Cinéma : les beaux chemins buissonniers de la reprise…

19 mai. Il pleut sans discontinuer. Une vraie pluie de cinéma, drue, oblique. Un temps idéal pour retrouver les salles obscures. Habituée à regarder des reprises pendant le confinement, je choisis de passer mon après-midi en compagnie de films restaurés, sorte de madeleine de Proust de ma vie de cinéphile. Plaisir des retrouvailles avec l’émotion collective, de rire ou trembler ensemble devant un grand écran, de plonger dans les histoires du monde fussent-elles réelles ou imaginées… Au menu : « Qui chante là-bas ? », de Slobodan Sijan et les 60 ans de l’Avventura (Prix du Jury à Cannes en 1960).

Qui chante là-bas, sortit en 1980 et actuellement en salle en version restaurée.

Le film Qui chante-là-bas ? du cinéaste Slobodan Sjan  aujourd’hui considéré comme la comédie noire culte des Balkans est un véritable chef d’oeuvre. Je l’avais vu à sa sortie en 1980 et il me restait en tête quelques images d’un bus bringuebalant sur une route tortueuse d’ex-Yougoslavie. A travers un paysage vide, il transporte des personnages haut en couleurs. En quarante ans, du flou s’était installé dans mon imaginaire et refaire le voyage, car c’est bien d’un voyage dont il est question, a pour moi un goût de retrouvailles avec un œuvre rare et osons le dire, une pépite de l’histoire du cinéma.

Nous sommes à la veille du bombardement d’avril 1941. Le bus rouge traverse le paysage désertique de la Voïvodine pour emmener des voyageurs à Belgrade et en prendre d’autres sur le bord du chemin. Un couple de jeunes mariés surgit de nulle part et rêve d’aller au bord de la mer. Un paysan fait payer le droit de passage sur son champ. Un chasseur débarque d’un petit creux vallonné. Un notable. Un tuberculeux. Dans ce théâtre de l’absurde, on croise aussi un convoi funèbre. D’après son père, le jeune chauffeur du bus est capable de conduire avec un bandeau sur les yeux. Et nous spectateurs incrédules attendons l’instant où le jeune homme le fait. Le cinéma n’est-il pas capable de tout pour nous étonner ?

On avance donc sur cette route chaotique avec une poignée d’individus composant un microsome social avec ses travers : la cupidité, la duplicité… Et à la fin du film, le racisme quand les musiciens tziganes sont accusés du vol d’un portefeuille. Nous, spectateurs, avons vu le portefeuille tomber sur le sol. Sans vous raconter la fin, l’Histoire se chargera de rétablir la vérité. Ce film presque inclassable aborde plusieurs  genres, du western au road movie avec un traitement proche du néo-réalisme italien. Ce qui est encore plus fort c’est comment le film raconte l’histoire éternelle de la Yougoslavie face à un cataclysme imminent.

Les 60 ans de l’Avventura (Prix du Jury à Cannes en 1960)

J’ai choisi L’Avventura de Michelangelo Antonioni comme deuxième film de ce 19 mai, car les riches heures du cinéma italien ne cessent de m’émerveiller. Les différents confinements m’ont donné l’envie de revisiter le cinéma italien du néo-réalisme à la comédie italienne et  j’ai depuis toujours une attirance vers la modernité des films de Michelangelo Antonioni, un de mes cinéastes préférés.

L’Avventura, film  réalisé il y a juste soixante ans est le symbole d’une grande liberté de filmer. Sur une île semblable aux paysages volcaniques ayant servi de décor au film Stromboli de Rosselini, une femme (Léa Massari) arrivée en yacht avec des amis disparait subitement.  L’île sauvage et rocailleuse, battue par tous les vents, se prêtait au décor d’un film énigmatique. Sandro, son future mari, (Gabriele Ferzetti) la cherche avec Claudia (Monica Vitti) et entre ces deux personnages naît un amour passionnel et inquiet.

Le film pratique une rupture dans l’art narratif car le réalisateur ne résout pas l’énigme et confronte ses personnages à la solitude et au vide sur des paysages fantomatiques, des villes effleurées comme des tableaux en arrière-plan. C’est aussi  un film charnière dans l’histoire du cinéma italien puisque Michelangelo Antonioni abandonne l’humanisme de ses prédécesseurs et s’engage vers une autre représentation du monde moderne. De plus, on assiste à l’émancipation d’une femme (Monica Vitti), filmée au bord du cadre par un cinéaste qui, à l’issue du film partagera une partie de sa vie avec elle.

Prémices d’un changement de la figure féminine au cinéma, sans doute, mais surtout film troublant et novateur dans le sens où la plupart du temps, le cinéma offre aux spectateurs la possibilité de résoudre une énigme. Ici, le film s’ouvre sur la béance d’un mystère irrésolu. Effacement d’un personnage pour orienter la fiction vers la naissance d’une passion.

La richesse du cinéma français
La programmation bisontine comme partout ailleurs fait la part belle aux films sortis juste avant le confinement. Les films français se taillent la part belle, puisqu’on  retrouve Garçon chiffon de Nicolas Maury, Adn de Maïvenn, Adieu les cons de Albert Dupontel, Sous les étoiles de Paris  de Claus Drexel auxquels s’ajoutent des nouveautés à l’instar de Slalom de Charlène Favier et L’Etreinte  de Ludovic Bergery, deux premiers films, Mandibules de Quentin Dupieux. Très peu de films américains à l’affiche : les grands groupes se sont chargés de les sortir en streaming sur Netflix, Amazon et autres consorts,  ce qui d’une certaine façon favorise le cinéma Hexagonal. Quant à l’embouteillage annoncé, attendons de voir dans les semaines à venir si les films ne font que des apparitions rapides ou si des mesures sont prises pour qu’ils trouvent tout leur public.

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