« Au loin, le point du jour », du côté de l’espoir…

Le film de la Bisontine Delphine Ziegler suit quelques migrantes ayant trouvé refuge auprès de l'association Solidarité-Femmes. Parfois accompagnées de leurs enfants, elles ont décidé de partir et d’en finir avec la menace. Aux blessures intimes, s’ajoute l’épreuve de l’exil...

Projection-débat à Ornans le 9 mai.

delphine

Une grange vide. Des sculptures à base de grillages et de papier calque représentent des corps abandonnés sur le sol, des corps recroquevillés, des corps appuyés sur un mur. Corps souffrants contorsionnés. En voix off des femmes évoquent leurs souffrances ; viols, mariages forcés, violences conjugales. L’exil ensuite. Derrière les mouvements de la caméra, une lumière s’obstine à percer par les planches ou les fenêtres de la grange.

Les œuvres sont celles de Delphine Ziegler. Avant de filmer, elle était plasticienne : « à un moment donné je me suis laissée embarquer basculant de la sculpture au film et m’intéressant de plus en plus aux relations entre l’image, le son, les mots et la narration. Je réalise des films de création depuis 2006. Je ne les décrirais pas comme films purement documentaires, même s’ils partent de réalité existante. La plupart d’entre eux détournent le réel d’une façon plus ou moins appuyée pour mieux en recueillir la sève ».

Après le préambule émouvant, le film reprend les témoignages de femmes sur l’image d’un arbre aux feuilles jaunes. Des oiseaux piaillent à la veille de l’hiver. De façon très fluide, l’image passe de l’onirisme d’un plan à la réalité pour arriver à Solidarité Femmes Besançon, un lieu où les femmes trouvent refuge après s’être exilées de leur pays.

Le thème musical improvisé in situ sur la séquence de la grange ou par la suite face aux images, jaillit dès le début du film comme une ponctuation discrète.  Les lignes mélodiques s’accordent avec les images et soulignent le propos sans emphase, avec toute l’empathie nécessaire.

« Un violeur ne peut pas être un père »

A l’origine de ce film une rencontre. Delphine Ziegler avait présenté « Fer à passé » à la 17 ème Rencontres du CCPPO. Invitée par une militante de l’association Solidarité Femmes, elle s’était rendue au repas mensuel organisé par les bénévoles. « Malgré les souffrances qui pouvaient se lire derrière les visages et qui donnaient lieu à des explosions de larmes, la solidarité semblait souder ces femmes de façon naturelle. La tablée fut joyeuse et bavarde. Le repas délicieux. J’ai dit oui à l’idée de faire un film. J’ignorais tout de cette association et méconnaissais ce sujet des violences faites aux femmes, qui reste pourtant brûlant d’actualité dans les médias».

Images d’hiver. Routes gelées. Une femme africaine raconte comment elle est arrivée à la gare de Besançon un jour de grand froid ; elle a d’abord trouvé de la solidarité auprès d’un SDF qui lui a donné un carton pour dormir en attendant qu’elle cherche un lieu d’accueil où elle pourrait s’installer pour commencer à faire des démarches.

Au centre du film, la question de l’enfant : « Qu’est-ce que je vais dire de son père à cet enfant ? Un violeur ne peut pas être un père ». Et le film bascule sur l’histoire de Merlin l’enchanteur et se termine par ces mots d’une psychologue-conteuse : « La malfaisance n’est pas héréditaire ». Cette femme veut garder son enfant issu d’un viol même si à l’échographie les médecins lui disent qu’il n’aura ni membres supérieurs, ni membres inférieurs.  Il s’avère ensuite que ce diagnostic était infondé et que le désir de vie est en elle. Il est beaucoup question des enfants chez ces mères ; elles veulent surtout leur donner la vie qu’elles n’ont pas eue. Image d’un tambour rond comme un ventre féminin incrusté sur l’eau transparente d’une rivière.

Plus tard, une baignade filmée avec délicatesse, nous dit que l’harmonie est possible et que le temps de l’espoir est là. Devant elle. Dans cette eau claire qui résonne comme le flux de la vie, une femme tient son enfant contre elle et lui fait découvrir l’eau. De nouveau, les premières fois.

Ces embûches administratives ou financières qui « dépassent la compréhension »

Toute la fin du film montre les femmes qui préparent un repas avec des tabliers jaunes. Elles évoquent leurs vies, la difficulté pour elles d’obtenir le statut de réfugiées, leur parcours pour avoir une vie décente dans ce monde où toutes les embûches administratives ou financières « dépassent la compréhension », comme le dit une femme.

La cuisine est le lieu idéal pour parler de l’intime, des difficultés avec les hommes pour lesquelles les femmes sont des objets à l’image de l’une d’elles à laquelle son mari promettait une robe si elle acceptait d’avoir des rapports sexuels. La préparation du repas permet de longues conversations où les femmes développent tous les aspects de leur vie avant leur exil. Leurs espoirs aussi. En cuisinant on se rapproche et la sororité devient une force face à l’adversité. Tout comme la solidarité.

Le grand talent de Delphine Ziegler est de mêler les destins douloureux à des images urbaines ou de nature. La caméra se déplace d’un lieu à l’autre comme pour signifier l’errance dans une ville figée par l’hiver et qui sait peut-être, l’indifférence des vies blotties bien au chaud. Il s’agit aussi de donner une respiration, un souffle poétique à ce récit.

Le rêve d’avoir une autre vie...

Car la réalisatrice mélange l’art et la complainte du monde. La ville devient un personnage allégorique avec des ponts qui relient ou séparent, des oiseaux dont on ne veut plus, et qui, eux aussi, migrent un peu plus loin, des trams qui glissent dans la nuit.

Loin de s’isoler du propos - à savoir la double peine des femmes d’abord malmenées puis exilées -, le film chemine à la recherche de leur parole, espoir ou désespoir avec en interstice le rêve d’avoir une autre vie.

La caméra s’attarde aussi sur les instants de bonheur ou de résilience offerts par l’association Solidarité Femmes Besançon, lieu d’accueil où les femmes retrouve leur identité en apprenant la langue, en trouvant un travail, et en soignant leurs blessures profondes (sophrologie, autodéfense, séances de maquillage). Là où se libère la parole et où s’éloigne les turbulences.

Au loin, la lumière de l’aube. Au loin, les enfants jouent au bord des rivières et les femmes voient arriver de nouveaux jours, pas forcément ceux de l’oubli, - mais d’une continuité de la vie -, à l’image de la pleine lumière d’une balade d’été où les blessures prennent du répit. Au loin, la promesse de nouveaux matins incarnés dans les espoirs de chacune.

 

 

 

 

 

 

 

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