On connaît aujourd’hui les conséquences, émotionnelles, humaines, sociales et économiques de la fermeture des salles. Et dans cette lutte des salles pour la réouverture, on peut s’étonner qu’aucune allusion ne soit faite sur la nécessité d’associer les cinémas à la lutte des intermittents. Au moment du tournage des films, de nombreux intermittents travaillent dans l’ombre : faiseurs de sons ou de lumière, travailleurs invisibles, ils assurent avec leur contrat précaire la plupart des tâches essentielles sur un plateau de cinéma. Dans la chaine de métiers autour de l’image, ils laissent leur empreinte, leur style et disparaissent ensuite, cachés par les têtes d’affiche.
Le Manifeste des 20
Petit rappel : l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) et le GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) ont organisé les 12, 13 et 14 mars dernier des projections "test" afin de marquer le triste anniversaire de la fermeture des cinémas et de protester contre la non-réouverture des lieux culturels. 20 cinémas aux quatre coins de France ont accueilli des projections et des rencontres avec des cinéastes autour de films dans le respect le plus strict des consignes sanitaires. Les deux associations précitées et les salles concernées ont appelé à une réouverture des lieux culturels et publié le Manifeste des 20 (du chiffre symbole des salles ayant participé à l’opération). Le Manifeste a été signé par environ 4500 personnes. Ces cinémas avaient décidé « d’oser tout simplement, faire (leur) métier : ouvrir les salles, accueillir du public, montrer des films. » Les signataires du Manifeste indiquaient ne pas comprendre les décisions du gouvernement « qui admettait lui-même que les lieux de culture et, - singulièrement les salles de cinéma, - ne sont pas des foyers de contamination ». Ces projections-test ont pu être programmées en s’appuyant sur les petites salles de cinéma (la plupart art et essai) et la complicité de diffuseurs indépendants engagés dans cette action commune. Chose étonnante : dans un système dominé par les grands groupes, ce sont les structures les plus fragiles qui se battent avec force pour la réouverture.
Aucune salle de la Région de Bourgogne-Franche-Comté n’a participé à ces projections test. Néanmoins, des projections organisées par les CIBFC (Association de Cinéma Indépendants de Bourgogne Franche-Comté) ont été organisées il y a quelque mois sur la façade des cinémas et même des églises, en réaction avec l’ouverture autorisée des lieux de culte.
Le cinéma navigue à vue
Fermées depuis le 30 octobre, les salles de cinéma pourraient rouvrir dès la mi-mai avec un protocole sanitaire strict et la mise en place d’une jauge progressive. C’est une bonne nouvelle. Cependant la profession est inquiète : Comment réduire l’embouteillage des 450 films annoncés ? Comment la sortie des films sera-t-elle régulée entre les blockbusters et les films d’auteurs souvent fragiles lors de leur apparition à l’affiche ? Comment faire pour que chaque œuvre trouve sa place afin de maintenir la diversité qui fait la richesse du cinéma hexagonal ? Comment la profession, souvent divisée par rapport aux enjeux des films, va-t-elle régler le problème de la concurrence omniprésente dans l’exploitation cinématographique ?
Une chose est certaine. La réouverture est très attendue par le public. Le streaming de salon ne remplacera jamais le rituel de la salle où nous nous disparaissons dans le noir, partageons notre émotion avec des inconnus.
Je me souviens de la première projection après le confinement de 2020. Nous étions toute une bande de cinéphiles, habitués à nous croiser le mercredi, habités par une impatience fébrile. À la sortie, nous avons parlé joyeusement sur le trottoir, liés par nos retrouvailles émotionnelles et l’expérience irremplaçable de la salle de cinéma !