Défense des hôpitaux : après la maternité de Saint-Claude, les urgences de Gray

Deux manifestations le même mois contre les décisions de l'ARS en Franche-Comté, dénoncent la même logique comptable à l'origine de dizaines de projets de fermetures de services de soins de proximité dans le pays. Reportage dans le Jura et entretiens croisés interrogent quant à la perspective d'une convergence des mouvements.

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» Halte là, halte là, halte là, les montagnards sont là... » Les manifestants descendus du Haut-Jura font résonner dans les rues de Lons-le-Saunier la Tyrolienne des Pyrénées d'Alfred Roland. On aurait tort de n'entendre que du folklore dans ce chœur témoignant d'une identité inscrite dans les rudesses et les solidarités de l'altitude. Ce qui marque immédiatement, c'est la détermination. L'expression d'une saine colère contre une injustice doublée d'une aberration, est celle de tout un territoire qui a fait l'union sacrée contre la décision de l'ARS de fermer la maternité où beaucoup ont vu le jour.

L'union sacrée du Haut-Jura... Françoise Robert, Bernard Mamet, Jean-Louis Millet, Francis Lahaut...

On voit ainsi défiler côte à côte le souverainiste de droite Jean-Louis Millet et le communiste Francis Lahaut qui se succèdent à la mairie de Saint-Claude depuis 1995, mais aussi Bernard Mamet, élu des Rousses et président de l'association des maires du Jura, des syndicalistes ouvriers et des patrons, des artisans et des clubs sportifs, l'ancien sénateur et président du département Gérard Bailly (LR), des militants écolos, communistes, insoumis. Tous ont laissé leurs querelles, les bisbilles entre Saint-Claude et les villages à propos de la communauté de communes. « Si je défile avec la CGT, ne vous méprenez pas, c'est que la situation est grave, concerne tout le Haut-Jura », dit Jean-Louis Millet.

« On va envahir l'ARS avec la tonne à lisier... »

« Je suis né à Saint-Claude et mes enfants aussi. C'est le haut du pavé cette maternité, le problème, c'est qu'on n'a plus de médecin. L'ARS nous plante », dit Mourad Kernou, premier adjoint au maire de Larrivoire. « On est à 350 naissances par an alors que la barre de fermeture est à 300, et comme ils ferment la maternité, ils veulent aussi fermer la chirurgie, tout s'enchaîne, ça été pareil à Champagnole », ajoute Claude Cottet, adjoint au maire de Lavans-les-Saint-Claude.

Nouri Basic a été pendant 33 ans obstétricien. Né en Bosnie, il a passé son bac en Turquie, fait gynéco en Suisse et exercé « deux ans avec Coletteancien chef de la maternité du CHU » au CHU de Besançon, avant de finir sa carrière de médecin comme chef de service à l'hôpital de Saint-Claude : « je n'imagine pas un hôpital sans maternité, on y a sauvé des centaines d'enfants... » A deux pas, un paysan rigole : « on va envahir l'ARS avec la tonne à lisier... »

« l'ARS refuse d'appliquer l'article 23 de la loi montagne »

Pour l'heure, c'est 400 cartes d'électeurs qui sont jetées dans un brasier alors que la sono retentit d'un cri de rage : « A voté ! » sous le regard des élus. « C'est un geste fort », dit Bernard Mamet. « Pour en arriver là, c'est grave », commente Jean-Louis Millet. Son principal argument, qu'il défendra lors d'une prise de parole place de la Liberté, est logique : « l'ARS refuse d'appliquer l'article 23 de la loi montagne ».

Quand on lit le texte, adopté il y a moins d'un an, on constate avec les manifestants que la géographie a dû être oubliée quelque part : « l’État peut autoriser, à titre expérimental et pour une durée maximale de trois ans, que le projet régional de santé s’attache à garantir aux populations un accès par voie terrestre à un service de médecine générale, à un service d’urgence médicale ainsi qu’à une maternité dans des délais raisonnables non susceptibles de mettre en danger l’intégrité physique du patient en raison d’un temps de transport manifestement trop important. »

Dans une vidéo de combat de 8 minutes, le comité de défense et de soutien de l'hôpital de Saint-Claude, ironise que le fait que cette loi montagne ait pu être invoquée à L'Aigle, 8000 habitants, en NormandieNous n'avons pas trouvé la confirmation de cette affirmation, mais pas dans le Haut-Jura...

« S'il y a une fracture ouverte, mieux vaut que l'hôpital ne soit pas trop loin... »

Quiconque y a pourtant circulé en hiver, sait à quel point la neige peut allonger démesurément les temps de transport. « C'est une question de sécurité, on peut être à plus de deux heures de route de Lons. Et l'hélicoptère ne peut pas voler ou atterrir un jour sur trois à cause de la météo », explique Françoise Robert, première adjointe à Saint-Claude où elle a  accouché quatre fois...

Les footballeurs de Saint-Claude...

Damien Pointurier, l'entraîneur du racing club foot de Saint-Claude est dans le défilé avec l'équipe junior : « il arrive à nos joueurs de se blesser, ils sont tous nés ici. L'un vient de se faire opérer des ligaments croisés... S'il y a une fracture ouverte, mieux vaut que l'hôpital ne soit pas trop loin... »

André Jannet, l'hôtelier qui préside la comité de défense et de soutien de l'hôpital, met l'ARS au défi démocratique : « organisez donc un référendum du peuple du Haut-Jura, et alors seulement vous pourrez décider », lance-t-il à la sono sous les vivas. Lyrique, il invoque l'histoire de cette « terre de résistance qui a connu d'autres adversaires ». Il souligne « l'universalité du combat », en appelle à « une levée en masse », à « l'élargissement de la lutte ».

Michèle Vincent, médecin à Champagnole, témoigne : « Quand ils ont fermé l'hôpital, il y a 25 ans, c'était les premiers coups de bulldozer contre nos hôpitaux, nous n'avions pas pris la mesure des enjeux et ça a été la descente aux enfers : des blocs opératoires neufs étaient vides... L'administration savait que la fermeture était programmée... » Elle rappelle une histoire plus récente : « Macron avait dit que les suppressions d'emplois dans la fonction publique ne toucheraient pas la santé... Quand un ordre est infâme, la désobéissance est nécessaire. Nous irons irons jusqu'à Matignon où tout se décide... »

La nécessité d'une « riposte de grande ampleur »

Richard Dhivers, le secrétaire de l'UD CGT du Jura, souligne lui aussi la nécessité d'une « riposte de grande ampleur ». Il propose de réfléchir aux besoins par bassins de vie, estime nécessaire l'abrogation de la loi Bachelot et de la T2A, la fameuse tarification à l'activité que nombres d'observateurs critiques estiment à la base des fermetures.

« La T2A a été faite pour fermer les petits hôpitaux », n'hésite pas à affirmer la conseillère départementale de Haute-Saône Claudy Chauvelot-Duban (PS) que nous avons eue au téléphone. Présidente du conseil de surveillance de l'hôpital de Gray, elle est à l'origine d'une manifestation pour le maintien du service d'urgences, samedi 16 décembre10 heures. Là aussi, les raisons invoquées par l'ARS sont considérées comme incohérentes : « dans le projet régional de santé, il est indiqué que les urgences ne peuvent pas fermer à plus de 8000 passages par an, or on est à 11.000 et l'ARS justifie la fermeture par le manque d'urgentiste », critique l'élue en dénonçant une « inégalité de traitement des territoires ».

C'est en fait une logique comptable qui semble à l'œuvre. Implacable, elle permet d'instiller le doute sur la pérennité d'un équipement, dissuadant des professionnels de postuler, ou en ne décrétant pas les postes comme à pourvoir. « Un pédiatre d'Oyonnax postulait à Saint-Claude où il y a un poste vacant, on lui dit qu'on n'a pas besoin de lui », s'insurge un militante dans la vidéo du CODESOHOcomité de défense et de soutien de l'hôpital de Saint-Claude.

Les groupements hospitaliers de territoires en question

On en est à s'interroger sur le sens des groupements hospitaliers de territoires (GHT) instaurés par la loi Tourraine et mis en place l'an dernier. « Ils n'étaient pas annoncés comme ça. Au départ, ils étaient seulement économiques, devaient permettre des achats groupés de médicaments ou de matériel », note Christelle Tisserand, secrétaire générale du syndicat CFDT Santé-Sociaux du Doubs qui n'a cependant « pas la preuve du lien avec les fermetures... »

Pour Michel Antony, du comité pour la défense des services publics de proximité de Haute-Saône, ce qui passe, tant à Saint-Claude qu'à Gray, est « la suite logique des GHT : les petites structures vont avoir à se restructurer alors que les grands ensembles n'auront pas de moyens supplémentaires... » Il est bien évidemment à craindre qu'une conséquence soit l'engorgement des hôpitaux devant recevoir les patients ne trouvant plus de service près de chez eux...

« On ose espérer que le rattachement de Gray au GHT du CHU de Besançon n'est pas une cause de leurs soucis », souligne Patricia Aubry, secrétaire départementale de la CFDT Santé de Haute-Saône. Pour Gilles Spicher, en charge du secteur santé-sociaux au comité régional CGT, la cause est entendue : « les groupements hospitaliers de territoire sont des instruments de restructuration, de fermeture de lits et de diminution de l'offre de soins ».

Parmi les animateurs des luttes locales, la convergence des mouvements s'impose comme une nécessité pour faire face à ce qui considéré comme un rouleau compresseur. Mais des mots aux actes, le pas n'est pas facile à franchir.
« Pour l'instant, chacun roule pour soi. Il faudrait une convergence régionale, mais on en est loin, on n'a pas les forces à la hauteur des enjeux », reconnaît Gilles Spicher.

Au CODESOHO, qui vient d'adhérer à la coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité, on est aussi conscient de la nécessité d'un combat plus global. Reste, indique André Jannet, que ce n'est pas le niveau régional qui est envisagé, mais carrément national : « manifester devant l'ARS ne nous intéresse pas, on regarde pour voir comment on pourrait organiser une marche sur Paris de tous les petits hôpitaux menacés ». Il se rend ces jours-ci avec Francis Lahaut à Oloron, dans les Pyrénées, pour rencontrer Jean Lassalle et quelques autres sur cette problématique.

 

 

 

 

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