Chaillot : une démolition qui a du mal à passer

L'office HLM Grand-Besançon-Habitat a décidé la déconstruction d'un immeuble de 48 logements après que les 32 locataires ont voté contre une réhabilitation qui aurait augmenté des loyers. La plupart des habitants avaient été relogés après la démolition de la cité Fontaine-Ecu et certains ne semblent pas disposés à accepter de partir. Pascal Curie, le président de GBH, avance des raisons financières...

chaillot-hab-cnl

« Y'en a marre, on a déménagé plusieurs fois. On paie tout, notre loyer, les poubelles, et hop ! Il faut respecter les gens ! » Ce vieux monsieur crie sa colère en faisant de grands gestes, en mêlant mots d'arabe et de français. Habitant la barre du 12 au 18 rue Chaillot, à deux pas du carrefour de la rue de Vesoul et du boulevard Kennedy, il ne veut pas entendre parler de la démolition votée le 26 octobre par le conseil d'administration de Grand-Besançon-Habitat. Il n'est pas le seul. Une dizaine des 32 locataires sont venus à la réunion organisée en urgence par la Confédération nationale du logement, association de locataires dont le représentant a voté contre la mesure annoncée par une note qui a surpris les locataires.

Signée du président de GBH, le conseiller municipal Pascal Curie, vice-président de l'agglo à la prospective et à l'aménagement du territoire, elle explique que le CA a « entériné l'abandon du projet de réhabilitation de l'immeuble » après un vote négatif des locataires en juin dernier. En conséquence de quoi, faute des moyens qu'auraient contribué à apporter les augmentations de loyer qui accompagnaient la réhabilitation, « les administrateurs se sont prononcés à la quasi-unanimité pour la démolition ».

Une menace pour des locataires d'autres quartiers ?

Pascal Curie, président de GBH : « ce n'est pas notre but de passer en force »
Pourquoi avez-vous proposé la démolition ?
En juin dernier, on pensait que le vote sur la réhabilitation allait passer...
Comment expliquez-vous le vote négatif des locataires ?
Des personnes défavorables en ont parlé aux autres... Quand il y a eu la démolition de la grande barre, une première proposition de réhabilitation avait déjà été refusée. Puis il y a eu une seconde proposition, pour 2,7 millions d'euros quand même, avec 491.546 € de subventions de la région, de l'Ademe et du Grand Besançon, soit 18%, pour lesquelles il fallait des travaux thermiques importants, et 652.466 de fonds propres de GBH, soit 24%, destinés à diminuer le surcoût du loyer. Le reste était financé par des prêts.
Les locataires craignaient des augmentations de loyer.
Les services de GBH ont eu deux rendez-vous avec les locataires, fait des diagnostics individuels pour voir les conséquences. Au début des réhabilitations, on avait du mal à quantifier les baisses de charges. Maintenant, avec le recul, on est plus précis...
C'est ça ou rien ?
Des gens ont très peu d'augmentation du loyer chargé, pour quelques uns, ça peut aller jusqu'à 70 € par mois. Des gens étaient demandeurs d'appartements avec une pièce en moins...
La CNL dit que l'immeuble Chaillot n'a pas connu d'entretien depuis 30 ans...
On peut le voir comme ça...
Pourquoi ne pas refaire la façade pour que l'immeuble colle avec le reste du quartier ?
Pour faire de l'isolation thermique, il faut davantage que changer la façade. Dans nombre d'appartements, il faut refaire l'électricité, les pièces d'eau...
C'est au bailleur de le faire !
Certains travaux oui, mais pas tous. Et on a investi...
...600.000 euros...
C'est pour ça qu'on voulait réhabiliter en ayant recours à un procédé participatif, animé par quelqu'un d'extérieur à GBH. Les locataires n'y ont pas été sensibles.
Mettre 600.000 euros et casser, on va parler de gâchis !
On a réfléchi ! On peut récupérer la chaudière, et avoir une subvention de 5000 euros par appartement démonté.
Et si les locataires ne veulent pas partir ?
On va essayer de trouver un parcours positif pour chacun.
Allez-vous rediscuter ?
Quand il y a eu deux refus des locataires, on ne va pas imposer le projet.
Même à d'autres conditions ?
Un coup de peinture ne vaudrait pas le coup, et si on ne fait pas tout, on perd les subventions.
Il y aura un problème économique pour les locataires dont certains ont des revenus très bas.
On les relogera. Il y a des aides possibles... Nous travaillons à un plan stratégique de programmation à dix ans. Il a pris un peu de retard car on attend l'ANRU pour les 408. Mais on va regarder tous les quartiers. Nous mettons 2 millions par an pour l'entretien du patrimoine depuis plusieurs années. GBH avait manqué d'investissements d'entretien auparavant.
Il y a des retards à combler ?
C'est ce qu'a commencé à faire le précédent mandat, avec Michel Loyat. On va refaire l'immeuble Aubépines à Palente, on a une réflexion sur les tours Mirabeau aux Clairs-Soleils, la rue des Causses à Planoise, le tout hors ANRU...
Qu'y aura-t-il à Chaillot si vous démolissez ? Depuis quand envisagez-vous cette hypothèse ?
Pas depuis longtemps... D'abord, à la place de la grande barre Fontaine-Ecu démolie, il y aura une maison des seniors de Nexity d'un côté, et des petits immeubles dont un à GBH : on garde un peu de logements sociaux, mais pas trop car il y en a sur l'ancien site Veil. Sur Chaillot, je ne peux pas dire maintenant si on reconstruira ou si on vendra. Mais on n'est pas dans la logique d'éloigner le logement social de la ville. On a par exemple une cage d'escalier dans le bâtiment du dôme à Fontaine-Argent...
Comment appréhendez-vous la question du logement ?
GBH construit une soixantaine de logements par an et en réhabilite 80 sur un total de 5600. A terme, on va en perdre 500 aux 408 où il reste 39 logements occupés au numéro 13 : on veut le vider car on perd beaucoup d'argent, environ un million, car on continue à tout chauffer...
Comment gérez-vous le relogement ?
Sur Chaillot, c'est GBH qui gère. Sur les 408, c'est l'agglo, en lien avec tous les bailleurs. Des habitants des 408 veulent aller à Planoise pour avoir le tram, des bus et des services, mais c'est impossible en raison du règlement de l'ANRU qui prévoit qu'on ne peut pas quitter un quartier prioritaire pour un autre quartier prioritaire... Quand on remet Chaillot au milieu de tout ça, on ne peut pas aller plus loin. Mais ce n'est pas notre but de passer en force...

Cela fait d'autant plus bondir les locataires et les militants de la CNL que GBH vient de refaire la toiture de l'immeuble et installé une nouvelle chaudière. « Il y en a eu pour 600.000 euros », s'insurge Jean-Paul Esnault qui a assisté au conseil d'administration. Il rapporte que Pascal Curie a indiqué au CA que GBH ne « pouvait pas investir davantage » dans ce bâtiment, et qu'il mettait la démolition à l'étude : « ça veut dire qu'ils cherchent l'argent pour financer la démolition... Deux ou trois voix ont dit que c'était aller vite en besogne... On peut le voir aussi comme une menace pour des locataires d'autres quartiers : s'ils votent contre une réhabilitation, ils risquent la démolition de leur immeuble... »

La suite de la note de Pascal Curie interpelle encore davantage la CNL : « Compte tenu des caractéristiques de l'immeuble et de son intégration dans le quartier en rénovation, seule une opération de réhabilitation de grande ampleur était envisageable... » Autrement dit, « ils veulent démolir l'immeuble car il n'est pas beau », dit Alain Genot, militant de la CNL. La barre Chaillot dénote en effet dans un environnement immobilier en pleine mutation : des petites résidences ont été construites récemment à l'emplacement de ce qui fut l'usine Veil. Les fondations sont en train de sortir de terre là où, il y a quelques années, s'imposait au paysage la grande barre et une tour de Fontaine-Ecu.

« Des personnes âgées qui ont leurs repères ici »

Les habitants de Chaillot s'en souviennent bien, la plupart y ont habité. « Je suis arrivée dans la grande barre en 1968, ils m'ont relogée là depuis trois ans », dit Martine Naegely. « J'ai habité près de trente ans à Fontaine Ecu et me voilà ici », ajoute Ali Djelkhir. « On a vécu 22 ans à Fontaine-Ecu et ça fait 7 ans qu'on est là, on a déménagé nous-mêmes », dit Michel Badet. Sylvette Frachebois était « tranquille dans la petite tour » avant de venir dans la barre Chaillot il y a quatre ans.

Tous se connaissent. Ils font société comme des voisins qui s'apprécient et apprécient la fonctionnalité et le calme du quartier. Le bruit du boulevard ? « On n'entend rien, on est habitué », dit Michel Badet. M. Berichi habite ailleurs, mais il est venu représenter sa mère à la réunion : « A 71 ans, elle a ses habitudes, la maison médicale tout prêt, tous les commerces à proximité. Ce sont des personnes âgées, elles ont leurs repères ici... » La taille des logements est une autre explication : « il n'y en a pas d'aussi grands ailleurs », dit la lycéenne Sabrina. C'est ce que dit un jeune homme, lycéen lui aussi, venu représenter sa famille : « on vit dans un F6 et on ne veut pas aller ailleurs, par exemple à Planoise où il y a trop de problèmes, ici c'est tranquille ».

« Les travaux d'entretien sont budgétés »

Tous racontent que GBH leur a promis qu'on les laisserait tranquilles s'ils passaient de Fontaine-Écu à Chaillot. Ils disent aussi que leur nouvel immeuble n'a pas été correctement entretenu. C'est pour cela qu'ils voyaient d'un mauvais oeil, car trop coûteuse, la réhabilitation proposée. « Ce qu'ils demandaient pour réparer, c'était une somme », dit une dame.

La faiblesse des revenus, retraites comme emplois ou minima sociaux, explique l'extrême sensibilité des locataires HLM à ces réhabilitations. Certaines se traduisent par des hausses de loyer compensées par des baisses de charges, notamment d'énergie quand des travaux d'isolation ont été entrepris. Mais ce n'est pas systématique : « Rue de Cologne, à Planoise, un gars au RSA a vu son reste à payer passer de 133 à 205 euros. On ne lui a proposé que de déménager ! Pour d'autres, l'impact a été entre zéro et 70 euros de plus par mois », explique Alain Genot.

Il estime que GBH doit effectuer les « travaux d'entretien budgétés » que sont la réfection de l'électricité et des parties communes. Et si l'immeuble Chaillot fait tâche dans le quartier, refaire la façade est une bonne solution. C'est ce que devraient défendre les locataires qui ont convenu de se retrouver pour rédiger une pétition. « Soit vous ne dîtes rien et ça se passera comme dans la lettre, soit vous dîtes tous ensemble que vous n'êtes pas d'accord. Comme lorsqu'il y a eu une panne d'ascenseur il y a deux ans et que vous avez prévenu la presse : ça a déclenché les travaux », avait dit Alain Genot, manifestement convainquant. Cela suffira-t-il ?

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !