Derrière les paillettes, le malaise…

Démission des membres de l’académie des Césars. Démission de l’équipe des Cahiers du cinéma. Le 7ème Art est-il en train de muter ? Pas sûr !

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L’éviction de Virginie Despentes par le Président Alain Terzian début janvier sème un vent de révolte à l’Académie des Césars. Tous les membres de l’Association pour la Promotion du Cinéma démissionnent après le déjeuner des Révélations de l’année 2019. Le Conseil d’administration démissionnaire était composé de 8 femmes pour 39 hommes. Parmi eux se trouve Roman Polanski membre de droit, depuis qu’il a reçu un Oscar.

À l’issue de ce déjeuner, la liste des nominés tombe. Vous me suivez ? Voilà Polanski nominé 12 fois pour son film « J’accuse » ! Ces nominations mettent de l’huile sur le feu. Comment ne pas s’attendre à un esclandre lors de la 45 ème édition de cette fête du cinéma français ? On se demandait d’ailleurs ce que Florence Foresti était venu faire dans cette galère.

Dès l’ouverture de la Cérémonie, l’humoriste a déclaré sans ambages : « il faut qu’on règle un dossier sinon il y a douze moments où on va avoir un souci. Il faut qu’on règle le problème parce que ça va nous pourrir la soirée. Qu’est-ce qu’on fait avec Roro ? Qu’est-ce qu’on fait avec Popol ? Ne faites pas comme lui. Ne faites pas les innocents vous savez très bien de qui je parle. Qu’est-ce qu’on fait avec Atchoum ? »

La grande famille du cinéma était là. Paillettes. Sourires entendus. Sourires crispés aussi.

 Un plaidoyer pour la diversité

Et puis, lors de la remise du Prix du meilleur espoir féminin à Lyrna Khoudri pour « Papicha » de Mounia Meddour film algérien, l’actrice Aïssa Maïga, dans un long plaidoyer a appelé à plus de diversité dans le cinéma français : « Dès que je me retrouve dans une grande réunion du métier, je ne peux pas m’empêcher de compter le nombre de noirs et de non blancs dans la salle. On a survécu aux Whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées… En fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille. La bonne nouvelle c’est que l’inclusion peut se faire sans vous » a annoncé l’actrice présidente des collectifs “50/50” et “Noire n’est pas mon métier”. “Faisons une maison qui accepte toutes les différences”. Espérons que la production française héritière de très anciens clichés entendra son appel.

Dans un autre domaine, à son tour, ironiquement face à la caméra Emmanuelle Devos déclare à propos du César de la meilleure actrice : “Si vous ne l’avez pas, ça ne veut pas dire que vous êtes moins bonnes. Ça veut dire que vous êtes finies”. Une allusion ouverte à la fulgurance de la carrière de certaines actrices.

Une troisième femme entre en scène, C’est Josiane Balasko. En pleine cérémonie elle lâche : “c’est curieux, en compétition on trouve les cinq films qui ont fait le plus d’entrées”. Est-ce que le chiffre des entrées est un gage de qualité ? Est-ce que l’argent prévaut à l’art ?

Où sont les luttes dans le monde du cinéma ?

Avec la pertinence de la parole féminine, le malaise gagne la salle et trouve son point d’orgue lorsque Darroussin escamote (volontairement ?) le nom des deux césarisés de l’adaptation d’une œuvre littéraire lorsqu’il remet le césar à “J’accuse” de Roman Polanski et Robert Harris.

Et ce n’est pas tout, c’est au tour de deux femmes Emmanuelle Bercot et Claire Denis de remettre le César au meilleur réalisateur. C’est Polanski qui l’obtient. Adèle Haenel et l’équipe du film “Une jeune fille en feu” quittent la salle suivie par de rares personnes. Pourquoi la salle Pleyel ne s’est pas vidée à ce moment-là ?  

Pourquoi les femmes et les hommes n’ont-ils pas emboité le pas à l’actrice devenue le symbole de la libération de la parole ? Peut-être tout simplement parce que le cinéma tient à son pré carré (paillettes, et soirée au Fouquet’s). Florence Foresti a quitté la salle.

Pourtant, quand on veut on peut. Ce vieil adage qui a la peau dure nous rappelle qu’en 1968, pendant le Festival de Cannes, les frondeurs François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Léaud, Claude Berri et Macha Méril se sont fait le relais du mouvement étudiant en bloquant le rideau pour empêcher les projections de se faire. Claude Lelouch, Carlos Saura et Alain Resnais suivis d’autres réalisateurs se sont retirés de la compétition entrainant avec eux producteurs et vedettes. Monica Vitti, Louis Malle et Roman Polanski (eh oui !), démissionnent du Jury. Le Festival s’arrête le 19 mai. Aucun prix ne sera décerné.

“La France a raté le coche du mouvement #MeToo” 

Revenons aux césars. Par quel biais le cinéaste Roman Polanski obtient-il trois césars ? Est-ce parce que 65 % des votants sont des hommes ? Est-ce parce que, comme le disait Adèle Haenel à Médiapart, en novembre, “la France a raté le coche du mouvement #MeToo  ». On peut s’interroger.

Arrive enfin l’heure de remettre le César du meilleur réalisateur à Ladj Ly. Le voilà sur scène, entouré d’une dizaine d’hommes. Où sont les femmes du film ? Où est passée Flora Volpelière consacrée meilleure monteuse césarisée quelques minutes auparavant ?

Il est évident que la vieille institution des Césars créée en 1975 sent le sapin avec ses passe-droits, ses coutumes, son attachement aux rituels contre vents et marées. Il est temps de mettre en œuvre la parité, la transparence, de mettre en scène non pas un monde de taffetas et de paillettes, mais un monde où les films sélectionnés et dieu sait s’il y en a dans la production française, ne soient pas ceux de cinéastes visés par plusieurs accusations de viol.

À l’issue de la cérémonie des Césars, j’avais dans la tête une phrase de Blanche Gardin : “c’est marrant, si un boulanger viole quelqu’un, on ne lui dit pas mais qu’est-ce qu’elle est bonne ta pâte !”

En quoi être artiste serait différent ?

 

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