72 minutes d’effroi à « Utoya »

Fort mais éprouvant, le film d’Erik Poppe reconstitue le massacre terroriste dans une île de Norvège en 2011. Son jeu de caméra donne aux spectateurs le sentiment d'être piégés, eux aussi...

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« Vous ne comprendrez jamais », nous dit une jeune fille, face caméra, avant de poursuivre en fait sa conversation téléphonique avec ses parents. C’est par ce regard et cette phrase que commence « Utoya, 22 juillet », un film du cinéaste norvégien Erik Poppe (sortie le 12 décembre), qui évoque « le jour qui ébranla le monde ». Ce 22 juillet 2011, à 15H17, une explosion résonnait à Oslo, près du siège du gouvernement norvégien. Et à 40 kilomètres de là, à 17H06, sur l’île d’Utoya, « l’endroit le plus sûr au monde », commençait une tuerie dans un camp d’été de la Ligue des jeunes travaillistes.

Tueur « aux idées d’extrême-droite », Anders Behring Breivik a été condamné depuis à la peine maximale en Norvège, 21 ans de prison. Trois films évoquent cette tragédie qui, ce jour-là en Norvège, a fait 77 morts et une centaine de blessés : « Un 22 juillet » de Paul Greengrass (cinéaste de « Bloody Sunday », « Vol 93 » et trois épisodes de Jason Bourne) disponible sur Netflix, « Rekonstruktion Utoya » du réalisateur suédois Carl Javer (inédit en France), et donc « Utoya, 22 juillet », sélectionné en compétition au Festival de Berlin.

« Vous ne comprendrez jamais », nous dit Kaja. Et c’est vrai, nous ne comprendrons jamais, mais Erik Poppe nous donne des éléments de compréhension avec ce film écrit d’après des témoignages recueillis auprès d’une vingtaine de survivants et la lecture des rapports de police. Cette fiction a été tournée en une seule prise, sur une île voisine d’Utoya, un seul et long plan séquence dont en temps réel les 72 minutes de la tuerie.

La reconstitution possible d’une horreur réelle

Dès le début, la caméra est collée à Kaja (incarnée par Andrea Berntzen), qui se prend un peu la tête avec sa sœur, se mêle à une discussion politique, s’inquiète de l’attentat d’Oslo, jusqu’à ce que quelques jeunes gens arrivent affolés, en courant, et qu’on entende les premiers coups de feu. C’est alors la confusion et la grande trouille. On court avec elle, on s’enfuit avec elle, on a peur avec elle, on cherche sa sœur avec elle, à se réfugier dans les bois, se cacher derrière une branche, allongée sur le sol, s’échapper vers la mer, partir à la nage, puis y renoncer, se blottir dans une faille des rochers…

Et puis il y a ce son, celui de dizaines et dizaines de coups de feu, la terreur qu’ils inspirent. « C’est la police qui tire », croit-on (Breivik avait effectivement revêtu un uniforme de policier), il y a plusieurs tireurs supposent les jeunes pourchassés… Sans jamais montrer le tueur, à peine une silhouette furtive, Erik Poppe est avec les victimes, les blessés, les morts, il ne s’agit pas d’un divertissement pour faire peur, mais de la reconstitution possible d’une horreur réelle, d’un vrai massacre.

Evidemment, son procédé de caméra quasi subjective crée le malaise, il nous emprisonne nous aussi dans cette île, nous donnant le sentiment d'être piégé avec tous ces jeunes ; en cela le film est assez éprouvant, mais c’est aussi ce qui en fait sa force.

 

 

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