Cinéma : retour de La Rochelle

Michèle Tatu continue sa quête d'images et de souvenirs. Son retour en train du festival international du film lui a donné le temps de penser à ce que l'imaginaire trie... Florilège d'impressions sur la nature humaine et les paysages, le réel et la fiction.

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Laisser derrière soi, la lumière blanche de la Rochelle, les lumières bleues du soir quand juillet s’étire sous les volutes roses des nuages.

Laisser derrière soi, la multitude d’images vues lors de la 42 ème édition ; en emporter certaines. En oublier d’autres.

Se pencher ensuite contre la vitre du TGV pour traverser la France jusqu’à l’Est. Renoncer à la beauté de l’océan pour regagner les paysages de moyenne montagne. Faire comme si, lorsque la mémoire s’efface, il fallait désormais compter avec les fragments, les séquences marquantes.

Se souvenir du cinéma.

Et au cours du voyage, revenir sur les images de paysage qui parcourent les films et se déposent dans l’imaginaire, comme de précieux souvenirs.

Et ce dont on se souvient, à l’instar des voyages serait, - au-delà des contrées traversées -, comment les cinéastes parlent du monde et ce qu’ils dessinent de la géographie intime des personnages, de leur déplacement d’un lieu à l’autre, d’un espace fermé au vaste horizon.

Party Girl de Marie Arnachoukeli, Claire Burger, Samuel Thies est un film hybride, sur la frontière entre fiction et documentaire, entre l’histoire vraie d’Angélique et sa mise en récit derrière la caméra. Tourné à Forbach, ville frontalière avec Sarrebrück, le film se déplace entre deux langues, entre deux espaces (la boite de nuit et la ville) entre le jour et la nuit. Bel exemple de cinéma de territoire, ce beau film dessine en arrière-plan les contours de l’ancien bassin minier de Lorraine. (Sortie le 27 août)

Dans Le Sel de la terre, de Wim Wenders, le cinéma quitte par instant le territoire de l’image animée pour regarder la photo en face et nous la donner à voir en gros plans noirs et blancs. Ce parcours dans l’œuvre du photographe Sebastiao Salgado depuis son témoignage des évènements majeurs (conflits internationaux, exodes, etc.), jusqu’à Genesis, son hommage à la planète, révèle son regard singulier sur les hommes et les paysages. (Sortie le 15 octobre).

Dans Des Chevaux et des hommes, Benedikt Erlingsson montre les passions qui secouent une petite communauté humaine isolée au cœur de la lande islandaise. Avec une ironie non feinte, le cinéaste aborde le lien entre l’animal et l’homme. L’absence de dialogues souligne une nature sauvage propice aux situations incongrues. Dans ces grands espaces, le cheval permet aux hommes de se rencontrer, de se séparer ou de survivre. (Sortie le 23 juillet)

Rétrécissement de l’espace, l’institution spécialisée de The Tribe, film ukrainien, incarne une société basée sur le trafic et la prostitution. Tout en noirceur le film explore des lieux fermés. Le couple improvisé fait l’amour dans d’improbables hangars désaffectés alors qu’en arrière-plan les filles se prostituent dans la cabine des camions. Rehaussé par le jeu des acteurs, tous sourds muets, le film s’impose, sombre métaphore des pouvoirs.

Frontière dans Ice Poison, de Midi Z, film où un jeune Birman essaie d’aider une femme à faire revenir son enfant de Chine pour qu’il retrouve son pays natal. Pour y parvenir il tente de s’échapper de la pauvreté de la campagne et s’engouffre dans la complexité cruelle de la ville. Le film surfe sur la frontière entre les deux pour nous dire que la misère est partout. Midi Z passe d’un territoire à l’autre, de la ruralité où vivre est difficile à la ville où là aussi c’est encore l’enfer.

Paysage encore dans Sils Maria, quand les montagnes de l’Engadine servent de prétexte à Olivier Assayas pour une réflexion sur l’écriture théâtrale. Je me souviendrai longtemps de l’idée du serpent de nuage, à la fois graal poétique, source d’inspiration de l’écrivain et signe du temps qui passe. (Sortie le 20 août).

Longue traversée aussi pour les émigrants de Hope de Boris Lojkine qu’on découvre aux alentours de Tamanrasset alors qu’ils s’apprêtent à gagner les côtes du Maroc pour arriver enfin dans une enclave espagnole. Dans le déplacement, cette quête vers l’émancipation figurée par le bateau, les hommes rencontrent égoïsme et cruauté, douleur et désillusion.

Et pour conclure, il faudrait parler du Nord qui est le territoire de la plupart des fictions de Bruno Dumont. Lors d’une rencontre à la Coursive le cinéaste expliquait : « C’est quoi un paysage ? C’est un lieu qui va être filmé. Un beau paysage n’est pas forcément bien pour le cinéma. La caméra éveille ce qu’elle filme ». Et dans son œuvre il s’agit bien de cela, magnifier le paysage, magnifier les visages. Transcender : « on trouve l’humanité à force de filmer… », ajoutait le cinéaste pour conclure. (A voir absolument sur Arte « Le Petit Quinquin » les 18 et 25 octobre).

Entre le paysage et l’homme, le cinéma se déplace d’un territoire à l’autre et capte des fragments du monde comme autant de récits possibles : le regard de Jean-Jacques Andrien sur le monde rural est à cet égard singulier : les fermes entourées de hangars montrent la transformation de l’agriculture : « le paysage est le produit du travail de l’homme et le symptôme d’une crise plus large » expliquait le cinéaste.

Au Festival de La Rochelle, on parcourt le monde du matin au soir, de fiction en documentaires, de l’intime au collectif, de l’imaginaire au réel.

Actuellement sur nos écrans

Paris Texas de Wim Wenders.

Film mythique, Palme d’or en 1984, Paris Texas ressort actuellement sur nos écrans. Restauré par l’Immagine Ritrovata, un laboratoire italien, le film retrouve sa splendeur originelle. Travis, un homme hagard et malingre erre dans le désert du Texas. Il a perdu la mémoire et s’enferme dans le mutisme. Ponctuée par la musique de Ry Cooder, son errance géographique du Texas à Houston, se transforme en voyage intérieur avec au centre la très surprenante séquence dans le peep show. Travis engage une conversation avec une blonde vêtue d’un pull angora. Ils se parlent à travers une vitre sans tain et ce moment de cinéma restera une figure centrale de l’oeuvre du cinéaste : voir sans être vu. Entendre sans voir. Tout est là entre cet homme égaré et la femme qu’il a reconnue.

Ce voyage-là présenté au Festival de la Rochelle, n’est pas un parcours initiatique. Le héros fatigué ne cherche pas à découvrir quelque chose mais à reconstituer sa vie.

 


 

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