De la route de la soie aux chemins de Katmandou…

L’Asie fascine Martine et Jean-Marc Thérouanne, le couple de programmateurs du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul qui se tient du 5 au 12 février. Comme un grand travelling à travers la totalité géographique qui va de l’Oural au Pacifique, la 19ème édition révèle des pays, des coutumes, de la beauté et de la douleur avec des coups de projecteur sur l’Inde, l’Indonésie, l’Arménie et Hong Kong…

Une vie simple -3

 

Le programme du festival ici

D’où vous vient cette passion pour l’Asie, ce désir de partager les films de ce continent ? De voyages ou de votre cinéphilie ?

Martine : Adolescente, dans les années soixante, j’étais adhérente de l’Association culturelle haute-saônoise qui s’occupait du ciné-club dont les films étaient projetés au cinéma Vox. J’ai découvert l’Asie, en 1968, par la Turquie, grâce à l’aumônier du lycée Gérôme qui organisait des voyages scolaires. Etudiante je militais au « Point de Mulhouse » pour une approche alternative de l’Autre. C’est ainsi que je me suis rendu par voie de terre de Vesoul en Inde, en passant par la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan. L’esprit « Routard » des années 60-70 soufflait très fort à cette époque, et les pays traversés étaient en paix et avaient des régimes politiques bien différents de ceux d’aujourd’hui.

Jean-Marc : le premier film asiatique que j’ai vu dans ma vie c’est « L’île nue » de Kaneto Shindo en 1964. Par la suite étant devenu parisien à 17 ans, en 1970, c’était l’époque de la découverte des films dit de karaté. Je me souviens d’en avoir vu dans un cinéma des grands boulevards où l’on ressentait les vibrations du métro à chaque passage de rame. Par la suite j’ai découvert l’œuvre de Satyajit Ray, projeté dans les salles du quartier latin. En 1982, je me rends en Asie du sud Est pour visiter sac au dos, Singapour, la Malaisie et la Thailande. C’est en faisant une halte dans l’île de Koh Samui, au village de pêcheurs de Lamaï Beach, que j’ai rencontré la femme de ma vie, Martine Bauquerey, vésulienne de toujours. Un an plus tard, elle devient mon épouse, et je deviens vésulien. L’Asie est pour moi le continent de la destinée.

Comment procédez-vous pour sélectionner les films ?


En dix-neuf ans cela a beaucoup évolué. La manifestation s’est considérablement développée, passant, d’une section thématique à un festival avec plusieurs sections .
Depuis neuf ans, pour être en compétition fiction, il faut que le film soit présenté en première française au minimum. Actuellement, pour la compétition fiction, Martine et moi visionnons près de 400 films par an. Depuis quatre ans nous nous rendons en Corée du Sud, notamment au prestigieux festival de Busan, le Cannes de l’Asie. C’est essentiellement là que nous faisons notre marché.
Pour la compétition documentaire nous visionnons environ 100 films par an. Pour les autres sections nous nous référons à notre culture cinématographique qui s’est faite tout au cours de notre vie. Nous sommes en contact permanent avec les maisons de production et les distributeurs français de films asiatiques. Nous nous rendons à environ six festivals par an où nous sommes parfois membres de jury (New Delhi, Busan, Manille, Séoul, Hanoi, Istanbul…). Le festival de Cannes c’est avant tout pour les contacts réalisés au marché du film.

Le Festival est un vaste panorama où l’on peut prendre le pouls du monde. Quelle est la place accordée au cinéma Chinois cette année ? Quel regard politique avez-vous sur ce pays dont la culture fascine et dont l’économie et le social questionnent ?

Cette année c’est avant tout la Chine de Hong Kong qui est mise à l’honneur. Le Festival s’ouvrira avec Une vie simple d’Ann Hui, en avant-première. La cinéaste hong-kongaise Emilie Tang viendra aussi présenter son film All Apologies, en première française. Un hommage sera rendu au grand acteur hong-kongais Leslie Cheung, disparu il y a dix ans. Le FICA a sélectionné dix films clés de sa carrière, dont certains inédits en France, montrant les différentes facettes du talent de l’acteur.

La thématique « Sur les routes d’Asie » emmène le spectateur vers l’idée de voyage comme la littérature lors du Festival « Les étonnants voyageurs » de Saint Malo : des routes de la soie, au chemin de Katmandou, sur les traces des peuples nomades des steppes de Mongolie ou sur celles d’Elia Maillart, pourquoi cette rétrospective ?


Nous avons choisi ce thème comme une invitation au voyage dans les vaisseaux du rêve que sont les salles de cinéma. Nous avons découvert l’Asie par voie de terre : par voie de terre le voyage a une autre dimension, une autre approche. L’approche temps n’est pas la même que par l’avion. L’avion transporte brutalement. Par la route, il y a le temps réel de l’humain.

Vesoul fête en avant-première nationale le centenaire du cinéma indien, un cinéma prolixe quand on connaît la production de Bollywood…

En effet 2013 sera l’année du centenaire du premier film de fiction indien Raja Harishchandra de Dundhiraj Govind Phalke, le pionner de ce cinéma. Une rétrospective présentant dix films marquant de l’histoire des cinémas régionaux de l’Inde a été mise en place par Martine Armand, considérée comme l’ambassadrice du cinéma indien en France.
Le grand réalisateur indien Goutam Ghose est l’invité d’honneur de cette rétrospective. Il a réalisé treize films de fiction et plus de trente documentaires et courts métrages en bengali, mais aussi telugu et hindi qui ont été primés en Inde comme à l’étranger. Il a aussi été récemment acteur dans deux films. Il est le seul Indien a avoir reçu le Prix Vittorio de Sica. Il présentera son film « Paar, la traversée » inédit en France.

Avec ses 29441 spectateurs, le FICA est la troisième manifestation régionale après les Eurockéennes et le FIMU, quel est le budget du Festival ?

Le FICA a toujours eu lieu en début d’année, c’est une difficulté, en effet nous ne savons jamais de combien nous allons disposer. Nous avons eu une mauvaise nouvelle, le Ministère des Affaires Etrangères qui nous soutenait depuis plusieurs années, en raison de notre travail en profondeur de défense des cinématographies dites du Sud, vient de nous informer de façon laconique qu’il nous supprimait intégralement notre subvention. C’est une énorme tuile qui peut réduire à néant 19 ans de travail acharné.

Depuis quelques années le FICA s’est décentralisé. Quelles sont les villes concernées par la programmation et quel est votre bilan par rapport à l’extension de ce Festival ?


Depuis 2000, en avant goût du festival nous organisons des séances dans les villes de Haute-Saône qui ont des salles de cinéma permanentes : Dampierre-sur-Salon, Gray, Lure, Luxeuil-les-Bains et Saint-loup-sur-Semouse. Nous le faisons parce que nous pensons qu’un festival doit nourrir un territoire, nous le faisons aussi pour des raisons pédagogiques (montrer à un public scolaire ou associatif qu’il existe une image différente, une image venue d’ailleurs et que le cinéma n’est pas que français ou américain). Economiquement cette décentralisation coûte au festival, mais il est dans la philosophie du festival de favoriser le dialogue des cultures, de défendre la liberté de création et de sa diffusion. Mettre en place un Festival International, c’est aussi défendre une certaine idée de l’homme et des rapports humains.

 

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