Deux heures de débat sur la sécurité au conseil municipal de Besançon

La droite républicaine a critiqué la politique de prévention de la délinquance proposée par la municipalité, mais n'a pas voté contre. Elle n'a pas pu désapprouver les 26 recrutements annoncés dans la police municipale, ni la reprise d'une de ses propositions : le conseil des droits et devoirs des familles. Le maire a annoncé un débat sur l'armement de la police municipale... déjà anticipé par la convention de coordination avec la police nationale !

fousseret-poissenot

C'est un Jean-Louis Fousseret grave qui a ouvert le conseil municipal de Besançon lundi 19 janvier par une minute de silence après avoir prononcé les mots de « terrorisme, obscurantisme, barbares », et souhaité « que se poursuivent l'unité et la solidarité nationales à Besançon » où il a vu « plus de 30.000 personnes » lors du rassemblement de samedi 11 janvier.

« Il faut transformer ce drame en opportunité », a-t-il poursuivi. Avec une pointe de lyrisme, il a parlé du « réveil de la France des valeurs et des Lumières, cette France debout que tout le monde pensait amorphe, individualiste ». Citant la devise de la république, il y ajoute la laïcité, déclare qu'il ne faut « pas tomber dans un amalgame malsain et dangereux... » Il annonce enfin que « le temps des réponses » est venu, que « l'attente est forte, la responsabilité des politiques importante ».

Ça tombe bien, le gros dossier du conseil est consacré à la sécurité et à la tranquillité publique. Trois dossiers préparés depuis mai, apportant des « bonnes mesures sans délai », sont présentés comme une véritable politique... anti-terroriste à l'échelle de la ville. Le maire de Besançon répète ce qu'il a dit en conférence de presse vendredi, parle de son triptyque « éducation, prévention, répression », dit qu'il faut « relire Régis Debray », fait de sa proposition de 2002 d'enseigner le fait religieux à l'école « une nécessité ». L'élu défend la « création d'un nouveau creuset républicain, un service civique qui inculquerait les valeurs du vivre ensemble... » Il se dit favorable à un renfort des contrôles des frontières dans chaque pays de l'espace Schengen. Et pour faire bonne mesure, pointe le « danger des dérives ultra sécuritaires » tout en réclamant « la fermeté pour ceux qui enfreignent les lois du pays ».

Résultats des votes : la droite républicaine vote un rapport, s'abstient sur deux
Stratégie territoriale de prévention de la délinquance 2015-2017 (plan d'action en trois priorités : jeunes délinquants, violences faites aux femmes et intrafamiliales, tranquillité publiques) : Pour : majorité PS-EELV-PCF, 14 abstentions UMP-UDI-MoDem et FN.
Stratégie municipale pour la tranquillité publique (recrutement de 26 personnels : 16 policiers municipaux, 4 adjoints de sécurité voie publique, 6 opérateurs de vidéo-protection) : Pour : majorité PS-EELV-PCF, 12 abstentions UMP-UDI-MoDem, 2 contre FN.
Convention de coordination de la police et des forces de sécurité de l'Etat : Pour : majorité PS-EELV, PCF et UMP-UDI-MoDem ; 2 contre FN.

Jacques Grosperrin : « être intraitable avec les barbares »

En chef de l'opposition, au nom de « la droite républicaine », Jacques Grosperrin n'entend pas casser le consensus et rend « hommage au président de la République et au Premier ministre qui ont été à la hauteur des événements... Face à cette tragédie nationale, chaque responsable doit faire attention à ses propos, préserver le climat d'union, garantir la sécurité, préserver les débats... car la menace est durable. Il faut agir vite et fort, affirmer la laïcité, établir des règles en matière de pratique des religions, mettre fin aux dérives dès l'école, reconquérir l'esprit républicain... »

Le sénateur UMP estime que « l'Islam de France doit s'approprier la loi de 1905... » Cette position suppose à tout le moins d'amender la loi de Séparation des églises et de l'état, donc en débattre profondément, ce que Jacques Grosperrin ne dit pas. Il conclut en indiquant qu'il faut être « intraitable avec les barbares : pas de liberté pour les ennemis de liberté », et rejoint le maire en invoquant la nécessité de « repenser la politique internationale, Schengen... »

« La liberté, c'est avoir le choix », ajoute Philippe Gonon (UDI) qui entend opposer aux « idéologies radicales qui veulent nous imposer l'extrémisme » l'article  4 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789. Anecdotique : l'élu FN Julien Acard croit nécessaire de préciser que son parti, « n'en déplaise à Jacques Grosperrin, est républicain ».  

Police municipale : 50% d'effectif en plus

« Nous avons la double problématique de répondre à la déstabilisation par le terrorisme et à la délinquance », dit Jean-Louis Fousseret en présentant avec l'adjointe Danièle Poissenot la stratégie de sécurité à cinq ans reposant notamment sur 26 embauches à la police municipale, soit une augmentation de son effectif de 50% ! Cette politique, martèle-t-il, est « concrète, opérationnelle, le fruit d'une coopération, d'une coordination et d'une vision partagée avec l'Etat ». Ainsi, la discussion avec le patron de la police nationale dans le département, a-t-elle conduit à ne pas faire intervenir la police municipale jusqu'à 2 heures du matin car « il est délicat de faire travailler des agents en uniforme de nuit sans armement ». Par conséquent, les municipaux ne travailleront pas après 23 h, et encore seulement au centre-ville.

La droite est embarrassée pour critiquer le plan. Ludovic Fagaut reste bien sur sa faim car on « manque d'éléments tangibles, d'objectifs chiffrés » et de méthode d' « évaluation ». Jacques Grosperrin n'a pas ces réserves, sait qu'il est « difficile de parler sécurité quand il y a de l'émotion ». Il ne veut « pas rajouter d'angoisse au climat bisontin... » Bref, il est partagé. « Agréablement surpris car la création 26 postes quand je lis le journal, ce n'est pas exactement ça quand je lis le rapport ». Il pointe les transferts de postes, des opérateurs vidéos, des agents sur les adjoints de sécurité, et conclut : « à ce jour, il n'y a pas de policiers sur terrain ». « Mais si », dit Fousseret.

L'opposant évoque le délai d'un an pour la formation, s'interroge sur les « rôles et les missions », croit avoir entendu parler de la création d'une brigade canine dont le maire n'a jamais parlé. Jacques Grosperrin veut surtout « donner aux policiers municipaux les moyens de leur sécurité : je suis pour des armes non létales comme le taser, le respect se voir à travers les armes de poing ». Et d'interroger le maire : « quelle est votre position sur l'armement ? » Michel Omouri (UMP) remarque que la droite avait proposé en 2010 le conseil des droits et devoirs des familles que met en place la gauche : « vous le combattiez ». Il avance un autre pion : « allez-vous mettre les familles sous tutelle quand elles ne respectent pas leurs obligations ? » Il soulève aussi la « problématique du manque de renseignement dans les quartiers ». « Des RG locaux ! », ironise le maire, « le 17 existe ! ». Omouri poursuit : Argenteuil, « ville de gauche, a mis en place une brigade mixte police nationale - police municipale ». Fousseret répondra : « j'ai évoqué le sujet avec avec le préfet : l'entraînement, l'équipement et les missions sont différents... Avec 40 policiers nationaux en plus, la situation serait différente ». Ces 40 flics que Sarkozy a supprimés...

L'armement de la police est déjà dans la convention de coordination entre les deux polices
Jean-Louis Fousseret a annoncé un débat sur l'armement des policiers municipaux. Pour plus tard. D'abord au sein de l'éxecutif et en municipalité, puis en conseil municipal. Ce débat a quand même commencé sur les principes, les uns et les autres se positionnant en fonction de leur philosophie politique.
Le plus curieux, c'est que personne n'a semblé avoir remarqué que l'éventualité de l'armenent de la police municipale est déjà dans la convention de coordination de la police municipale et des forces de sécurité de l'Etat. Son article 3 dit qu'elle n'est pas dotée d'armes à feu (catégorie A ou B), mais d'aérosols et de bâtons de défense. Mais l'article 12 va plus loin et permet d'aller au-delà des bombes lacrymogènes et des bâtons : « le maire informe le préfet du nombre d'agents de la police municipale affectés aux missions de la police municipale et, le cas échéant, du nombre des agents armés et du type des armes portés ».
Cet article prévoit bel et bien une possibilité de faire évoluer la situation actuelle, avant même le débat annoncé. Interrogé à l'issue du conseil sur la signification de cet article, Jean-Louis Fousseret a été totalement évasif, renvoyant au débat futur...
Il a dit sa préférence pour des armes « non létale ». Le taser est quant à lui dans la catégorie B - donc exclu par l'article 3 - et sa non létalité est contestée...

Ludovic Fagaut : « Dire que ce n'est pas le Far-West, c'est du déni ! »

Pascal Bonnet (UMP) souligne l'augmentation des agressions verbales en collège. Il rend hommage à la policière assassinée par Amedy Coulibaly, Clarissa Jean-Philippe, « et en plus Antillaise »... « Pourquoi en plus », demande Jean-Louis Fousseret. Ludovic Fagaut (UMP) veut faire un procès en angélisme à certains élus de gauche : « en commission, un élu de la majorité a dit : ici, c'est pas le Far West... C'est du déni... » « C'est vrai que ce n'est pas le Far West », rétorque Fousseret.

Favorable à l'armement des policiers municipaux qui « ont droit à la sécurité », Philippe Mougin (FN), se réjouit qu'« enfin Monsieur Grosperrin rejoigne nos positions sur l'armement... » Il parle d' « actes de guerre contre nos concitoyens et les forces de l'ordre... ». Il estime le projet « revu à la baisse » et fait la fine bouche « ça fait moins de 3 par an, c'est trop peu... Nous voterons contre »

Sur l'armement, Jean-Louis Fousseret a changé : « c'est un vrai sujet, ce n'est pas un problème droite-gauche... » Il va chercher dans les positions des maires de droite de la région de quoi modérer les ardeurs de sa propre opposition : « le maire de Vesoul est contre, la maire de Montbéliard a dit qu'ils ne le seront pas armés, celui de Luxeuil qui est plein de bon sens, est contre, celui de Lons estime que la sécurité est une mission régalienne... Le maire Belfort propose des taser... On peut apporter des éléments de sécurité, mais le gilet pare balle n'a jamais arrêté une balle kalachnikov ou de lance roquette... »

Christophe Lime : la délinquance prend sa source dans « l'absence de réponse politique » à la pauvreté

Sur ce sujet, Jean-Louis Fousseret veut « ouvrir le débat, mais pas ce soir : un armement avec une arme létale n'est pas une solution... Mais l'actualité nous interroge au quotidien... Ce n'est pas l'armement de la police qui dissuade les terroristes. Et cela pose la question de la formation... Ce débat est légitime, nécessaire. Mais la police municipale n'a pas la même mission que la nationale, fait respecter les arrêtés du maire... Il y aura un débat : ou on reste comme on est, ou on regarde les armes non létales... »

Christophe Lime (PCF) insiste sur les causes de la délinquance : « l'absence de réponse politique » à la pauvreté. Il « rappelle que les plus pauvres sont les premières victimes de l'insécurité qui est aussi sociale, sur le pouvoir d'achats, ce qui entraîne une hausse de la délinquance dans les quartiers populaires... » Il estime que mettre « des moyens humains avec plus de policiers municipaux va dans la bon sens, mais nous aimerions que la police nationale en fasse autant ». Il remarque que dans le projet de convention, « la police nationale en demande beaucoup à la police municipale, sans réciprocité », ce qui le fait protester « contre les transferts de charge » et assurer que la « meilleure façon de protéger les policiers municipaux, c'est de donner des moyens pour la police nationale ».

Michel Omouri : « Vous êtes déconnecté de la réalité ! »

Michel Omouri fait du Omouri, direct et brouillon, passsionné et provocateur : « Avec vous, il ne se passera rien, vous faites de la communication ! » Jean-Louis Fousseret implore : « Monsieur Grosperrin, ne dites pas ça... Euh faites qu'il ne dise pas ça... » Sourires, mais Omouri continue, se répète, comme un boxeur tant que le gong n'a pas sonné : « le seul point sur lequel vous avez changé, c'est le conseil des droits et devoirs des familles ! Allez vous mettre sous tutelle les familles ? » « Ce n'est pas de mon ressort », répond Fousseret ! « Vous pouvez faire appel au parquet ou au conseil général », poursuit Omouri sans se démonter. Tout y passe, la cellule de veille de Palente-Orchamps qui ne réunit plus que 16 fois contre 24 l'année précédente : « on ne sait plus ce qu'il s'y passe ». Puis définitif, il assène : « Vous êtes déconnectés de la réalité ! Votre adjoint à la vie des quartiers dit qu'à Brulard il n'y a que des petits délinquants alors que ce sont des bandes organisées ! Vous dites tout et n'importe quoi ». Visé, Jean-Sébastien Leuba répondra plus tard, après s'être laissé le temps de la réflexion : « Monsieur Omouri n'intervient pas sur une délégation de service publique de plus d'un million d'euros, quelle conception de politique ! On ne fera pas de politique par la peur dans cette ville : il faut savoir distinguer la provocation... Nous n'avons pas attendu les drames car nous ne faisons pas politique sur l'émotion ».

Jean-Louis Fousseret joue le fataliste avec les propos de Michel Omouri : « Les choses ne se font pas en claquant des doigts... Je ne sais pas pourquoi j'insiste, vous n'êtes pas crédible... » L'adjoint aux sports, Abdel Ghezali, s'y colle : « On est contre la suppression ou la suspension des prestations sociales car ça ne résout rien... La politique de la ville, qu'elle soit d'un gouvernement de droite ou de gauche, a permis un gros travail, il faut de la présence humaine, associative... Sans elles, ce serait pire ».

Anne Vignot : « j'aurais espéré que la lutte contre la désespérance soit posée en premier »

Le Vert Antony Poulin assure que « parler tranquillité ou délinquance, c'est parler de la société que nous voulons. Nous sommes pour davantage de paix, de respect absolu des libertés fondamentales... Nous sommes lucides sur l'évolution de la délinquance, mais il n'y a pas une solution unique... La répression est utile si elle est comprise... » Il insiste sur les autres aspects, l'accent mis sur les violences intrafamiliales... » Il veut « redonner des repères », remettre les adultes à « leur place », constate que « les jeunes délinquants sont souvent déscolarisés », propose une « éducation aux médias », fustige la « stigmatisation »... Sa camarade Anne Vignot veut que l'on « prenne en considération l'origine de la violence, les injustices, les désordres intimes jusqu'à l'insoutenable... » Elle considère que « la question de l'armement intervient quand tout a échoué : j'aurais espéré que la lutte contre la désespérance soit posée en premier ».

Les droites n'aiment pas ces discours qu'elles attribuent aux « bisounours » comme le dira Philippe Mougin (FN). Jacques Grosperrin ironise : « les pâquerettes ne vont pas remplacer les armes ». Pascal Bonnet (UMP) est « étonné que certaines interventions laissent entendre que certains veulent la paix et d'autres non... J'entends des discours sur les causes sociologiques de la délinquance, mais on est dans la réalité, le trafic de drogue, la délinquance... Des jeunes sont en grande difficulté, la mise sous tutelle est un outil d'accompagnement : si vous ne l'envisagez pas, c'est que vous n'avez rien compris ».

Eric Alauzet défend le gouvernement qui a « préservé l'éducation, la justice et les forces de l'ordre »

Le député Eric Alauzet (EELV) veut prendre de la hauteur : « le chantier est colossal. Il faut le prendre sans tabou, mais sans excès, agir dans la clarté et la justesse, être moins tonitruant dans les déclarations et plus efficace dans l'action... Que les jeunes libèrent leur parole et que les adultes soient à leurs côtés, que chacun où il est puisse intervenir... Je demande un service civique pour les jeunes, mais aussi pour les adultes... Si toute la communauté des adultes ne se mobilise pas, on n'y arrivera pas ». Il s'inscrit en faux contre le « tout sécuritaire » dans le débat sur l'armement : « quand on voit ce que les Américains font du patriot act, je dis prudence, sans déni ni angélisme : l'Assemblée nationale a voté une loi anti-terrorisme avec une nouvelle incrimination permettant l'interpellation avant le passage à l'acte et des actions plus efficaces sur internet ». Il défend le gouvernement qui a « préservé trois domaines : l'éducation, la justice, les forces de l'ordre ».

Ayant beaucoup travaillé le sujet, Danièle Poissenot conclut le débat qu'elle qualifie de « constructif » tout en disant sa « colère » quand on l'accuse d' « affichage et de communication » : « 26 embauches, c'est davantage de présence humaine dans les quartiers. C'était une demande, c'est notre réponse ». Elle s'adresse à la droite : « vous êtes dans l'opposition, ce n'est pas facile pour vous d'approuver ce dossier. Mais il y a de vraies propositions ».

Les deux heures de discussions se terminent sur un « appel à la tolérance pour qu'aucune population ne se sente stigmatisée quel que soit son culte » de Jean-Louis Fousseret.

 

 

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