Besançon : la victoire humanitaire de Solmiré

A quelques jours de la troisième audience de référé-expulsion du Bol d'R, une vingtaine de demandeurs d'asile à la rue avec des enfants ont été enfin hébergés par l'Etat. L'association humanitaire établit une facture symbolique à la ville et à la préfecture de 20.320 euros avec une remise équivalente au nom du « devoir d'humanité ». Un gag pour dénoncer une situation absurde...

camp4

Quelques pigeons explorent le campement abandonné, se faufilent entre les vêtements, les jouets et les sacs entreposés entre les tentes et le mur du fond du préau de la place d'Arènes. « Pourvu que ne viennent pas des rats », commente Noëlle Ledeur. Jeune retraitée de l'enseignement, longtemps engagée en syndicalisme, toujours au côté des migrants au nom d'un humanisme inconditionnel, elle s'est investie à fond dans l'aventure du Bol d'R.

A l'écouter la raconter, en décrire les épisodes et les soubresauts, on entend sa révolte contre l'abjection, sa passion pour la justice. Elle envoie rarement des fleurs à celles et ceux qui occupent des responsabilités ou des mandats. Elle est exigeante et tenace. Elle ne supporte pas que des enfants dorment dehors, que des parents soient humiliés. Elle sait les conséquences de telles situations sur la santé, sur la scolarité, sur la socialisation.

Le campement désert mercredi après-midi

Dans le petit groupe de militants de Solmiré qui accueillent ce jeudi matin la presse, Edith Mougin, médecin, engagée dans les consultations de Médecins du Monde avec une dizaine de ses collègues, confirme que la situation sanitaire est préoccupante. Alors les rats et les pigeons...

Pour l'heure, le collectif est face à une situation nouvelle. La veille, Cécile la menuisière, une bénévole qui a participé à l'installation du campement, se rend sur place en début d'après-midi et le trouve désert, le fourneau éteint. Elle appelle aussitôt ses camarades : « Je ne comprends pas, les gens étaient encore là à midi... » Les militants passent alors des coups de téléphone aux migrants qui dormaient là. Ils apprennent très vite ce qui s'est passé : « Quand ils ont appelé le 115, comme tous les jours, on leur a dit d'aller de suite à la PADAplateforme d'accueil des demandeurs d'asile, qu'ils étaient enfin logés... »

Le bénévole Michel Boutonnet reçoit même un appel du 115 lui demandant des nouvelles d'une famille qui n'avait pu être contactée car un hébergement venait de lui être attribué.

Une femme seule avec quatre enfants, là depuis quatre mois, est enfin hébergée...

Les militants de Solmiré ne réalisent pas immédiatement que l'action menée depuis l'automne est en train de porter ses fruits. Ils réclamaient depuis des mois des solutions d'hébergement pour des migrants, dont la plupart, disent-ils, sont demandeurs d'asile. Une situation qui oblige l'Etat à les prendre en charge, ce qu'il ne faisait pas complètement, faute de place, mais aussi en raison d'une certaine rigidité administrative, et d'une politique sévère, voire qualifiée d'odieuse, décidée en haut lieu.

Les hébergements sont enfin là. « Une famille de sept personnes, là depuis un mois, est partie à Montbéliard. Un célibataire est à l'abri de nuit des Glacis, un autre à Montbéliard. Une femme seule avec quatre enfants, là depuis quatre mois, est enfin hébergée dans un l'hôtel de Besançon-Chateaufarine... On ne sait pas pour combien de temps ces gens sont hébergés », disent les bénévoles.

Nous avons posé la question à la préfecture et attendons sa réponse pour la publier le cas échéant.

« Il continue à arriver en moyenne trois familles par semaine... »

Après cette conférence de presse dans le froid, nous accompagnons quelques bénévoles à l'accueil de jour squatté Le Bol d'R. Une petite famille d'Europe centrale s'y trouve avec ses deux enfants afin d'y prendre un repas tandis que tourne une machine à laver. Le Samu social lui a annoncé qu'elle serait hébergée à Pontarlier où elle devait se rendre dans l'après-midi.

Noelle Ledeur et ses camarades sont soulagés. « C'est ce qu'on souhaitait, que tout le mode soit pris en charge, mais il continue à arriver en moyenne trois familles par semaine à Besançon », souligne Yves Keterer qui ne cache pas son inquiétude pour la suite. La méfiance est de mise car tout se passe comme s'il s'agissait pour les autorités de démontrer au tribunal le 13 février que tout va bien, que personne ne dort dehors.

Cette réserve est cohérente avec l'intransigeance exprimée devant la presse le 30 janvier par Danielle Dard, la première adjointe, en charge du social. Selon elle, Solmiré ne répond à aucun besoin. Il y a aussi la répétition d'une situation déjà vécue : « en décembre 2016, le campement de Chamars avait été évacué au moment où la presse en a parlé », rappelle Michel Boutonnet qui « espère le début d'une embellie ». Yves Keterer voit quant à lui un étonnant « jeu institutionnel consistant à ne pas reconnaître qu'il y a des trous da ns la raquette ». Autrement dit que les dispositifs officiels ne parviennent pas à récupérer tout le monde.

Une facture symbolique et une remise humanitaire

Solmiré a d'ailleurs chiffré à plus de 40.000 euros l'engagement de la cinquantaine de bénévoles qui se sont relayés pour faire fonctionner le Bol d'R. L'association a établi une « facture symbolique à l'attention de la mairie de Besançon et de la Préfecture ». Y figurent les postes de dépenses pour le matériel électro-ménager, les achats de tentes, de bois, de gaz, de produits alimentaires et d'hygiène, les dons en nature d'habitants et de commerçants... Il y en a pour près de 6.000 euros auxquels s'ajoute 14.470 euros de valorisation du bénévolat...

Cela ne fait qu'un peu plus de 20.000 euros, mais Solmiré fait un geste équivalent « au nom du devoir d'humanité ». Si l'association compte les permanences, elle fait cadeau des heures passées à collecter de la nourriture, inscrire les enfants à l'école, accompagner les gens chez le médecin, rechercher du bois, se réunir pour se coordonner, préparer l'audience judiciaire... Elle conclut qu'elle « offre ce service citoyen qui a permis à plus d'une centaine de personnes dont beaucoup d'enfants de traverser cette période d'attente en restant dignes, en pouvant manger correctement, se laver, se réchauffer, trouver de l'aide dans des démarches complexes... »

Elle s'attend à être expulsée, mais cette possible déconvenue judiciaire ne doit pas cacher sa victoire humanitaire. Pour combien de temps ?

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !