Anne Vignot frappe fort en remplissant presque la salle prestigieuse du Kursaal et ses balcons à Besançon. Son grand meeting de campagne du 4 mars a réuni des soutiens d’envergure nationale pour chacune des composantes de sa coalition de forces écologiques et de gauche : EELV, PCF, PS, Génération. s. En attendant, la célébration de cette union, les photos de l’équipe en campagne défilent sur l’écran géant. Un groupe de musique latine entonne Hasta siempre, la célèbre chanson cubaine à la gloire du commandant Ernesto Che Guevara.
Jo Gosset, représentant de A gauche citoyens, introduit la séance en invoquant l’appel audacieux de son association politique pour un regroupement des forces de gauche à Besançon dès juin 2018. « Finalement, grâce à la candidature d’Anne et des forces de gauche, on a réussi ce rassemblement. Nous sommes passés du rêve à la réalité et c’est pour ça que l’on est tous là ce soir. » Il s’étonnerait presque de l’attrait des médias nationaux pour la campagne municipale à Besançon et, surtout, pour cette liste qui suscite beaucoup d’attention. « C’est une situation assez inédite, c’est ici un laboratoire nouveau. Ce rassemblement était d’une absolue nécessité, parce que l’on ne veut pas que la droite prenne la mairie. Et on entend par droite, le RN, LR et LREM ».
C’est Julien Bayou, qu’il appelle en premier au pupitre. « Je vous remercie de nous réunir, plus que la juxtaposition des logos, je retiens le sous-titre : Faire ensemble. » Rumeurs dans la salle et petit faux pas du nouveau secrétaire national d’EELV qui ne cite pas le bon : Faire équipe. « C’était pour voir si vous suiviez ! », rebondira-t-il en poursuivant aussi sec. « À partir de cette juxtaposition de ces logos, on doit créer une dynamique qui nous dépasse. Et, à partir de Besançon, construire un rassemblement qui permet de répondre au profond besoin d’une alternative à ce qu’il se passe aujourd’hui. » Il est bien sûr très fier que cette union se fasse autour de l’écologie et de son parti, « et encore plus fier qu’elle se construise autour d’une scientifique et d’une femme, Anne Vignot ». Après des années de prêche dans le désert, pour lui, la société est enfin prête au changement qu’ils prônent. « Nous avons besoin de ces personnes, comme Anne, qui savent où elles habitent, qui sont écologistes et qui n’ont pas varié, pas cédé aux chants des sirènes et qui habitent à gauche. »
« Sur un territoire de la taille de Besançon, j’ai perdu une élection à 49 voix au second tour »
Après l’évocation du cercle vertueux qu’une mairie écologiste peut initier, il ne voudrait surtout pas crier victoire trop vite. « Je voudrais vous mettre en garde. On est porté par les intentions de vote, mais la campagne ne fait que démarrer. Sur un territoire de la taille de Besançon, j’ai perdu une élection à 49 voix au second tour. Je ne laisserai plus personne me dire qu’une voix ne compte pas. Le 14 mars, on doit être extrêmement nombreux dans les rues pour marcher pour le climat. Et le 15, extrêmement nombreux à voter pour le climat et pour Anne Vignot à Besançon. On ne vous demande pas un chèque en blanc, les écologistes, la gauche, ont déjà géré des villes, évidemment », pointe-t-il en désignant les villes de Besançon et de Grenoble.
Sophie Taillé-Polian, sénatrice du Val-de-Marne, prend à son tour le micro pour Génération. s. « Faire équipe, c’est ça qui compte. Je crois que cette aventure commune dès le premier tour est un travail qui a porté ses fruits. Quand j’ai vu ce programme, si dense, avec des propositions sur tous les fronts d’urgences écologiques, sociales, démocratiques… On est vraiment au rendez-vous d’une ambition très forte, du sérieux, pour faire en sorte que la ville de Besançon retrouve les couleurs de la gauche et de l’écologie véritable », soutient-elle en brandissant le fascicule de 88 pages distribué à l’entrée.
Elle dénoncera le recul de l’État de droit et citera notamment les atteintes à la liberté de la presse avec, entre autres, les exemples d’Alex et de Toufik-de-Planoise deux reporters pour Radio BIP et Factuel.info, cités à comparaitre au tribunal de Besançon ce lundi 9 mars. Elle souhaite un sursaut démocratique partant des municipales. « Notre démocratie est en grande difficulté. Je ne dis pas encore danger, mais on pourrait en parler. Parce que la façon dont Emmanuel Macron gouverne ce pays prépare l’arrivée de Marine Le Pen. Et c’est aussi pour construire une alternative à ce faux duel organisé d’avance qu’il faut voter ce 15 mars pour des listes comme ça, parce qu’elle donne un espoir, parce que bien sûr, l’espoir est dans l’union », scande-t-elle.
« Une page nouvelle pour inventer cette gauche sociale et écologiste dont nous avons absolument besoin »
Pierre Laurent, sénateur et ancien secrétaire national du PCF, prend le relais. « Je suis très heureux d’être ici parce que vous allez à cette bataille des élections municipales avec une belle liste de rassemblement de la gauche et des écologistes, comme on en rêve partout. Il en aurait fallu un peu plus au 1er tour, j’espère qu’il y en aura beaucoup au deuxième tour pour que nous soyons capables de faire de ces élections municipales un beau point de départ d’une page nouvelle pour inventer cette gauche sociale et écologiste dont nous avons absolument besoin. C’était ce souhait que nous avions, nous les communistes. Ici vous l’avez fait, et ce n’est pas un hasard si on est tous les 4 aujourd’hui à ce niveau de représentation politique pour encourager et saluer ce geste ».
Olivier Faure, premier secrétaire du PS, détonne un peu en entrant sur scène. Souhaitant certainement s’assurer plus de prestance, il ne se rend pas au pupitre et se place devant l’assemblée pour entamer un discours dynamique dans cette salle où, précisera-t-il plus tard, Jean Jaurès, Léon Blum et François Mitterrand se sont déjà exprimés. « La gauche est belle quand elle sait passer sous ses désaccords. Des divergences il y en a, mais elle est tellement plus belle quand elle a su se rassembler, comme autour d’Anne, et qu’elle va être capable, dans cette ville, d’aller jusqu’à la victoire ». L’effet est réussi et applaudi.
« Nicolas Bodin s’est interrogé, c’est toujours un renoncement compliqué »
« Je veux saluer ici la lucidité, le courage et le sens de l’intérêt général de ceux qui, avec le PS, ont fait le choix de venir. » Le parti socialiste a été le dernier à rejoindre « L’équipe », formée en mars 2019 par EELV, le PCF et A gauche citoyens. La section locale du PS n’a acté qu’en octobre dernier son ralliement dès le premier tour. « Nicolas Bodin s’est interrogé. Vous imaginez bien que dans une ville qui a toujours été socialiste, une ville de gauche dont l’histoire est liée à celle de la gauche, renoncer pour une autre, même si on le fait avec l’idée que c’est elle qui doit gagner, et qui peut gagner, c’est toujours un renoncement compliqué. J’aimerais que ce qui se passe à Besançon soit une leçon pour toute la gauche. Partout en France, prenez-le meilleur, prenez-la meilleure, celui qui peut vous conduire à la victoire. Et ce qui n’a pas été possible au premier tour, faites-le au second », plaide-t-il.
Il raconte ensuite sa journée à l’Assemblée nationale. « Hier, nous avons vécu la séance du 49.3. Ce texte n’aura été vu ni en commission ni en séance publique. Il aura été interrompu par l’article 49.3, ce n’est pas la première fois, mais c’est la première fois qu’il est utilisé non pas pour chercher à maitriser sa propre majorité, mais pour interrompre un débat. Après 12 jours. Non pas pour un texte accessoire, mais un texte qui revient sur notre œuvre commune, celle du Conseil national de la résistance ». Il est profondément bouleversé du refus le matin même de la demande de commission d’enquête du PS sur l’étude d’impact de la réforme des retraites. « Nous savons que cette étude d’impact est faussée, truquée. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les économistes, y compris Antoine Bodzio, celui qui a inspiré l’idée du système à point ».
« Ce matin, pour la première fois dans l’histoire de la République française, ce droit constitutionnel nous a été refusé par la majorité. Voilà comment se comporte aujourd’hui ce pouvoir, qui n’est pas à la hauteur sur le plan social et qui se montre chaque jour davantage comme un pouvoir autoritaire qui méprise la démocratie. C’est insupportable, c’est la raison pour laquelle nous n’avons plus le droit de faire les uns et les autres comme si rien ne se passait. À faire comme si nous pouvions encore nous regarder en chiens de faïence, et nous dire que nous sommes peut-être un peu plus beaux ou un peu plus grands que celui d’à côté. Si on continue comme ça, nous le savons, aux prochaines élections, nous serons tous balayés. Parce que personne ne nous pardonnera le fait d’avoir été incapable de mettre en harmonie le social et l’écologie, alors que ces combats, à l’évidence, se rejoignent. »
Anne Vignot endosse fébrilement son rôle de rassembleuse
Après la diffusion du clip de campagne, où tous les membres de la liste s’expriment, Anne Vignot apparait sur scène. Elle semble parfois un peu hésitante et il lui arrive de bafouiller un peu au démarrage. Mais elle endosse toutefois son rôle de rassembleuse. Elle rappelle son enfance dans la cité de Tavaux, près de Dole. « Elle est loin, très loin l’image de l’écologiste bobo, déconnectée des réalités. Elle est loin, l’écologie punitive. Voilà qui je suis, fille d’ouvrier dans une usine. Qui sait si l’ombre des cheminées n’a pas participé à ma conscience écologique. » Elle, l’ingénieure de recherche au CNRS en géographie, « vois depuis 30 ans ce monde changer (…) Face à l’inaction, les scientifiques sont devenus des lanceurs d’alerte. C’est pourquoi j’ai choisi de passer de l’écologie scientifique à l’écologie politique. »
Après s’être félicitée du succès de son rassemblement, elle tire quelques « apprentissages » de la campagne et passe aux attaques. « Leçon n° 1 : Passez au vert. Vert clair, foncé, presque vert. Je ne sais pas ce qu’il y a dans l’air du temps, peut-être des sondages, mais tout le monde se convertit à l’écologie à Besançon. » Elle vise « l’écologie positive, celle de Mrs Macron et Alauzet » et la faible ambition du gouvernement sur le sujet. « C’est tout sauf de l’écologie, quand il renonce à ce point à l’Assemblée, comment peut-on croire un instant que Mr Alauzet va transformer cette ville et faire de l’écologie une priorité ? Je le dis aux Bisontins, adressons ensemble un 49.3 à La république en marche. Montrons-leur qui sont les écologistes dans cette ville ! », pique-t-elle en direction de celui qui fut de son parti avant de rallier LREM pour les législatives de 2017.
Elle poursuit, « leçon n° 2 : cachez votre logo, le plus petit possible. De ce point de vue, on a dû faire une erreur. On a cru qu’il fallait être clair avec les électeurs. On a mis nos logos, ils sont visibles, ils y sont tous. Avec les listes de Besançon, il faut jouer à où est Charlie. » Sa dernière leçon, cette fois pour LR. « Soyez de mauvaise foi. Au conseil municipal, Mr Fagaut c’est ne dépensez plus rien. Aujourd’hui c’est tout l’inverse. La ville doit compenser les manquements de l’État, il faut armer la police municipale et recruter 50 agents ». Elle s’adresse directement à lui dans son discours et rappelle que c’est son gouvernement qui a supprimé des postes de policiers et Fillon qui voulait supprimer 500 000 fonctionnaires.
« La sécurité et l’ordre public sont l’affaire de l’État, rien que de l’État »
Elle accuse Ludovic Fagaut et Éric Alauzet de s’aligner sur les propositions du Rassemblement national en matière sécuritaire. « Quand on veut être maire, on se réfère aux grands principes de notre République. Je renvoie mes adversaires à l’article 73 de la Constitution. La sécurité et l’ordre public sont l’affaire de l’État, rien que de l’État ». Pour répondre aux nombreuses fusillades qui secouent Planoise depuis plusieurs mois, c’est cet atout qu’elle entend jouer. « Élue maire, je déposerai au nom de la ville un recours contre l’État pour ses manquements. Le gouvernement abandonne une ville comme la nôtre, je demanderai à la justice de rappeler l’État à ses obligations. »
Les grandes propositions de son programme, financé en partie par l’emprunt, sont énumérées : rénovation énergétique des écoles, objectif zéro carbone en 2040, transports en commun gratuits pour les moins de 26 ans et les bénéficiaires de minimas sociaux, un bus des services publics, transformer Planoise en écoquartier, créer un Temis du développement durable, l’expérimentation d’un revenu minimum jeune qui concernerait une centaine de personnes, un budget participatif, etc. Elle propose aussi moins de pubs et moins de pubs lumineuses. Mais nous vous révélions que le projet de règlement local de publicité voté à l’unanimité au Conseil d’agglo où elle siège n’interdisait pas les écrans numériques.
Des épines tenaces pour « Besançon par nature », qui conforte sa place de favori
Le projet des Vaîtes, un écoquartier prévu sur des terres historiquement maraîchères au cœur de la cité comtoise et dont le chantier a été stoppé par la justice, est un point sensible pour « Besançon par nature » qui n’entend pas y renoncer. Cela étiole quelques-unes de ses propositions phares en matière d’écologie : renforcer la nature en ville, installer des maraichers bio ou le principe de zéro artificialisation nette dans l’aménagement de la ville. S’ils souhaitent aujourd’hui « revisiter le projet des Vaîtes avec une prise en compte plus exigeante des enjeux environnementaux », cela ne convainc pas ceux qui veulent préserver ce poumon vert dans la ville, à l’image de la chef de file de l’association des Jardins des Vaîtes qui a porté l’affaire au tribunal administratif, aussi tête de la liste France insoumise.
Des membres de L’équipe ont soutenu ce projet au conseil municipal de Besançon où ils siègent toujours. Notamment Anne Vignot, EELV, en tant qu’adjointe aux espaces verts, Nicolas Bodin, PS, adjoint à l’urbanisme et Christophe Lime, PCF, adjoint à l’eau. Cela amoindri aussi l’image de renouveau que veux porter cette liste, dont les têtes d’affiche ont été élues en 2014 derrière Jean-Louis Fousseret. Il menait déjà une liste rassemblant PS, EELV et PCF au précédent scrutin, mais était passé du PS à LREM en 2016. Aujourd’hui, il soutient Alexandra Cordier, l’ancienne référente départementale de LREM qui n’a pas été investi par son parti pour les municipales et qui mène une liste dissidente. Plusieurs signes indiquent d’ailleurs qu’elle pourrait se rapprocher de LR au deuxième tour…
Mais de tout ça, il n’en aura pas été question ce soir. Les soutiens nationaux qu’elle a reçus ont donné à la campagne d’Anne Vignot une autre envergure : l’espoir de l’union des gauches et des écologistes comme alternative solide et crédible à la politique libérale et brutale actuellement menée. C’est sans doute encore un peu lourd à porter, mais sans déclencher beaucoup de passions ou d’enthousiasme débordant de la part des militants présents, ce meeting a assurément conforté Anne Vignot, et son équipe, en favori des municipales de Besançon.