Besançon : sept ans ferme pour deux proxénètes

Deux frères animant un réseau dont quatre protagonistes ont déjà été condamnés en janvier, ont écopé d'une lourde peine prononcée par le tribunal correctionnel. Soulignée par le parquet, l'importance des réseaux bulgares de prostitution renvoie à la forte influence de la mafia sur ce pays qui préside l'Union européenne.

Quand Demir Aleksandrov et son frère ainé Sevdalin pénètrent, enchaînés et sous escorte, dans le box des prévenus, ce vendredi 16 mars, ils ne ressemblent pas au stéréotype du mutri bulgare. Pas de « crâne rasé, chaînes en or et manières de nouveau riche », comme Wikipédia décrit les nouveaux mafieux du pays. Demir et Sevdalin, 35 et 36 ans, portent des jean's ordinaires, le premier un pauvre blouson bleu marine, le second une veste de survêtement verte...

Sur le banc des parties civiles, Krasimira et Bonka ne laissent paraître aucune émotion particulière, mais elles semblent loin de la sérénité absolue. Chacune est la mère d'un enfant dont les prévenus sont les pères... Des pères qui n'ont quasiment jamais vu leur gosse de 4 ou 5 ans, ni ne s'en sont inquiétés. Depuis janvier 2016, ils sont en détention provisoire. Ils auraient dû comparaître le 24 janvier dernier, en même temps que quatre autres personnes, mais ils n'avaient pu être « extraits » de la prison en raison de la grève des personnels pénitentiaires.

Six ans ferme pour la sœur aînée en janvier

Ce jour-là, Zeyra, la sœur aînée de Demir et Sevdalin, avait écopé de six ans ferme. Elle a été reconnue coupable de proxénétisme. Les deux frères lui adressaient des filles qu'ils avaient séduites. Ils avaient promis de les rejoindre en France, mais là, c'est le trottoir qui les attendaient, avec Zeyra comme chaperonne... Leur demi-frère Stanko, poursuivi dans un dossier similaire en Allemagne, avait écopé de trente mois. Une jeune femme de vingt mois. Yannick, un client bisontin qui « rendait service » en faisant le guet sur le parking Griffon, ou le chauffeur-convoyeur jusqu'en Autriche, avait pris un an...

L'enquête de la Police judiciaire bisontine a établi que huit jeunes femmes ont été contraintes de se prostituer. En deux ans, 230.000 euros ont été transférés à la mère, le plus souvent par mandats Western Union, à Dobrich, dans le nord-est de la Bulgarie, l'une des régions où vit la minorité turque du pays dont la famille fait partie. Interrogés sur leur activité professionnelle par le président du tribunal, Alexis Pernot, les deux frères se déclarent agriculteurs, mais aussi, pour Sevdalin, à la tête d'une entreprise d'achat et de vente de voitures d'occasion.

Une histoire de dette...

Le magistrat fait la longue lecture des procès-verbaux d'écoutes. Lors d'une conversation avec les filles,  Zeyra prodigue ses conseils : « allez, fais signe aux voitures, allez, encore... » ; « mets toi de côté qu'on voie tes seins... » ; « t'as fait que 30 euros ! tu passes trop longtemps dans la voiture... » Restés au pays, les frères forment des exigences : « il faut 1000 à 1500 euros dans les trois jours ! il faut que tu lui fasse peur... »

Dans les conversations, revient souvent une histoire de dette : les femmes doivent rembourser les frais engagés pour leur voyage en France, à Besançon et Nancy, voire Mannheim. Elles remboursent aussi la dette contractée auprès de leur propre famille qui les a vendues au réseau. Pour 2000 ou 2600 euros. Remboursent des soins engagés pour un enfant resté au pays.

Une jeune femme témoigne avoir découvert le job qui l'attendait lors de l'achat de vêtements dans un sex-shop... Une autre explique les conditions de vie misérables : elles sont nourries et logées, mais a minima, parfois sans chauffage en hiver. Un jour, en guise de punition parce que l'argent ne coule pas assez, l'une est jetée par Zeyra à la rue avec son bébé de quelques mois. Le centre social de Battant le trouvera en hypothermie.

« C'était ma concubine, je lui avais fait un prêt qu'elle me remboursait... »

A raison de six jours de travail par semaine et 500 euros par nuit, chacune devait ramener 3000 euros par semaine. Tout ne se passe cependant pas comme prévu, comme l'indique une écoute que le juge lit à Sevdalin : « vous demandez ce qu'a rapporté la veille, la réponse est 220 euros, vous réagissez mais je vais faire quoi avec 220 euros ! » Sevdalin ne se démonte pas : « C'était ma concubine, nous avions une relation étroite, je lui avais fait un prêt qu'elle me remboursait... »

Le juge poursuit : « Vous dites d'un côté gagner 300 à 400 euros par mois, et d'un autre 10 à 15.000 euros par an. Et vous dites jouer au casino 20 à 30 euros... N'est-ce pas contradictoire ? » Réponse : « Je ne jouais pas beaucoup... A aucune mes femmes, je n'ai demandé de se prostituer... » Le magistrat sort une autre audition d'une fille : « Sevdalin m'a envoyée en France où il devait me rejoindre deux mois après... J'ai dû me prostituer de 2010 à 2014... » Réponse : « cette fille, je ne la connais pas... » Le magistrat : « elle est enceinte de vous en 2012... » « Je ne la connais pas... »

Le magistrat insiste, donne de nouveaux détails de la conversation interceptée. L'interprète traduit ce que Sevdalin lâche enfin : « il vient de se souvenir... » Le juge Pernot profite de son avantage et lit un nouvel extrait d'écoute : « vous dites qu'elle est devenue folle parce qu'elle veut garder 150 euros... Vous lui dites casse toi de l'appartement avec ton gosse... » Sevdalin s'explique : « Elle avait un enfant avec moi, jouait au casino avec moi... Elle avait beaucoup de dette et ne s'intéressait pas à son remboursement, alors comme elle ne voulait pas coopérer, je lui ai dit que je voulais qu'on se sépare... »

- Le juge : « elle était prostituée ? »
- Demir : « je ne l'ai jamais forcée... »

C'est au tour de Demir d'être interrogé sur ses relations avec Daniela : « oui, elle était avec moi, c'était ma concubine... » Le juge : « elle était prostituée ? » Demir : « je ne l'ai jamais forcée... » Le juge évoque l'écoute d'une conversation où Zeyra dit à Savdelin : « Demir ne veut pas te la laisser, il veut la revendre 2000 euros... » Demir : « qui voulait vendre ? » Le magistrat répète, Demir se tait. 

Le juge Pernot cite une autre écoute : « Zeyra dit : je vais placer une femme pour qu'elle travaille pour Demir et lui donne de l'argent, comme ça, elle ne nous lâchera pas... » Demir a un petit sourire : « « je suis étonné de ce que vous dites, c'était ma copine, je suis très étonné... Avant mon mariage, j'étais en concubinage avec elle. Elle n'avait pas de travail, c'est pour ça qu'elle est venue en France, pour gagner de l'argent de cette façon... » 

La représentante du parquet, Violaine Perrot, enfonce le clou avec une autre écoute : « votre neveu vous dit : on ne va pas dire qu'elle travaille, mais que tu l'aimes et qu'elle t'aime... » Demir fait non de la tête : « mon neveu n'a rien à voir avec ça... » Mme Perrot insiste : « c'était un conseil ? » Demir répond : « je ne me souviens pas ».

« Une mère et une sœur qui tirent les ficelles »

Avocate des parties civiles, Léa Humilier dénonce « des faits d'une extrême gravité », décrit les conditions de vie indignes des femmes dans « un logement non décent, sans intimité, où elles ne mangeaient pas à leur faim, sans perspective de fuite... Elles ont été exploitées par ce réseau plus de trois ans, battues par Sevdalin à coups de poing. Elles sont soulagées d'être parties... » Pour le « calvaire » enduré, elle réclame des condamnations et de lourdes indemnisations.

Outre les réquisitions de huit ans ferme et d'interdiction définitive du territoire français, le parquet évoque le rapport d'information sur la prostitution présenté en 2011 à l'Assemblée nationale. Il souligne la place très importante de la Bulgarie et de la Roumanie dans le proxénétisme, et demande que la justice engage aussi des poursuites pour traite d'êtres humains.

La défense a un rôle d'autant plus difficile que l'avocat initial de Sevdalin, Me Schwerdorffer, non payé, a abandonné l'affaire. Me Bérengère Chenin, commise d'office, a eu deux jours pour découvrir le dossier. Elle insiste sur la « pauvreté » qui sert de contexte à cette sordide histoire, mais aussi sur sa « dimension familiale » avec « une mère et une sœur qui tirent les ficelles ». Interrogeant une des parties civiles qui avait dit que Sevdalin avait vu deux fois son enfant, Me Chenin assure qu'il y a « du vrai dans le lien amoureux, un enfant est né... Prenez cela en compte... » 

Défenseur de Demir, Me Bernard critique le réquisitoire du parquet qui a largement évoqué les études et recherches sur le sujet : « on juge un dossier, ces données n'ont pas lieu d'être dans une enceinte de droit, dans un colloque peut-être... » Il estime lui aussi que « c'est un dossier de femmes se disant maltraitées et contraintes, mais aussi gérant un réseau... » S'adressant à la procureure, il dit « croyez-vous que ces femmes aient été si naïves au point de ne rien savoir de leur destination en France ? »

Les deux avocats demandent que la peine prononcée couvre la détention provisoire. Ils ne seront pas entendus : après une petite heure de délibéré, les deux frères sont déclarés coupables de proxénétisme aggravé, traite d'êtres humains et association de malfaiteurs, et condamnés à sept ans ferme. Un an de plus que leur sœur ainée... Si procès en appel il doit y avoir, tous devraient comparaître en même temps...

 

 

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