« Biens publics mondiaux » contre « bien mal acquis »

Pour Odile Biyidi Tobner, la « Françafrique » nuit toujours au développement et à la souveraineté des pays africains. La tutelle française s'exerce en Afrique subsaharienne au moyen du franc CFA et par la présence des garnisons militaires.

Odile Tobner

Odile Biyidi Tobner devait intervenir dimanche 27 octobre à Besançon, dans le cadre du Festiv’ATTAC au petit Kursaal pour débattre de la question : « L’Etat français au secours des dictatures africaines ? » Présidente de « Survie France » jusqu'en 2011, elle est aussi co-fondatrice de la revue « Peuples noirs - peuples africains ». Son action fut longtemps menée avec son époux, Mongo Beti, mort à Douala au Cameroun, le 7 octobre 2001, tout comme elle professeur agrégé de Lettres classiques, écrivain et militant. Elle dirige actuellement la Librairie des peuples noirs à Yaoundé.

« L’Etat français au secours des dictatures africaines ? » Quelle période est en question ?

« Depuis les pseudo-indépendances jusqu'à ce jour, la tutelle coloniale de la France a continué à s'exercer sur ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne. Les accords qui ont accompagné les indépendances et dont la plupart sont toujours en vigueur étaient léonins : préemption de la France sur les ressources naturelles, tutelle sur la monnaie, présence de l'armée française, qui n'a cessé d'intervenir, jusqu'à aujourd'hui encore en Côte d'Ivoire. Dans son discours de Dakar, Hollande a fait l'éloge du franc CFA, unanimement vilipendé par les économistes africains indépendants. C'est tout dire. »
 

La fin de la « Françafrique » est-elle engagée ?

« Malgré les déclarations de Sarkozy puis de Hollande on est loin d'avoir mis fin à la collaboration entre des régimes despotiques, qu'on a soutenu jusqu'à présent sans réserves. Les timides avertissements n'auront que peu d'effet et ne remettront pas en cause les liens étroits que la France entretient avec ces régimes. »
 

L’homme qui représente la « Françafrique », feu le conseiller Jacques Foccart, a-t-il des successeurs ?

« Bien sûr. Le temps des mallettes est peut-être un peu obsolète mais l'affairisme est toujours le maître mot. Les multinationales françaises comme Bouygues et surtout Bolloré se taillent la part du lion dans les privatisations des services publics. Les grandes plantations (bananiers, palmiers à huile, hévéas) à direction et capitaux français se développent, accaparant toujours plus de terres dont les habitants traditionnels sont chassés. Cela ne peut se faire que par les liens étroits entretenus avec des pouvoirs corrompus. Il peut être utile de rappeler que l'origine de l'immense fortune héritée de son père par Bernard Henri Lévy est forestière centrafricaine, tout comme celle de la famille Giscard. »

Quelles décisions, par delà le symbolique, signifieraient vraiment la fin de ce système ?

« Il faudrait rompre non pas les liens diplomatiques avec certains régimes, parce que beaucoup de Français vivent dans ces pays, mais refuser les visites réciproques médiatisées. Le récent voyage à Kinshasa, avec ses dérisoires petites impolitesses, assez lâches finalement, en est l'illustration. »

Y-a-t'il des instructions politiques sur les procédures juridiques concernant les "biens mal acquis", richesses  obtenues au détriment du développement ?

« Pendant longtemps le pouvoir politique a essayé d'entraver puis de retarder ces procédures. Mais les enquêteurs et les juges d'instruction ont fait un bon travail qu'il est maintenant difficile d'occulter. »

Quelles autres influences s'exercent aujourd'hui en Afrique, selon les pays, les régions ?

« C'est un vaste sujet. La ruée sur les matières premières du continent est générale et c'est cela qui va changer les positions acquises. Pour l'instant la France maintient avec acharnement ses privilèges (dont en premier celui du CFA, puis celui du contrôle militaire). »
 

Quelles sont les perspectives de souverainetés populaires dans les dictatures actuelles ?

« On est peu optimiste. Les masses africaines sont écrasées par la misère. Il n'y a pas de classe moyenne, qui n'aurait pu se former que par des politiques nationalistes. Il y a également l'instrumentalisation des rivalités ethniques par les puissances extérieures qui les arment les unes contre les autres. Politiques d'apprentis-sorciers qui soufflent sur les braises. La poudrière malienne est le résultat des menées irresponsables de dirigeants français ignorants qui prétendent régir ces régions et manipuler des rébellions contre les pouvoirs qui tentent de leur résister. Après la Côte d'Ivoire c'est au tour du Mali d'imploser. »

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L’association « Survie France » est membre fondatrice d’Attac. Créée en 1984, elle lutte contre le système de la « Françafrique », promeut une autre politique de coopération avec les anciennes colonies et « l’accès de tous aux biens publics mondiaux ». Son premier président fut François-Xavier Verschave qui popularisa le terme de « Françafrique » dans l’ouvrage « La Françafrique, le plus long scandale de la République » en 1998. En fait, Houphouët Boigny employa le terme antérieurement dans une acception plutôt positive.

Survie France publie un bulletin mensuel « Billets d’Afrique et d’ailleurs » depuis 1993. Des contentieux l’ont opposée à Pierre Péan et Stephen Smith au sujet du conflit et du génocide au Rwanda.

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