Dès qu’il a pris une caméra François Royet a réalisé des films sur des peintres : « Je m’aperçois aujourd’hui seulement que depuis mes tout premiers courts-métrages consacrés au travail de différents artistes, je ne cesse de poursuivre la même chose : un mystère, une chimère…
De tout acte créateur, porteur d’une volonté à la fois insaisissable et nécessaire, naît quelque chose. Je sais aussi que ce « quelque chose » que je poursuis, ce mystère de la création m’est et me restera à jamais inaccessible… Et c’est justement pour cela que je veux encore et encore tenter de l’approcher… »
Le regard de François Royet sur la peinture
Né à Pontarlier, le cinéaste vit dans un petit village du Jura. Cinéaste de fictions et de documentaires, il est également chef opérateur et scénariste. Il a travaillé avec de nombreux cinéastes et depuis 2006, il est l’un des chefs opérateurs du réalisateur Luc Jacquet (« la Marche de l’empereur » et « Le renard et l’enfant »).
Cette semaine, nous présentons cinq films de François Royet, un auteur fasciné et questionné par l’acte de peindre, les conditions dans lesquelles les œuvres se font. Attachons-nous à regarder la forme vivante du cinéma de François Royet à travers la peinture de Monet (« Huile sur toile », 1992), les petites œuvres de Jean Daligault, peintre prêtre résistant exposées à la Citadelle (« Crayon terre, savon et rouille sur fond de journal », 1995) et de Charles Belle avec lequel il chemine en cinéma depuis quelques années (« Ce chou si beau », « Toutes les feuilles de son figuier »). Un petit tour par Courbet (« Courbet, la tourmente », 2000) complètera ce voyage en peinture. François Royet voue une immense admiration au peintre franc-comtois, pour ses œuvres et sa force iconoclaste dans la tourmente et la révolte.
Claude Monet
Aujourd’hui, nous vous présentons « Huile sur toile » un film dédié à Claude Monet réalisé en 1992 (Prix Art/Fiction au festival du film d’art de l’UNESCO).
Claude Monet débarque à Belle-ile-en-mer avec sa palette et quelques toiles pour une paire de jours seulement... Devant la richesse des changements de lumière incessants sur la côte sauvage il dira : « Je sens que chaque jour je la comprends mieux, la “gueuse”, ce nom lui va bien ici, car elle est terrible, elle vous a de ces tons d’un vert glauque et des aspects absolument terribles ; bref, j’en suis fou ».
Il va finalement rester là plus d'un mois durant. Dans la dernière partie de cette campagne, passionné par les effets picturaux de la tempête, Monet ira jusqu’à peindre sous le vent et la pluie pour obtenir certains effets produits par une mer en furie. Un observateur dira : « Les rafales lui arrachent parfois sa palette et ses brosses des mains, son chevalet est amarré avec des cordes et des pierres. Qu’importe, le peintre tient bon, et va à l’étude comme à une bataille … ».
Les trente-neuf sujets bellilois sont aujourd’hui exposés aux quatre coins du monde, trace indélébile de la passion d’un homme pour la lumière.
Huile sur toile
« Ce qui m'a touché dans cette démarche c'est cela justement ; la passion, celle qui peut emporter quelqu'un bien au delà de ses propres intentions, celle qui dépasse tout, qui tourne quasiment à l'obsession », explique François Royet. « Lorsque plus tard, il va s'intéresser à la lumière qui donnait à voir de simples meules de foin dans un champ, le même phénomène se reproduira... Un autre témoin écrira : "Si le paysan n'avait pas fini par rentrer son foin, il serait encore en train de les peindre...". L'idée qui veut que lorsqu'on s'intéresse vraiment à quelque chose, que l'on se prend à en observer les moindres changements, on finit par y voir le monde tout entier et plus encore, me plait particulièrement. Et ces quelques toiles qui ornent aujourd'hui les cimaises des musées ne sont-elles pas la preuve tangible de l'énergie de vie d'un homme qui partage avec nous sa passion pour le pouvoir d'impression de la lumière ? D'un coté, un acte, solitaire, silencieux. De l'autre, la trace laissée par cet acte. Juste ça... De l'huile sur une toile... Vraiment, que cela ?»
Désirs et risques…
Dans ce court-métrage de 1992, François Royet montre comment en peignant le même motif à différentes heures de la journée et à diverses saisons, Claude Monet travaillait sur plusieurs toiles, ce qui lui permettait de capter et de restituer la beauté des paysages maritimes à la fois multiple et singulière.
La caméra suit les déambulations du peintre au point de se mettre en danger. En s’approchant au plus près de l’acteur (Bernard Cupillard) et en captant le climat sonore du film (rage du vent et fougue des vagues) le cinéaste remet le peintre dans les conditions de lumière et de mouvement de ses œuvres. Un film éclairé et immergé par le désir du cinéaste à saisir la passion de Monet, comme si la mise en danger du peintre entrait en résonance avec le risque du cinéma.
« Filmer le prodige qui transformera de la matière inerte : pigments, huiles, en une pure et véritable émotion » dit encore François Royet.
- Pour voir le film, cliquer ici. Durée 9 minutes.