Banlieues : « on est assis sur un volcan »

L'écrivain Karim Bouhassoun, conseiller politique de la présidente de région, défend un plan d'investissements immatériels de 5 milliards par an pendant cinq ans dans les « territoires fragiles où vivent 5 millions de personnes ». Un débat s'est tenu à Planoise autour de ses propositions.

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Dans Que veut la banlieue ?, Karim Bouhassoun propose d'investir dans l'immatériel au lieu de « continuer à construire des cités imprenables ». C'est ce qu'il a expliqué mercredi à Planoise devant une quarantaine d'auditeurs. Né il y a 38 ans dans un quartier populaire de l'Essonne, il est aujourd'hui conseiller politique au cabinet de Marie-Guite Dufay, la présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Des études de sciences politiques et de philosophie ont, dit-il, changé sa vie.

A l'entendre, il n'oublie pas d'où il vient : « je regarde dans le rétroviseur, mais j'avais du mal à avancer sans écrire un testament pour la banlieue. Je me suis mobilisé avec des livres, je milite comme ça plutôt qu'avec un cocktail molotov... » Il dit tenir sa promesse de revenir une fois par an dans son collège de ZEPzone d'éducation prioritaire, là où il a « failli décrocher ». Il considère que pas grand chose n'a changé depuis la mort de Zyed et Bouna en 2005. Pour les « 5 millions de personnes qui habitent les territoires fragiles de banlieue, c'est même plus dur encore. Depuis septembre, il y a eu quinze nuits d'émeute à Villeurbanne, des émeutes à Amiens, Viviers-le-Bel, Grenoble... On est assis sur un volcan... »

« On est dans l'impasse car on continue à faire des banlieues ! »

Karim Bouhassoun égrène des chiffres qui ne surprennent pas, qui ne surprennent plus. La banlieue fragile, c'est « trois fois plus de gens qu'ailleurs sous le seuil de pauvreté dont un mineur sur deux, 40% des collégiens de ZEP sont orientés dans les filières professionnelles, 3% des enfants d'ouvriers ont le bac S contre 40% des enfants de cadres supérieurs : c'est inouï que l'école censée être égalitaire continue à reproduire les inégalités... »

Il n'oublie pas « les 48 milliards d'euros investi en dix ans dans la rénovation et le logement », sait qu'il y a « des outils comme BGE, France-Entrepreneurs, des agences de l'Etat... mais le budget de la politique de la ville n'est que de 0,1%... ». Surtout, il pense que le problème est ailleurs : « on a embelli, mais on est dans l'impasse car on continue à faire des banlieues ! Tant qu'on ne fera pas des villes, ça ne marchera pas... 72% des gens disent que rien n'a changé, la pauvreté se concentre, est de plus en plus intense. On travaille trois fois plus longtemps pour acheter un bien immobilier en banlieue qu'en centre-ville... »

Il craint que « si on continue pareil, les gens vont se décourager, ça va craquer ». Il faut donc « beaucoup plus de moyens », pas seulement construire, mais « investir dans l'immatériel, l'éducation et la formation, la culture, le développement économique, le droit à la ville, la démocratie locale ». Il regrette qu'Emmanuel Macron n'ait « pas eu un mot pour les banlieues devant le Parlement », qu'Edouard Philippe n'ait « pas dit un mot sur les banlieues lors de la conférence nationale des territoires ».

« Briser dès l'école la fermeture à l'autre »

Karim Bouhassoun, qui n'est pas membre d'un parti politique, fait cinq propositions qu'il chiffre à « 5 milliards par an pendant cinq ans ». Il propose la création d'un ministère des Banlieues, qui aurait selon lui, comme le ministère des Outremers, une vision transversales des politiques. Il suggère la création d'un système de tutorat solidaires pour les créateurs d'entreprises de banlieues car on y manque d'accompagnement : « 3 à 4% au lieu de 30% au niveau national ». Il verrait bien un événement hebdomadaire de « brassage des collèges » afin de « briser dès l'école la fermeture à l'autre ».

Il estime que les trois niveaux de loyers HLM sont un « moyen détourné de faire venir des classes moyennes » et d' « interdire de fait le logement social aux plus pauvres : il faut aller vers un loyer HLM unique et donner plus de poids aux maires plutôt qu'aux agglomérations. Constant que sa ville de Vigneux-sur-Seine, 30.000 habitants, « sans cinéma ni théâtre, avec une bibliothèque lointaine » est de ce fait une « cité dortoir », il propose de mettre un milliard d'euros par an dans des programmes culturels. Il suggère enfin la présence dans les conseils municipaux et départementaux de représentants des banlieues tirés au sort... mais sans droit de vote...

« Comment trouveront-ils du travail s'ils sont rebelles ?

Dans la petite salle, on revient d'emblée aux questions terre à terre. Une femme estime ainsi que « les familles devraient éduquer leurs enfants. Il y a tout à Planoise, théâtre, patinoire, médiathèque... Beaucoup sabotent tout, ne respectent pas les profs : comment trouveront-ils du travail s'ils sont rebelles ? Tout vient de l'éducation des familles ». Sa voisine, qui travaille à Clairs-Soleils, est du même avis, déplore « les gosses livrés à eux-mêmes ». Une autre évoquent ceux qu'on appelle « les parents fantômes... »

Mohamed Annachate, militant associatif, s'interroge : « la république n'a-t-elle pas manqué le rendez-vous de 1983 avec la Marche des Beurs ? Elle avait alerté... »  Rafik Harbaoui, comédien et conteur, approuve l'idée de « créer des villes plutôt que des banlieues » mais pas la perspective que « chaque jeune devienne auto-entrepreneur » qu'il a décelée dans les propositions économiques de l'orateur. Françoise Leroy, directrice d'une association d'insertion, rétorque : « si des gamins sont livrés à eux mêmes, c'est que des parents ont des emplois aux horaires atypiques... » Elle aussi critique « le mythe de l'auto-entrepreneur dont beaucoup sont sous le seuil de pauvreté ».

Des militants politiques interviennent. Laurent Croizier (MoDem) dit son accord avec les constats de Karim Bouhassoun, défend l'idée selon laquelle « la première politique sociale, c'est l'éducation » et approuve la « division des CP » en ZEP décidée par le gouvernement. Emmanuel Girod (France Insoumise) veut aller « aux origines du délitement du tissu social : des politiques menées depuis des années, de la casse des services publics aux suppressions d'emplois aidés... Ce n'est pas 5 milliards qu'il faudrait, mais une politique nationale à 100 milliards... »

« Pourquoi pas faire de Planoise une ville ? »

Quelqu'un dit que « Besançon n'est pas si mal : il n'y a ni quartier enclavé ni cité-dortoir. Je suis de Clairs-Soleils où on est mélangé dès le collège avec des gens des communes voisines ». Il voit quand même un souci pour les quartiers : « tout est concentré sur Planoise, alors pourquoi ne pas en faire une ville ? »

On le constate, les réflexions de l'écrivain ont ouvert une discussion. C'est ce qu'il souhaitait. A-t-il lancé avec son livre un appel à la mobilisation, voire à la révolte, ou en a-t-il peur ? Pourquoi aborde-t-il si peu l'aspect discrimination ? Karim Bouhassoun a de la chance : « je n'ai ni vu ni subi le racisme... Je n'ai pas peur de la mobilisation, je n'appelle pas à la révolte, mais si on ne fait rien, ça se transformera en émeute... » Il promet de réfléchir à la question, qu'il dit découvrir, du « déficit d'encadrement parental »...

 

 

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