Dans l’œil du viseur…

Nous avions prévu d’organiser une projection du film « Un Pays qui se tient sage » de David Dufresne le 24 novembre. Nous avons annulé cette rencontre suite à la crise sanitaire. Néanmoins il nous semble important de traiter dans notre page consacrée au cinéma, la question du devenir des images de violences policières « incluses » dans le film de David Dufresne, et, en même temps, d’exprimer ici comment les documentaristes sont visés de plein fouet par la Loi sécurité globale. Ils sont créateurs d’images en filmant les événements, receleurs en acceptant dans leurs films les images des autres et vestales modernes en veillant sur des images préexistantes.

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Les images filmées par les téléphones apportent la preuve immédiate des violences policières. Images rudes. Tremblantes. Prises sur le vif.  En dehors de leur usage juridique (la preuve) et de leur apparition, véritable cri d’alarme sur les réseaux sociaux, comment faire pour les pérenniser ou les rassembler ?

Comment faire pour que tout en gardant la trace des luttes des dérapages, des bavures, elles s’emparent de leur fonction de mémoire ? Comment le cinéma, - film sur support -, peut les relayer afin de les conserver et les faire entrer dans l’Histoire comme témoignage ?

A titre d’exemple lors des grèves de 68 à l’usine Peugeot, à Sochaux le 11 juin, lors d’une manifestation, deux ouvriers (Beyot et Blanchet) sont assassinés par les brigades de CRS envoyées par les patrons. Il y aura 150 blessés graves, des mutilés, des amputés.

Présent sur place pour filmer les grèves, le cinéaste Bruno Muel (bien connu à Besançon pour son appartenance au Groupe Medevedkine) n’a pas réalisé d’images de cette manifestation. Il apprend qu’un chauffeur de taxi a filmé les charges policières et se met en quête des images afin de les réintroduire dans le film Sochaux, 11 juin 1968 comme traces de cette journée sanglante. Réintroduire les images redonne une existence à cet événement, à cette violence sans nom. Elles attestent les événements et les inscrivent sur la durée.

En 2005, le 27 Octobre, poursuivis par des policiers, deux adolescents Bouna et Syed se réfugient dans un transformateur à Cergy Pontoise ; ils meurent brûlés vifs. Danièle Huillet et Jean-Marie Straub réalisent un documentaire intitulé Europa 2005 – 27 octobre : A défaut d’avoir des images et devant la nécessité de mettre en mémoire l’horreur, ils filment le transformateur en ajoutant des intertitres tels que Chambre à gaz chargés de signaler l’absence d’image de manière frappante. Il s’agissait pour les deux cinéastes de faire surgir une mémoire, une lisibilité, afin que nul n’oublie…

Les téléphones, nouveau cinéma-vérité ?

En filmant les scènes de nuit dans son film L’Epoque, Mathieu Bareyre ne réalise pas un film sur les violences policières, et, si elles adviennent, la caméra s’en empare (parce qu’elle est là) reprenant inconsciemment les mots de Chris Marker : « On ne sait jamais ce qu’on filme ».

Dans Un Pays qui se tient sage, David Dufresne invite les citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’État. Au départ le journaliste documentariste a relayé sur Twitter et dans la plateforme Allô place Bauveau hébergé par Mediapart les images de violence des manifestations des gilets jaunes. Dans son film il les réutilise en alternance avec des intervenants qui dialoguent devant un fond clair-obscur. Sur grand écran, la violence surgit de l’obscurité, format téléphone. En procédant ainsi le réalisateur revendique l’existence d’un cinéma-vérité né des téléphones et des réseaux sociaux. Réinjectées au cinéma sur grand écran ces images testimoniales posent la question de la possibilité d’un contre récit à valeur documentaire. Avec la mise en application de la Loi sécurité globale, le film de David Dufresne ne pourrait plus être diffusé.

Il s’agit là d’une première approche de ce film dont nous reparlerons, nous l’espérons, lors de la venue de David Dufresne.

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