Cindy Léonie : « la discrimination tue les talents »

La présidente nationale de SOS racisme était mardi soir à Besançon pour un débat au cours duquel elle a demandé à François Hollande le « courage politique » de signer le décret d'application de la loi sur les CV anonymes.

Cindy Léonie

Elue en juillet dernier présidente nationale de SOS racisme, Cindy Léonie n'a « pas encore rencontré » le premier de ses prédécesseurs, un certain Harlem  Désir. « Vous pouvez en rire, mais ça m'agace. Sa facilité à oublier qu'il a été président de SOS est dérangeante... » Cindy Léonie participait mardi soir à Besançon à un débat qui n'a pas épargné les socialistes, après la projection du film de Yamina Benguigui Le Plafond de verre. Réalisé en 2004, il applique aux diplômés issus de l'immigration cette expression désignant l'obstacle invisible à la promotion des femmes.
« La discrimination tue les talents », résume Cindy Léonie pour la soixantaine de spectateurs venus aussi entendre cette jeune femme expliquer que le combat contre le racisme n'est pas un long fleuve tranquille. Encore moins tranquille aujourd'hui qu'en 2004 : « Quand on est noir, maghrébin, femme, handicapé, homosexuel, on a moins de chances d'accéder à l'emploi, encore moins depuis la crise ». Elle estime que les réponses politiques ne sont pas à la hauteur, fustige le gouvernement pour ne pas avoir relancé le CV anonyme voté sous la présidence Chirac sans qu'un décret d'application ne soit signé. Elle dit son « exaspération » avec des intonations volontaristes : « le courage, c'est maintenant ! Être militant, c'est être têtu ! »

La « pénurie de stylos » et le « courage politique »

A Younes, psychologue à Pôle emploi, qui demande ce qui empêche François Hollande de signer le décret, elle répond par l'ironie : « la pénurie de stylo ! » avant d'ajouter : « le problème est celui du courage politique : quand la gauche est au pouvoir, elle doit en avoir. J'entends dire que le CV anonyme ne sert à rien, mais des entreprises l'ont expérimenté et c'est bénéfique. C'est vrai qu'il a ses limites, mais quand même, la question de l'adresse ne se poserait plus ». 
Adjoint au maire, Lazhar Hakkar suggère de supprimer les stages pour les collégiens de 4e ou 3e qui sont souvent « les premiers contacts avec la discrimination ». Ou alors il faut en « confier l'organisation à l'Éducation nationale pour ne pas envoyer des gamins au casse-pipe ». Médecin, il sait que la discrimination est « complexe : s'il y a 80 postulants, on peut ne pas pas être retenu pour d'autres raisons que son origine ! Et puis, les gens sont parfois sincères : on recrute qui nous ressemble... » Pierre Gainet, citoyen engagé à gauche, évoque des reculs dus aux difficultés économiques : « Quand on parle aux entreprises de la charte de la diversité qu'elles ont signée il y a quatre ans, c'est aujourd'hui le cadet de leurs soucis, d'où l'importance de l'action ». Un exilé du Maroc qui a « vécu Hassan 2 » et est venu en France il y a 15 ans pour « garder la tête haute », évoque les vexations quotidiennes en formation : « j'étais le seul Maghrébin, on ne me disait ni bonjour, ni au revoir ». Aujourd'hui, il travaille sur les marchés, mais dit aussi son écoeurement quand il entend un commerçant dire au placier : « il y en a marre des Arabes, il faut les chasser ».

« L'éducation, on est là pour ça »

Lorette, souriante jeune femme venue du Congo à l'âge de 10 ans, est perplexe d'entendre « toujours les mêmes débats : chacun doit savoir se vendre à un entretien, mais pour ça, il faut de l'estime de soi. Quand je suis arrivée ici, je n'ai pas bien compris les différences. J'ai été regardée de haut en bas... Mais j'arrive à percer, je prends quasiment tous les postes où je postule... Noirs et Arabes ne s'approprient pas le fait d'être français... »
Marc Dahan, de la LICRA, intervient dans le même sens : « Quand on  intervient dans le primaire, les enfants se présentent souvent en mettant en avant leur culture ou l'origine, mais il faut qu'ils s'assument tous comme des Français. Les parents doivent prendre conscience de ça : ce n'est pas parce qu'on a telle ou telle tradition qu'on n'est pas Français ». Brahim n'est pas d'accord : « ce n'est pas la faute des parents si en France, on juge davantage l'origine que les compétences qu'en Suisse... » Cindy Léonie insiste : « L'éducation, on est là pour ça. Quand on est devant un tribunal, c'est un échec, celui de la république et de l'école qui ont été dans l'incapacité d'éduquer les consciences » 
Hamid, travailleur social aux Clairs-Soleils, veut insister sur « les gens qui réussissent ». Mais un autre témoignage ramène à la réalité : « il y a en France une culture qui a du mal à s'ouvrir... Malgré mon bac électronique, j'ai été refusé à l'institut de mécanique fluide, et moi, petit fils de berger, je suis boucher... J'attends de SOS racisme qu'elle pousse la France des origines diverses, montre le sport qui gagne... » « On se bat contre des idées vicieuses et insidieuses », dit une jeune permanente du siège national qui argumente contre la discrimination positive réclamée par certains : « cela reviendrait à attribuer des postes selon des critères plutôt qu'en fonction du mérite : c'est dévastateur pour l'estime de soi ».
Où en est-on 29 ans après la création de SOS racisme par un homme aujourd'hui à la tête du premier parti de France ? Élu municipal de ce parti à Besançon, Abdel Ghezali fait un bilan mitigé : « J'ai commencé à militer à SOS racisme, on avait muré une régie de quartier sous Robert Schwint, un maire socialiste ! Soutenir un gouvernement de gauche ne veut pas dire que tout va bien : on a encore à faire... » Lazhar Hakkar voudrait un peu plus de volontarisme : « J'aime bien Harlem Désir, mais je regrette qu'il soit un peu mou en moment, je soutiens le gouvernement, mais j'espère que des choses vont changer... »
La lutte contre le racisme est-elle l'apanage de la gauche ? Cindy Léonie en fait plutôt un « combat républicain : j'en ai récemment parlé avec Nathalie Kosciusko-Morizet, je suis ce week-end au congrès du Parti de gauche, je vois ensuite Jean-Louis Borloo... » C'est aussi un combat contre soi-même : « Nous sommes tous avec nos préjugés et des stéréotypes, même moi, mais je les travaille, je les combats : les préjugés peuvent mener au meurtre ». La preuve par la mort d'Ilan Halimi... 

 


 

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