« Incompréhension », voilà ce qui revient le plus souvent lorsqu’on aborde la situation de la famille Gjyriqi, sommée de quitter le pays. Mariola, Hysni et leurs trois enfants, tous scolarisés à Lure, sont arrivés d’Albanie en 2013. Abandonnant leurs travails respectifs, et après avoir déposé une plainte pour tentative d’enlèvement de leurs enfants, les parents ont fui ce pays où sévit une mafia protégée par les pouvoirs publics. Arrivés en France alors que leur benjamine avait seulement un an, ils ont entamé le parcours éreintant de demandeurs d’asile, épaulés par le Comité d’entraide aux réfugiés de Lure et environs, une association créée dans les années 1970 au moment des Boat People, qui a parfois été en sommeil, mais qui a « beaucoup de travail depuis une dizaine d’années », déplore sa trésorière.
Ensemble, ils ont coché toutes les cases d’une intégration réussie : des enfants scolarisés aux résultats plutôt excellents, des cours de français pour les adultes qui ont réussi leur examen, des amitiés nouées, un parrainage républicain signé avec la mairie en 2016, et même un contrat de travail en CDI pour Hysni validé par la Direccte (un service de la Préfecture) en février 2018. Malgré cela, le Préfet de Haute-Saône a signé le 15 avril et transmis le 26 avril une OQTF à l’encontre de cette famille, la condamnant à être expulsée à tout moment.
800 signatures récoltées par des lycéens
Une décision qui offusque les 350 personnes réunies vendredi en fin de journée devant la Sous-Préfecture en l’absence de la famille, assignée à résidence entre 17h et 19h30 par arrêté préfectoral. Parmi elles, plusieurs élus de la ville, en écharpe, et de nombreux camarades d’Ergys, l’aîné de 17 ans, scolarisé au lycée Georges Colomb de Lure. Des lycéens qui ont d’ailleurs récolté plus de 800 signatures avec une pétition lancée il y a trois jours pour faire entendre leur refus de voir le jeune homme arraché du lycée. « L’expulsion serait un traumatisme pour les enfants de la famille, bien sûr, mais aussi pour tous leurs copains de l’école », s’insurge Jean-Louis Morel, ancien président de la CGT 70 et toujours militant. « Quel est le sens de cette décision ? Pourquoi s’acharner sur une famille pour laquelle on s’était engagés à donner un titre de séjour ?»
Car ce précieux titre de séjour leur avait effectivement bel et bien été annoncé l’an passé lorsqu’ils avaient signé un Contrat d’intégration avec la Préfecture en mars 2018. En échange de leur engagement à apprendre la langue et à respecter les valeurs de la République française, la famille aurait du être régularisée. En langage administratif : « si vous respectez ces conditions, une carte de séjour pluriannuelle pourra vous être délivrée », était-il écrit noir sur blanc dans le contrat. Naturellement, « on espérait beaucoup une régularisation », confie Mariola.
Pourtant, malgré des engagements tenus, les parents ne reçoivent que des récépissés (une vingtaine à eux deux) leur permettant de rester légalement sur le sol français pendant quelques mois. « Ces ‘CDD de titres de séjour’ s’accumulent, et on n’a jamais eu de nouvelles concernant un éventuel titre de séjour durable », dénonce Michèle Schepens, présidente du Comité d’entraide aux réfugiés de Lure et environs. « On ne fait pas lambiner les gens six mois pour finalement les expulser. Ils y croyaient, comme nous tous ». Malheureusement pour les Gjyriqi, le pouvoir discrétionnaire du Préfet lui permet de passer outre ses engagements.
Un appel non suspensif
C’est la seconde fois que les Gjyriqi se voient délivrer une OQTF. La première, en 2016, avait été évitée de justesse, leur garçon ayant fugué pour éviter l’expulsion, et le père relâché à l’aéroport de Lyon avant de monter dans l’avion. La mère avait alors été victime de graves crises d’épilepsie et avait demandé un titre de séjour au titre d’étranger malade. Cette fois-ci, c’est au tribunal que cela se joue. La famille et l’association qui les soutient ont attaqué l’OQTF au tribunal administratif dès qu’ils l’ont reçue. L’affaire était jugée le matin même du rassemblement au tribunal de Besançon et le verdict est tombé dans la journée. Vers 19h, alors que les manifestants se dispersaient et qu’il ne restait que quelques dizaines de personnes devant la Sous-préfecture, c’est le choc : le tribunal a rejeté la demande de la famille, annulant par contre le délai de deux ans d’interdiction de revenir sur le territoire français.
« C’est une petite victoire, mais ce n’est pas une victoire non plus », estime Michel Antony, qui fait partie du Comité de soutien et réfléchit dès à présent aux suites à donner. L’association et la famille, sur les conseils de leur avocate, vont déposer un appel, mais celui-ci n’est pas suspensif et la famille peut donc être expulsée à tout moment. « Nous sommes sous le choc. Mais s’ils sont expulsés, on s’organisera pour qu’ils puissent revenir », promet Michèle Schepens. Parmi les personnes présentes, certaines se rassurent en évoquant le cas d’une famille kosovare qui a connu la même situation l’an passé à Angiray, et qui a pu revenir dans le village après son expulsion grâce au soutien de la commune. D’autres tentent de réconforter les parents qui sont venus sur place dès qu’ils ont pu quitter leur domicile. Tous déplorent le manque d’humanité du Préfet, « qui fait du chiffre sur le dos d’une famille que tout le monde à Lure souhaite voir rester ici ».