Agnès Varda cinéaste engagée, hommage à Pontarlier

La Rencontre de cinéma organisée par le Ciné-club Jacques Becker  du 29 octobre au 3 novembre à Pontarlier sera consacrée au cinéma au féminin. Ouverture le 29 octobre avec deux journées en hommage à Agnès Varda…

varda

Les programmateurs du Festival ont choisi quatre films dans la riche cinématographie d’Agnès Varda. Ce choix éclaire subtilement son trajet entre fictions et documentaires. Féministe, auteure, défricheuse d’images, farceuse, joueuse et surtout engagée, la cinéaste sera la figure tutélaire de cette édition consacrée au cinéma au féminin.

 

Dès ses débuts, le cinéma était masculin. À l’époque de la Nouvelle Vague alors que les réalisateurs se disputent la création cinématographique (Godard, Truffaut, Chabrol, Rivette etc.), Agnès Varda fut l’une des rares femmes (avec Nelly Kaplan et sa fameuse «  Fiancée du pirate ») à se frayer un passage sur la carte du jeune cinéma. Bousculant les conventions cinématographiques, en 1962, elle réalise « Cléo de Cinq à Sept » un film qui raconte en temps réel, quatre-vingt-six minutes de la vie d’une jeune chanteuse qui attend une réponse médicale.

A-t-elle le cancer ? Ce film ne quitte à aucun moment la jeune femme, et peu à peu, son errance dans Paris entre Montparnasse et Montsouris, lui ouvre les yeux ; sa rencontre avec le jeune soldat évoque en quelques mots la guerre d’Algérie.  L’engagement d’Agnès Varda est déjà là, dans sa façon de filmer Cléo et son approche des troubles de l’époque.

 Je me souviens d’un soir au Festival de La Rochelle où après la projection, Agnès Varda avait entonné avec Michel Legrand la chanson de Cléo. Immense moment de bonheur.

 

Autre fiction, « Sans toit ni loi » (Lion d’or à la Mostra de Venise) sorti en 1985 et restauré récemment. Au bord de la route et du ballet incessant des camions, le cadavre d’une jeune vagabonde est découvert.  Plutôt que de la juger ou de mettre le spectateur en état de compassion comme peut le faire un certain cinéma social, Agnès Varda ne juge pas. Elle veut savoir. Elle marche à ses côtés avec la caméra sans se prêter à la moindre interprétation. Varda questionne notre regard et ne porte de jugements ni sur les choix désespérés de la jeune vagabonde, ni sur l’incompréhension qu’elle suscite auprès des bourgeois.

Liberté totale ou solitude totale ? C’est l’histoire d’un effacement social : Mona (admirablement interprétée par Sandrine Bonnaire) quitte progressivement la vie pour disparaître et ce portrait tourné en 1985 entre tristement en écho avec notre monde contemporain. Ici la mort efface la solitude. La vie de la jeune femme se termine dans le froid, dans le sud de la France. Agnès Varda ne raconte pas un fait divers, elle montre l’histoire d’une jeune femme sur la route.  Point.

Voguer entre documentaire et fiction

Depuis ce film et durant toute sa carrière, Agnès Varda n’a jamais cessé de voguer entre documentaire et fiction. La coupe au bol, blanche au centre et brune autour, elle arpente le monde avec sa caméra ; on la retrouve sur un marché à l’heure où des personnes s’approchent des cagettes et des poubelles pour trouver de quoi se nourrir « Vous avez raison ; il y a trop de gaspillage » dit-elle pour entamer la conversation avec les laissés-pour-compte de la consommation.

Ainsi démarre « Les Glaneurs et la Glaneuse » (2000). Et si les uns glanent des pommes de terre, Agnès Varda, elle, glane des images. Des images sur un monde où, qui sait, les pommes de terre pourraient peut-être avoir une forme de cœur. Grâce à ce film, Agnès Varda expérimente une caméra numérique qui lui permet d’être plus près de ceux qu’elle filme et de filmer les premières traces de vieillesse sur ses mains. La voilà questionnant sa propre vieillesse en abordant une réflexion sur l’intime.

 

Et il y a eu la mer, décor infini de son obsession à inventorier le monde, et sur l’autre versant, son monde intime. « Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages » dit-elle au début du film. « Si on m’ouvrait moi, on trouverait des plages ». De « La Pointe courte » en 1955, son premier film tourné à Sète jusqu’à son film le plus ludique « Les Plages d’Agnès » (César du meilleur film en 2007) présenté dans cette programmation, Agnès Varda avance, ruse avec les spectateurs, se fait malicieuse préférant l’impertinence à la gravité, la légèreté à la morosité. « Les Plages d’Agnès » célèbre les 80 ans de la réalisatrice reprenant à son compte les mots de Montaigne, ce film dit-elle est destiné « à ce que l’ayant perdue, (ce qu’ils auront à faire bientôt) ses parents et amis puissent la retrouver telle qu’elle était».

Dans ce film Varda fabrique une sorte de bric-à-brac où elle devient glaneuse de son propre univers, souvenirs, films, lieux et détours du côté de Jacques Demy qui lui fit découvrir Noirmoutier où elle réalisa « Quelques veuves de Noirmoutier ». Et si la mer n’est pas rue Daguerre où elle vit et travaille, il suffit de parasols et de maillots de bain pour la recréer. Elle s’amuse même à voguer sur la Seine en coque à voile ! Chez Agnès Varda, il suffit d’imaginer et le monde devient mer. Photographe et plasticienne, elle ne se refuse rien. Après tout, voguons et prenons soin de ne pas installer la nostalgie semble-t-elle dire à chaque plan.

Je me souviens aussi d’une belle rencontre avec elle au Festival d’Angers et d’une phrase que j’avais notée dans mon carnet : « Je suis féministe depuis toujours. J’ai défendu le droit à la contraception et à l’avortement. C’est pour cela que j’ai réalisé : « L’une chante, l’autre pas. Une femme peut être ronde ou être plate. On n’a pas besoin de maîtres. L’homme est la bourgeoisie. La femme le prolétariat » disait-elle. (Article à lire sur Factuel)

Depuis mai 2019, la timonière vogue en liberté. Elle a pris le large laissant derrière elle le tumulte du monde.

 

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