1981 : Voyage au cœur du cinéma français

Quels sont les cinéastes et les œuvres marquantes de l’année de l’élection de François Mitterrand ? Quels sont les films des années post-soixante-huitardes, période turbulente et joyeuse, revendicative et peu sage ? Qu’est-ce qui a changé depuis que les femmes prennent la pilule et font de leur liberté nouvelle un combat féministe ? De quoi parlent les femmes et de quoi parlent les hommes quand ils prennent la caméra ? Au-delà de ma revendication de subjectivité, des films émergent cette année-là et pas forcément là où on les attend. Allez, prenons ensemble un petit chemin de traverse avant la réouverture des cinéma !

Depardon a filmé la campagne de François Mitterand

Tiens voilà un film qui fleure bon les années 70, à l’époque où Le Journal d’un éducastreur circulait dans toutes les mains. À l’écran, c’est Coluche qui interprète l’Instituteur. Ça ne vous rappelle rien ?

Allez, dans un style post-soixante-huitard je vous ai dégotté une petite merveille  Les Babas-cool ou Quand tu seras débloqué fais moi signe ! de François Leterrier : Un homme en panne sur une route. Il cherche de l’eau à mettre dans son moteur et tombe sur une femme nue qui se prélasse au soleil. Elle vit dans une communauté et l’invite à passer la nuit avec elle. Comme il est marié, il raconte  à sa femme qu’il  a passé la soirée avec un copain. À son retour il retrouve ledit copain chez lui ! Ah ! Sa femme part en vacances et lui réintègre la communauté. Vous me suivez ? Dans la communauté, il vit avec un chevrier, un écrivain prétentieux, une femme mystique, un instit désagrégé par l’école, un guitariste-routard, amant de la jeune femme qui se prélassait nue. Vous me suivez toujours ? Eh bien vous avez tort car la jeune femme nue du début du film qui sortait  avec le monsieur en panne avec son auto et le guitariste routard, finit par repartir chez son mari gendarme. Waouh !!! On en était où ? Ah oui, j’ai oublié de vous dire qu’entre temps, la fille nue s’était rhabillée au moins pour rejoindre son gendarme de mari.

Vous n’allez tout de même pas croire que je vais vous raconter Belles, blondes et bronzées de Max Pecas ou On n’est pas des anges, elles non plus de Michel Lang ?

Paroles de femmes

Elles sont très peu à prendre la caméra en 1981.En revanche sur dix femmes réalisatrices, deux d’entre elles tournent deux films la même année. Marguerite Duras réalise deux adaptations ses propres écrits : d’abord Agatha et les lectures illimitées et avec les chutes et la transcription de la bande-son de ce premier film, elle réalise L’homme Atlantique.  Duras affirme son style cinématographique épuré, dépouillé de toute fioriture. Peu de personnages. La mer. Trouville, ville enveloppée de la voix off et du phrasé poétique de l’écrivaine cinéaste.

Agnès Varda vit aux Etats-Unis depuis peu : elle réalise deux documentaires la même année, Mur murs et Documenteur. 

Mur murs est un film sur les fresques murales de Los Angelès. Agnès Varda tombe sous le charme de ces œuvres éphémères dans une Amérique à la fois désenchantée et en mouvement. Dans Documenteur, joli jeu de mot pour une documentariste, elle raconte sa séparation d’avec Jacques Demy et son départ pour Los Angelès. Autoportrait ? Fiction ? Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Varda tient déjà les ficelles d’un cinéma qu’elle ne cessera d’explorer. 

Sur un ton très personnel dans Juliette une femme, Claudine Bories interroge les hommes sur leurs histoires, faiblesses et désirs, rituels et sentiments. Après le magnifique Simone Barbès ou la vertu sorti en 1979, Marie-Claude Treilhou poursuit sa carrière avec Lourdes en hiver, court-métrage de neuf minutes : un homme perd sa femme à Lourdes et la retrouve. Cauchemar ou miracle. Miracle, elle obtient le Prix Jean Vigo !

Juliet Berto égérie de la Nouvelle Vague, présente Neige, un film dédié aux petites gens et à un certain cinéma populaire qui fit les riches heures du cinéma français. Elle tourne dans les quartiers Barbès, la Goutte d’or, Belleville et Pigalle la blanche. Au-delà de cette histoire de dealer, elle documente Paris et ses quartiers et obtient le Prix du jeune cinéma à Cannes et le César du meilleur film.

Yannick Bellon cinéaste féministe auteur de L’Amour violé, un film dans lequel une femme porte plainte suite à un viol (ce dont le cinéma parlait peu) réalise l’Amour nu : après une rupture, une femme rencontre un homme et lui cache qu’elle doit se faire opérer d’un cancer du sein. Peu à peu elle se transforme refusant les idées reçues sur la féminité qui jalonnent la société toute entière.

Et n’oublions pas le magnifique Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig, une série d’entretiens réalisés avec vingt-trois actrices de plusieurs nationalités : elles évoquent leurs expériences professionnelles, les rôles qui leur sont proposés en relation avec les réalisateurs et les équipes techniques.

Même si 68 est passé par là, le cinéma reste une profession masculine puisque sur 146 films évoqués, seulement dix sont réalisés par les femmes. Il faudra attendre encore dix ans avant l’émergence d’un cinéma fait par des femmes : Dominique Cabrera, Claire Simon, Laetitia Masson, Sandrine Veysset et tant d’autres…

Que disent les hommes ?

Curieusement en  1981, pas de film de Jean-Luc Godard et de Claude Chabrol. En revanche Jacques Rivette sort deux films Merry-Go.Rownd et Le Pont du Nord, et les autres cinéastes de la Nouvelle Vague, Truffaut (La femme d’à côté) et Rohmer (La Femme de l’aviateur)explorent le couple et la famille et délaissent les problèmes de société. 

Dans Les ailes de la colombe, Benoît Jacquot met en scène une machination dans un couple. Bertrand Blier, cinéaste iconoclaste, réalise Beau père, la question du désir d’une jeune fille à l’égard de son beau père, suite au décès de sa mère. Les parents d’Ariel Bess, la jeune adolescente du film poursuivront les distributeurs en justice car leur fille s’expose les seins nus sur l’affiche du film. De son côté Alain Cavalier dans Un étrange voyage nous parle d’un rapprochement d’un père et de sa fille. Sur un mode humoristique Celles qu’on n’a pas eues de Pascal Thomas met en scène des hommes qui racontent leurs déboires amoureux dans un train. C’est la vie de Paul Vecchiali est un film né d’une curieuse façon. Le cinéaste écoute Macha Meranger et décide de réaliser une fiction sur les doutes d’une jeune femme dans une banlieue. Si la vie de couple ne lui réussit pas, doit-elle se tourner vers son amant ou encore aller vivre chez sa grand-mère ? Elle décroche son téléphone et consulte la conseillère en psychologie. Avec Hôtel des Amériques, André Téchiné de son côté, réalise un film hanté par le deuil. Hélène a perdu son mari et ce qu’il reste de cet amour est une maison vide et close au bord de la mer.  Elle va tenter de l’habiter avec le nouvel homme de sa vie, un garçon aux prises avec le vertige de la passion.  C’est l’avant-dernier rôle de Patrick Dewaere disparu en 1982. C’est  aussi le début d’une longue collaboration entre Téchiné et Deneuve. En réalisant Eaux profondes, Michel Deville traque les affres de la jalousie quand ils aboutissent au crime. Isabelle Huppert, venimeuse, exulte dans un rôle déterminant pour elle.  Pascal Thomas dans Celles qu’on n’a pas eues filme un compartiment de train où les hommes racontent leurs déboires amoureux. Clara et les chics types, j’aimais bien et je ne sais plus pourquoi. Ah si ! ça commençait par des mariés qui se disputaient à l’église et la mariée s’est sauvée en courant ! Ne me demandez pas pourquoi. Si, je me souviens aussi que Thierry Lhermitte disait : « c’est une phrase incroyable de Spinoza, que j’ai oubliée, mais il avait raison ». La musique était de Michel Jonas. 

Et Lelouch ? Il fait du Lelouch avec Les uns et les autres.

Le cinéma et la société

Côté fiction, fidèles à leur conviction, les auteurs engagés s’engagent dans la fiction ou le documentaire.

Allonz’enfants d’Yves Boisset dessine le portrait d’un jeune homme forcé par son père d’entrer dans une école militaire. Attiré par la littérature et le cinéma, il sera  confronté aux débuts de la Seconde guerre mondiale. De son côté Bertrand Tavernier s’intéresse au colonialisme avec Coup de torchon.

Film sur le trafic d’armes pendant la guerre d’Espagne L’ombre rouge, Jean-LouisComollimet en cause le stalinisme, avec une œuvre construite comme un film d’espionnage.

Robert Guédiguiantourne un premier film Dernier été à l’Estaque les usines ferment les unes après les autres. L’avenir est incertain. L’œuvre du cinéaste est déjà là avec la société en toile de fond et déjà l’idée d’un cinéma fraternel de bande.

Côté documentaire, les sujets traités ne sont plus en rapport avec l’effervescence de la décennie précédente mais s’ouvrent sur le monde.

Jean-Pierre Thorn termine Le Dos au mur, un film sur la grève de l’usine Alsthom de Saint Ouen du 10 octobre 69 au 26 novembre 79. 

Faim du monde de Théo Robichet questionne la dépendance alimentaire des pays du Tiers monde imposée par les stratégies économiques et politiques des pays grands exportateurs de céréales. 

Dans Houston Texas François Reichenbach réalise un reportage sur la criminalité à Houston, la ville la plus riche d’Amérique, capitale du pétrole et de la violence.  Dans la nuit du 16 août 1979, il est à bord d’une voiture qui patrouille dans la banlieue. Un crime éclate. Le shérif Charles Bakerest est tué. Le criminel parvient à s’échapper. Le film prend un autre virage : à travers les témoignages des proches et de la famille, il se transforme en drame. La caméra nous fait découvrir la solitude du coupable confronté à la justice et à lui-même jusqu’à sa condamnation à mort au Texas, l’état des Etats-Unis totalisant le plus d’exécutions capitales. 

Caméra à l'épaule et sans aucun commentaire, Raymond Depardon confirme son approche du cinéma direct et filme la campagne électorale de 81 : le candidat RPR Jacques Chirac va la rencontre les commerçants parisiens, la campagne de Georges Marchais, François Mitterrand au Palais du Luxembourg, Coluche en salopette au Théâtre du Gymnase…  Ce film est tourné entre le 1er et le 31 octobre. Depardon suit les photographes de l’agence Gamma sur tous les événements du mois.

Dans le film Solidarnosc, Serge Poljinsky revient sur les témoignages recueillis parmi la population et les militants qui illustrent la nature originale du mouvement social et politique qui se développe dans le pays sous l'impulsion de Solidarnosc.

Junkopia est un court-métrage expérimental réalisé par Chris Marker : La mer rejette des objets sur une plage vers San Francisco. Des artistes improvisent quelques sculptures éphémères : un avion à hélices, un kangourou, ou un vaisseau spatial. Comme toujours le commentaire est très poétique.

La centrale nucléaire de Fessenheim, la première de type réacteur à eau pressurisée. avec deux réacteurs à eau fut inaugurée en 1977. Dans le cinéma de l’année 81 aucun film ne traite de l’écologie. Christian de Challonge, dans Malevil aborde une catastrophe nucléaire sous la forme d’un film post-apocalyptique où il met en scène un village après une explosion sans volonté de dénonciation si je me souviens bien.

Autres pépites et nouvelles tendances.

Après cette visite au cœur des films français sortis en 1981, deux co-productions avec la Suisse attirent notre attention. La Provinciale de Claude Goretta ou le portrait d’une jeune femme qui quitte sa Lorraine natale pour chercher du travail à Paris. Elle ressemble étrangement à La Salamandre d’Alain Tanner : elle refuse compromissions et humiliations. 

De son  côté Alain Tanner sort Les années lumière, Grand Prix du Festival de Cannes. Dans un bar irlandais, Jonas un jeune serveur, rencontre Poliakof, un vieil homme étrange qui lui donne un livre. Quelque temps plus tard, Jonas quitte son travail et rejoint le vieil homme pour connaître son secret. Il y a dans tous les films de Tanner des personnages libres, capables de tout quitter pour devenir eux-mêmes. Charles, dans Charles mort vif, renonçait la société de consommation et basculait sa voiture dans un précipice. Ces deux films confirment une Nouvelle Vague Suisse.

Le cinéma amorce un curieux virage avec l’arrivée de deux cinéastes dont les premières œuvres lorgnent du côté de la publicité. Jean-Jacques Beineix réalise Diva, devenu film culte. Un jeune postier mélomane, est fasciné par Cynthia Hawkins, une célèbre diva qui n'a jamais consenti à faire enregistrer sa voix. Il réalise un enregistrement pirate d'un de ses récitals à Paris. S’ensuit une course poursuite lorsqu’une prostituée glisse une cassette compromettante dans sa sacoche.

Avec son court-métrage L’avant dernier, Luc Besson dessine les contours de son premier long-métrage Dernier Combat. Dans une terre dévastée par un cataclysme des hommes tentent de survivre. 

En écrivant cet article, je ne me souvenais plus qu’en 1981, Serge Gainsbourg avait réalisé un court-métrage Le Physique et le Figuré deux ans après Je t’aime moi non plus, qu’Adjani était la Clara de Clara et les chic types, que Jean Eustache avait réalisé Les photos d’Alex un court-métrage sur le feuilletage d’un album photo en famille. Je ne me souvenais plus d’avoir vu 40 films dans cette liste à laquelle s’ajoutaient les films étrangers. Ce voyage est terminé : on se donne rendez-vous au cinéma le 19 ?

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