passe d’une discussion à l’autre, capte les dérèglements de la vie avec brio ; c’est du comique inquiétant qui révèle tout un panel de personnages : une vieille dame fait l’éloge du communisme à la roumaine : coiffée d’une toque elle évoque avec fermeté la vie avant Ceausescu sous le regard hébété d’une femme orthodoxe. Une autre femme dévoile crûment les infidélités de son mari. Un neveu, victime des théories complotistes sur internet, se heurte à ses frères qui acceptent sans se révolter les thèses des puissances étrangères.  La mère tente de faire respecter le rituel.

Avec cette galerie de personnages, le cinéaste dessine une société qui ne peut plus avancer (figurée par l’impossibilité de se réunir pour prendre un déjeuner). Entre le tragique et le comique, le film prend le temps de s’arrêter sur chaque situation : On s’affaire. On console les cocus. On révèle les secrets de famille. On règle des comptes.

On parle de politique internationale et de l’après Charlie Hebdo.

L’embouteillage du début et les menaces de mort pour une simple question de stationnement à la fin révèle l’idée forte d’impasse qui parcoure le film.

Le titre Sieranevada déjoue toutes les attentes. Ici pas de chaines de montagnes enneigées mais un film fondé sur les regrets, les mensonges et un vaste gâchis, celui d’avoir accepté la dictature sous Ceausescu. Cristi Puiu nous donne surtout à voir un pays désenchanté, où l’empêchement de se mettre à table en est peut-être le symbole désespéré.

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