« Ce n’est pas parce qu’on est suivi en psychiatrie qu’on est fou… »

Président du réseau français sur l'entente de voix, Vincent Demassiet a témoigné à Besançon d'une souffrance qu'une camisole chimique peut empêcher d'analyser en gommant les émotions. Et conduire à des diagnostics du schizophrénie ou de bipolarité qui cachent des causes traumatiques.

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Quand arriva dans la messagerie de Factuel l'invitation de l'association pour la psychiatrie citoyenne de Franche-Comté à la conférence de Vincent Demassiet, l'expression « entendeur de voix » attira mon attention. Quelque mois auparavant, j'avais été saisi par son témoignage sur l'émission de Sonia Kronlund sur France Culture, Les Pieds sur Terre. C'était celui d'un homme revenu de l'enfer. Il avait choisi d'en parler, de le décrire, mais aussi de nommer les étapes de la reconquête progressive de sa liberté, de son bonheur. Quelques semaines plus tôt, il en avait parlé à une journaliste du site Histoires ordinaires qui a publié un article très complet qui résume son intervention et qu'on peut trouver ici.

Pour qui est loin de ces questions, c'est une découverte qui interpelle. Pour les 7 à 14% de la population qui entendent des voix, et particulièrement ceux qui en souffrent - 1% sont en hôpital psychiatrique - en parler fait un bien fou, peut être vital. Passé il y a quatre ans par un groupe de parole réunissant des entendeurs de voix à Mons-en-Bareuil (Nord), Vincent Demassiet y a trouvé le déclic avant de devenir le président national du Réseau français sur l'entente de voix.

« Ma vie était entre canapé, toilettes et frigo »

Depuis, il parcourt les villes pour aider les entendeurs et leurs familles. Lundi 9 mai à Besançon, il a tenu en haleine la centaine de personnes venues l'écouter. Un traumatisme est à l'origine de sa maladie, un viol à 11 ans, suivi de plusieurs autres, dont il n'a jamais osé parler à ses parents. Les voix se sont manifestées juste avant sa première expérience amoureuse. Il entendit son compagnon l'insulter, mais celui-ci n'avait rien dit...

Il rentre chez lui et les voix continuent à l'insulter : « t'es nul, t'es une grosse merde... » Elles lui mentent. Il finit à l'hôpital psychiatrique, rebondit en investissant un travail où il écrase les autres, gagne beaucoup, se drogue, boit... Après un soupçon de spasmophilie, le diagnostic de schizophrénie tombe. Il s'enfonce, va jusqu'à peser 200 kg, passe sa vie « entre canapé, toilettes et frigo », fait des tentatives de suicide.

« La société stigmatise,
l'institution stigmatise,
on s'auto-stigmatise... »

Un jour, sa mère le convainc de se rendre à une réunion où Ron Coleman lui dit : « tu es Vincent et tu es entendeur de voix, comme 7 à 14% de la population ». C'est le début de la reconquête de sa vie, de son destin, par la parole, l'échange de tuyaux entre entendeurs de voix. Au bout d'une heure de conférence, il conclut : « la société stigmatise, l'institution stigmatise, on s'auto-stigmatise. Si vous voulez vous aider, croyez en vous. C'est la personne qui doit mettre son timing. C'est quoi le plus important, le bonheur des gens ou la projection qu'on a pour eux du bonheur ? Être heureux est la meilleure chose qui peut vous arriver... »

Après de chaleureux applaudissements suivis de longues secondes de silence, s'engage alors un dialogue avec une jeune homme de 23 ans assis au premier rang qui témoigne : « je prends un traitement pour un diagnostic de bipolarité, puis de schizophrénie... Il y a deux ans, j'ai arrêté le cannabis. J'entends quatre types de voix : d'hommes, de femmes, de défunts, d'autres planètes... Avant mon traitement, je passais des heures à discuter avec ces voix, ça m'a éloigné de mes amis, j'ai fait cinq fois de l'hôpital psychiatrique... Ces voix ne m'insultent pas, m'aident à programmer ma journée, peut-être l'une d'elle est-elle celle de Jésus... Je suis catholique à la base, mais je suis devenu bouddhiste. Je suis isolé socialement. Pour les gens, c'est de la folie, mais je sais faire la part des choses. Parfois, ces voix sont plus intéressantes que certaines personnes... »

« Les traitements me supprimaient toute émotion »

Vincent Demassiet répond : « Ces voix, comme n'importe qui, existent. Mais si à un moment elles t'énervent, tu peux leur dire : pas maintenant... »
« - Elles sont peut-être responsables du fait que je n'ai pas réussi scolairement ou auprès des filles, j'ai peur de devenir marginal... »
« - C'est quoi ton rêve ? »
« - Être un artiste... »
« - Si tes voix t'aident, pourquoi ne pas les garder ?, mais mets leur des limites... »
« - J'ai du mal à me positionner par rapport à ces voix. Ou c'est une maladie, comme disent les psychiatres... »
« - Un groupe d'entendeurs de voix va s'ouvrir à Besançon, comme à Dijon ou Laxou (près de nancy) où tu pourras échanger, être cru... »
« - Je suis en colère... avec ma famille, que je sois malade ou pas. C'est pour ça que je suis venu à la conférence avec ma mère... »
« - Ça te pose problème, amène ta souffrance dans le groupe. Ça ne marche pas tout de suite, ça vient petit à petit. Tes parents peuvent respecter tes croyances, respecte les tiennes. Trouve une solution pour mieux gérer cela... »
« - Les traitements me supprimaient toute émotion. Avec le nouveau traitement, je contrôle mieux. La psychiatrie m'a éloigné de la vie d'avant, festive... Certains me disent que c'est à cause du cannabis que j'entendais des voix, mais c'est plus compliqué que ça... »
« - Les drogues ne sont pas la cause, mais les déclencheurs. Où veux tu arriver et que mets-tu en place pour y arriver ? »
« - La psychiatrie m'a brisé sur l'image que j'avais de moi, j'ai été traité comme un animal dans un zoo... »
« - Ce n'est pas parce qu'on est suivi en psychiatrie qu'on est fou... »

« Ce n'est pas parce qu'on a des difficultés sociales ou psychiques
qu'on ne doit pas voir respecter les droits... »

Le jeune homme sort fumer une cigarette et revient un instant plus tard : « Je viens de parler avec un autre entendeur de voix. On s'est dit qu'il fallait accepter ce que donnent les voix, mais ne pas être à leur service... » Vincent Demassiet s'enthousiasme : « Vous venez de créer le premier groupe d'entendeurs de voix de Besançon... » 

Un autre jeune homme intervient : « Quand j'étais petit, je parlais souvent tout seul, j'avais l'impression d'être en communication avec un autre moi-même... » Vincent Demassiet répond : « Un ami imaginaire est acceptable, mais quel mot met-on dessus quand on est adulte ? » La question lui fait aborder les voix dans d'autres cultures, le chamanisme, le vaudou, le « mauvais œil »... Leur méconnaissance peut déboucher sur des erreurs de diagnostic, de la maltraitance : « ce n'est pas parce qu'on a des difficultés sociales ou psychiques qu'on ne doit pas voir respecter les droits... »

Il parle à nouveau du bonheur, du possible, des désirs des personnes en prenant l'exemple d'un paranoïaque qui n'osait pas faire ses courses en plein jour ou prendre le bus de peur d'être assassiné. Ses amis d'un groupe de parole l'ont aidé à trouver une solution l'aidant à vivre : un gilet pare-balles... Il n'est pas guéri, mais vit mieux...

 Les causes traumatiques dont on ne parle pas...

Quelqu'un d'autre pose une question de taille : « entendre des voix, est-ce une maladie ou une déficience ? » Vincent Demassiet fait la moue : « la déficience, c'est négatif. Il faut faire une force d'une difficulté... Je ne crois pas à la schizophrénie ou à la bipolarité, mais à l'enfermement qui en découle. Il y a des causes traumatiques, mais on n'en parle pas : viol, abandon, deuil, guerre... »

Au premier rang, la psychiatre Marie-Noëlle Besançon confirme : « beaucoup d'entendeurs de voix ont connu un grave traumatisme dans leur enfance ou leur adolescence ». Ce mardi, elle s'envole pour New-Delhi afin de présenter au Congrès économique des femmes les Invités au Festin, l'association d'aide aux personnes souffrant d'exclusion en raison de troubles psychologiques, partenaire de l'association de psychiatrie citoyenne...

Dans la salle, plusieurs psychiatres de la ville ont écouté avec attention. Sans intervenir.

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