Bol d’R à Besançon : « un petit bout de quelque chose commence à s’entrouvrir peut-être… »

Des représentants des groupes EELV, PCF et PS du conseil municipal ont visité près de deux heures l'accueil de jour pour migrants de la rue d'Arène à l'invitation de l'association Solmiré dont ils doivent faire part des demandes à la majorité municipale. Pour trouver une solution à la situation humanitaire... et éviter une crise politique locale.

Thierry Lebaupin et Noëlle Ledeur encadrent Anthony Poulin (EELV), Abdel Ghezali (PS) et Thibaut Bize (PCF) au début d'une rencontre de plus d'une heure et demi. (Photos Daniel Bordur)

Vendredi 12 janvier, 15 heures. Thibaut Bize, Abdel Ghezali et Anthony Poulin poussent la porte vitrée du 24 rue d'Arène à Besançon. C'est là que depuis trois mois le collectif Solmiré, aujourd'hui association, accueille six heures par jour, sur deux plages de trois heures aux moments des repas, jusqu'à cinquante migrants dont beaucoup passent leurs nuits dans un campement de fortune sous le préau de la place d'Arène.

Derrière la vitrine, le local commercial inoccupé depuis deux ans a été aménagé. Les militants de Solmiré ont installé une cuisine, des machines à laver le linge, une douche, des toilettes... Il y a quelques tables et des chaises, trois canapés, un tapis de jeu pour les enfants. Les lieux appartiennent à la Saiemb, société d'économie mixte dépendant de la Ville. Arguant avoir été mise devant le fait accompli de l'occupation, avançant un problème d'assurance, la Saimeb n'a pas répondu aux sollicitations de Solmiré qui souhaitait obtenir un bail gratuit, et l'a assigné en justice pour obtenir l'expulsion. Deux audiences ont déjà eu lieu, la troisième étant programmée le 13 février.

Une réunion avec des élus LREM entre Noël et Nouvel An

Thibaut Bize, Abdel Ghezali et Anthony Poulin représentent respectivement les groupes PCF, PS et EELV du conseil municipal. Avant les vacances de Noël, comme les 28 élus des trois partis de gauchesur un total de 55 conseillers municipaux et le marcheur Eric Alauzet, ils ont été invités par lettre à venir voir l'accueil de jour. Ils ont évoqué cette invitation lors d'une réunion du groupe de la majorité municipale que préside Abdel Ghezali et réunit PCF, PS, EELV et LREM. « On s'est dit : soit chacun fait une réponse individuelle, soit on a une démarche commune Verts, socialistes et communistes », relate-t-il. C'est la seconde option qui est choisie.

Pour préparer la visite à Solmiré, MM Bize, Ghezali et Poulin organisent une réunion entre Noël et Nouvel An. Ils y invitent un élu PS, Jean-Sébastien Leuba, secrétaire de la section socialiste de la ville et adjoint à la vie associative, et trois élus LREM : Danielle Dard, première adjointe, en charge des solidarités, Danièle Poissenot, présidente de la Saimeb et adjointe à la sécurité, Pascal Curie, président du groupe des élus LREM et de Grand Besançon Habitat. Seuls Mme Dard et M Curie se rendent à la réunion. « Pascal Curie serait venu à Solmiré s'il avait été invité », indique Abdel Ghezali.

Cette réunion leur permet de faire le point sur les arguments des élus en charge du dossier avant de rencontrer Solmiré.

Le 12 janvier, quand les trois élus arrivent au Bol d'R, Thibaut Bize, le président du groupe communiste du conseil municipal a apporté un sac d'habits. Il ironise en me saluant alors que je photographie l'arrivée du trio et son accueil par six militants de Solmiré : « On ne savait pas que c'était une conférence de presse ». Les élus ne souhaitent pas la présence d'un journaliste durant toute la durée de leur visite. Cela se comprend, au vu des divisions de la majorité municipale, notamment sur ce sujet précis. Je ne suis pas là pour empêcher l'avancée vers une solution. Je m'éclipse, non sans avoir convenu un contact ultérieur.

« Ils nous ont écoutés et compris »

« L'échange a été cordial, nous sommes repartis à 16 h 45. On a surtout écouté », relate le lendemain Abdel Ghezali. « Il y avait une atmosphère de d'écoute, à l'image du courrier qu'on a reçu et qui était une invitation au dialogue », souligne Anthony Poulin (EELV). Même son de cloche du côté de Solmiré : « Ils nous ont écoutés et compris. Ils ont vu les installations qu'on a faites, ils sont surpris que ça fonctionne, n'ont pas émis de critique. Ils voient bien qu'on ne leur tient pas un discours d'excités », rapporte Thierry Lebaupin.

Outre la visite des lieux, il a été question des divergences entre Solmiré et la préfecture dont les arguments sont relayés par les élus LREM qui les ont transmis aux émissaires. « Les élus se posent des questions sur notre rôle qui est contesté car nous serions concurrent de structures dédiées. C'est faux : des gens sont hébergés au Prahda où il n'y a pas de cuisine. D'autres viennent au Bol d'R et auraient accès à la Boutique Jeanne-Antide : quand on le sait, on leur dit de s'y rendre, mais certains n'y ont pas droit : il n'y a qu'une réunion de régulation par semaine, le vendredi matin, à la préfecture », explique Thierry Lebaupin.

Le statut des migrants accueillis rue d'Arène est également l'objet de controverse. « Les militants nous disent qu'aucun n'est sous OQTFObligation de quitter le territoire française, prononcée par un juge, susceptible d'appel, qu'il n'y a que des demandeurs d'asilesituation en attente de décision de l'OFPRA, seul habilité à statuer..  . Quand la préfecture dit un truc, c'est difficile de vérifier... Je connais le cas d'un Albanais sous OQTF. C'est différent s'il y en a deux ou trois ou si c'est la moitié. Solmiré dit qu'ils sont tous demandeurs d'asile. S'il a deux ou trois OQTF, tant pis... C'est inadmissible que des gens restent dehors », rapporte Abdel Ghezali.

Solmiré assure en effet ne recevoir que des demandeurs d'asile. Ses militants ont également détaillé les situations de personnes seules, dormant sous tentes, en Prahda, à l'hôtel ou dans des « hébergements de fortune ». L'association a fait part aux élus de demandes précises : « intervention auprès de la Préfecture pour que plus personne ne soit exclu des dispositifs dédiés à l'asile ; en priorité, intervention auprès de la Saiemb pour le maintien du Bol d'Air rue d'Arènes (donc pour l'arrêt de la procédure d'expulsion) ; à défaut, pour que la mairie fournisse un autre local à Solmiré, avec prise en charge des frais, tout cela avant le 12 février. »

« On fera un retour à l'ensemble du groupe majoritaire
pour voir quelles réponses on apporte »

Celles-ci ont été enregistrées : « C'était un échange humain important. On fera un retour à Danielle Dard, Pascal Curie, Danièle Poissenot et à l'ensemble du groupe majoritaire pour voir quelles réponses on apporte », indique Abdel Ghezali qui n'a « pris aucun engagement ». L'élu a cependant bien compris l'enjeu d'un accueil au centre-ville « car plus facile pour les transports, les démarches par la proximité des structures ». Il fera aussi « remonter » les questions d'hygiène soulevées par le campement d'Arènes. Il y a par exemple des poubelles non ramassées et pas de toilettes. « Les migrants ne sont pas du rôle de la ville, mais l'hygiène et la santé relèvent du maire qui a également le droit de réquisition », souligne Thierry Lebaupin.

Le temps presse et les échéances se rapprochent. La majorité municipale doit se réunir le 22 janvier sur le sujet des solidarités, mais pourrait le faire avant le conseil municipal de jeudi 18 janvier. Allié du gouvernement mais dans l'opposition municipale, le MoDem a déjà fait part de sa préoccupation sur le sujet lors du conseil de décembre. Son représentant, Laurent Croizier, qui doit se rendre au Bol d'R mercredi 17, en reparlera sans doute.

Méfiante car déjà échaudée, Noëlle Ledeur, de Solmiré, ne « saute pas de joie », mais ne désespère pas non plus : « un petit bout de quelque chose commence à s'entrouvrir peut-être », souligne-t-elle.

Le risque de la crise politique locale

Cette histoire est aussi une équation politique. Elle survient dans le contexte du départ à LREM de treize élus socialistes et écologistes de la majorité municipale dont le maire, Jean-Louis Fousseret. Il a jusque là fermé la porte à la demande de dialogue de Solmiré. A-t-il été vexé par la forme peu diplomate des interpellations dont il a fait l'objet ? Est-il coincé par sa nouvelle orientation politique ? Par une dette envers le ministre de l'Intérieur dont il dit qu'il a obtenu des moyens de police supplémentaires ?

Quoi qu'il en soit, il n'est plus seulement confronté à une question de positionnement, mais à une vraie crise politique locale. De celles dont on ne sort pas seulement en haussant le ton. Thierry Lebaupin en a pris acte tout en pointant ce qui peut être une faiblesse : « Fousseret ne veut pas parler avec nous, mais envoie des poissons pilote pour le faire et avoir des informations. Ce n'est pas très courageux... On est dans le déni, on invente des choses comme le fait qu'il y aurait des déboutés. On n'a pas à présumer que tel migrant est réfugié économique ou autre... C'est à l'OFPRA de décider, ni à la ville, ni à la préfecture »...

 

 

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