Assassinat de Razia : la police et la justice rament…

Avec l'arrestation en Grèce du mari, principal suspect, le risque de fuite semble écarté. Mais ce succès est amer car sept plaintes et une ordonnance d'un juge aux affaires familiales n'ont débouché sur aucune mesure de protection adéquate d'une femme qui se savait menacée et le disait. Le procureur peine à convaincre en arguant d'une impossibilité de prévoir un geste que beaucoup redoutaient.

manteaux

Le procureur du Tribunal de grande instance de Besançon, Etienne Manteaux, a indiqué lors d'une conférence de presse tenue lundi 5 novembre avec le commissaire Benoît Desféret, directeur départemental de la sécurité publique, avoir la « quasi certitude » que l'extradition de Rafid, le mari de Razia, principal suspect de l'assassinat de son épouse le 30 octobre, aura lieu dans les deux mois. Celui-ci a été interpellé à l'aéroport d'Athènes après qu'il a été contrôlé dans la nuit de vendredi à samedi dans un train entre Budapest et Belgrade, soit entre la Hongrie et la Serbie, un pays de l'Union européenne et un pays n'en étant pas membre.

Informé de cette identification, le procureur Manteaux a alors demandé un changement de cadre procédural. Le mandat d'arrêt international lancé par le juge d'instruction saisi de l'affaire a été « converti » en mandat européen du ressort du parquet. La raison avancée est que cette procédure permet l'échange et la consultation d'informations par les policiers et les douaniers dans l'espace Schengen, qui sur ce coup, a fait preuve d'efficacité.

Selon le procureur, Rafid aurait indiqué avoir tué son épouse à deux Afghans ayant reçu de sa part l'un un sms, l'autre un message vocal. Ajoutés à sa présence sur des vidéos de Ginko, quelques instants avant le drame, ces éléments sont considérés comme plus que probants de son implication, et donc susceptibles de convaincre les magistrats grecs d'accepter l'extradition d'un homme aujourd'hui en détention provisoire.

« Le moindre doute doit profiter au mis en cause,
même si c'est difficile à entendre pour les victimes »

Cette première étape est une incontestable réussite qui éloigne le risque de retour du suspect dans son pays, l'Afghanistan, ou une autre contrée où la vie d'une femme vaut peu de chose. Ce succès ne peut cacher que les responsables du parquet de de la police nationale ont ensuite ramé pour répondre aux accusations, émanant notamment des associations Solidarité-Femmes et Osez le Féminisme, selon lesquelles les pouvoirs publics ont abandonné Razia à son funeste sort, malgré sept plaintes et une ordonnance de protection délivrée le 6 juillet par un juge aux affaires familiales ayant interdit à Rafid d'entrer en contact avec sa femme. « Le moindre doute doit profiter au mis en cause, même si c'est difficile à entendre pour les victimes », a souligné M Manteaux. Ce principe juridique essentiel vaut évidemment lors d'un procès ou d'une procédure. Mais peut-on l'étendre à l'enquête préliminaire menée sous le contrôle du parquet qui détermine si les poursuites sont, ou non, opportunes ?

« Pour engager des poursuites, il faut qu'on soit certain de la culpabilité. Le parquet doit pouvoir démontrer la culpabilité à l'audience », assure le procureur en soulignant que la police n'a pas recueilli d'éléments suffisamment convaincants. L'ordonnance du JAF n'a ainsi pas été prise en présence de Rafid, justifie-t-il. Convoqué fin juillet au commissariat, il serait d'ailleurs tombé des nues, expliquant en substance qu'étant Afghan, « il ne connaissait pas la portée de cette décision... Nous avons considéré qu'il manquait d'éléments de compréhension, mais il lui a quand même été notifié qu'il lui était interdit d'entrer en contact avec sa femme... Il ne l'a pas fait jusqu'à ce qu'il lui donne plusieurs coups de couteau... L'ordonnance est de peu d'effet quand il y a une telle détermination... »

« On ne dit pas que madame était l'agresseur... »

Un journaliste fait remarquer que l'ordonnance du JAF n'interdisait pas à Rafid de résider à Besançon. « En effet », note sobrement M Manteaux, « il avait deux enfants avec elle, l'autorité parentale, il était donc légitime à demander le contact avec eux... » Reste qu'une interdiction de séjour ou de paraître est une décision accompagnant une condamnation pénale, ou une injonction nécessaire à l'enquête d'information judiciaire dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Or, on ne s'est pas trouvé dans ce cadre... « Dans la vie judiciaire, nous devons nous déterminer sans boule de cristal », commente le procureur.

Des images - muettes - de vidéo-surveillance montrent a-contrario une Razia « véhémente » face à un Rafid « calme ». Pas de quoi conforter les « seules accusations » de la dame aux yeux de ces fins limiers qui auraient peut-être été plus convaincus si les menaces de mort avaient été hurlées ou accompagnées de gestes explicites. Mais attention, nuance Etienne Manteaux, « on ne dit pas que madame était l'agresseur... » Ouf. La police attendait même une huitième plainte ! « Il y a quelques semaines, Solidarité-Femmes a dit qu'elle était à nouveau victime. On a proposé qu'elle vienne avec madame et un interprète pour qu'on enregistre la plainte », assure Benoît Desféret. Le meurtre aura rendu caduque cette nième démarche...

Les enseignants ont déjà sollicité la police pour protéger Razia

En revanche, si une enquête avait été diligentée, la police aurait peut-être appris que l'équipe éducative de l'école de Planoise où étaient scolarisés les deux garçons de 9 et 12 ans depuis peu après la rentrée de septembre 2017, avait déjà protégé Razia et ses enfants. Les enseignants avaient prévenus Solidarité-Femmes du rendez-vous que Rafid avait pris avec eux, leur permettant de ne pas venir ce jour-là. Ils avaient également refusé de donner l'adresse de Razia malgré l'insistance de la demande.

Rafid était revenu un autre jour et les enseignants, qui avaient assisté à l'altercation qui avait suivie avec sa femme, l'avaient mise à l'abri dans l'école avec les enfants, demandant à la police de venir les récupérer pour les ramener chez eux. Sans doute, cet élément non plus n'était-il pas suffisant probant. Tout comme la terreur qui s'était emparé d'un des garçons quelques temps plus tôt quand il découvrit que son père était dans le même bus que lui...

Et qui sait si les investigations n'auraient pas conduit les enquêteurs jusqu'au CHU où, fin mars, un fils de Razia fut plâtré pour une jambe cassée. Est-ce par ce canal que Rafid, resté à Marseille et dans l'ignorance que sa femme s'était réfugiée à Besançon, a su où elle était ? Toujours est-il qu'il débarquait début avril au bord du Doubs, sa détermination étant redoutée de Razia et ses enfants, des enseignants, des militantes associatives et d'un juge des enfants, mais pas de la police ni du parquet.

 

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