Des jeunes Bisontins ont ouvert un squatt pour migrants à la rue

Ils ne supportaient plus que des familles entières de demandeurs d'asile, fuyant notamment les violences persistantes en Albanie, se voient refuser des hébergements pendant l'instruction de leur dossier. Il y a un mois, ils ont investi un grand appartement vide depuis plusieurs années à deux pas du centre-ville et proposent de signer un bail précaire.

Des jeunes Bisontins ont ouvert un squatt pour migrants à la rue

Une sonnette avec quelques noms, on appuie. Une voix dans l'interphone, on pousse la porte et on grimpe à l'étage indiqué. Camille nous accueille dans le hall vétuste mais en bon état d'un grand appartement bourgeois, inoccupé depuis plus de sept ans. Des câbles électriques courent dans le couloir. On a commencé à refaire l'électricité qui n'était plus aux normes : « ça a été supervisé par un professionnel ».

Camille ouvre la porte de la première pièce, une chambre d'une vingtaine de mètres carrés. Il n'y a personne, mais trois matelas sont posés sur le sol avec draps et couvertures. C'est le « sleeping », destiné à une « occupation non permanente, pour les gens de passage une nuit. Nous essayons d'établir un turn-over ». Deux grands placards ont été spécialisés. L'un est une « zone de gratuité » où sont rangés des vêtements issus de dons. Il y en a assez, mais une affichette liste les autres besoinscontact : asile@lavache.com : table à repasser, pantoufles, tringle de rideau de douche, gants, dictionnaire franco-albanais...

Dans l'autre placard, des kits de survie : tentes, matelas et sacs de couchage. Ils peuvent être fournis à des personnes qu'on ne pourrait accueillir et auraient un besoin urgent de se protéger un minimum... Deux autres chambres sont occupées par des demandeurs d'asile, dont une petite famille. Sur les portes, une affichette invite au respect de l'intimité...

Une cuisine modestement équipée avec des dons

Nous voilà dans la cuisine, modestement équipée du minimum : une table, des chaises, une gazinière, un four à micro-ondes... « le réfrigérateur n'est pas encore branché, on attend la câble de la bonne section ». La machine-à-laver est en bonne place. Au dessus des poubelles, des affiches trilingues français-anglais-albanais expliquent les rudiments du tri.

Il y a de la vie dans le squatt ouvert il y a un mois à proximité du Doubs. Ses concepteurs, une dizaine de bénévoles réguliers soutenus par un réseau de quelques dizaines de sympathisants, attendent la visite d'un plombier pour voir si l'on peut remettre en marche le chauffage au gaz, mais ils s'inquiètent de la facture. Pour l'eau chaude, un artisan a vérifié gratuitement l'installation. Les « locataires » peuvent donc prendre une douche !

Les locataires ? Un Congolais, des Albanais, il y a quelques jours un Ukrainien déjà reparti... Autour d'un café, ce jour-là, quatre jeunes Albanais font salon dans les canapés du séjour où le « pôle de chargement de portables » figure en bonne place. Ils nous expliquent pourquoi ils ont quitté le « pays des aigles ». Considéré comme « sûr » par l'Union européenne, c'est pour les défenseurs des droits de l'homme une contrée tenue par des mafieux, nous explique Thierry Lebaupin, du CDDLE de Besançon, que nous sollicitons après le reportage. L’AEDH, EuroMed Droits, et la FID remettent en cause cette notion de sûreté et soulignent l'existence de violences, de corruption, de cas de tortures...

« Je suis parti pour raisons politiques, c'est compliqué à expliquer, et je ne veux pas détailler mon histoire, c'est dangereux », dit Lili. Marcel est quant à lui en France pour « raisons familiales ». Il ne veut pas non plus « rendre publique [son] histoire ». Costa parle de « combats entre gens [de son] village : j'ai été menacé d'être tué... J'ai peur des conséquences de ce que je vous raconte ». Nous songeons au roman d'Ismail Kadaré Avril brisé, à la vendetta, la loi du Kanun... Mais la conversation, en anglais avec un seul de nos quatre interlocuteurs qui fait la traduction, ne va pas jusque là, évoquant seulement le grand écrivain...

« J'en tant d'espoir ! Pour commencer, résoudre mes problèmes »

Nous expliquons qu'en France la presse est libre. Il répond : « En Albanie, les politiques, députés ou ministres, effraient les journalistes. Les règles sont seulement pour les riches »... Veulent-ils faire leurs vies ici ? La réponse de Lili est enthousiaste : « Yes ! » Cela passe donc par l'apprentissage du français ? « Off course, bien sûr... » Il a effectué une première démarche « dans une église », mais on lui a répondu qu'il n'y avait « rien pour les débutants »... C'est donc partie remise. D'ailleurs, une feuille affiche les horaires des prochains cours, dispensés par des militants, un orthophoniste, bref, « des gens de bonne volonté ». On espère aussi des dons de livres et de matériel éducatif...

Quels sont leurs espoirs ? « J'en ai tant ! Pour commencer, résoudre mes problèmes », dit Lili. Marcel, qui a une vingtaine d'année, veut « finir [ses] études ». Costa veut « apprendre le français ».

Pour l'heure, la première étape est la mise à l'abri. Elle a été rendue plus difficile, si l'on écoute les militants du CDDLE, par la frilosité des pouvoirs publics dont la politique vise notamment à vider les CADA des demandeurs d'asile pour faire de la place aux réfugiés des guerres d'Afrique de l'est et du Moyen-Orient. Une conséquence est l'allongement des délais d'obtention de l'attestation de demandeur d'asile, valant titre de séjour, explique Chantal Lecuyer du CDDLE, avant l'examen de la demande par l'OFPRA.

Cette attestation mentionne notamment si la demande doit être étudiée dans les délais normaux ou, quand l'intéressé est originaire d'un pays officiellement « sûr », accélérée. Or, l'attestation dépend de l'obtention d'un rendez-vous à la préfecture. « Les délais pour obtenir ce rendez-vous sont passés d'une semaine à plus d'un mois. Or, tant qu'ils n'ont pas de rendez-vous, il n'y a pas d'hébergement possible », explique une jeune femme du collectif qui a investi l'appartement inoccupé.

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