« Pour Sama », la petite fille d’Alep

Sous les bombes du régime de Bachar al-Assad, Waad Al-Kateab a filmé le « journal d’une mère syrienne », un documentaire bouleversant primé à Cannes.

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« Dans quelle vie je t’ai embarquée », se demande Waad Al-Kateab, parlant à sa fille Sama. Un bébé qu’elle a fait et eu dans une ville en siège, Alep, dans un pays en guerre, la Syrie. C’est pour elle, pour son bébé, que la journaliste a tourné « Pour Sama », un film coréalisé avec le documentariste Edward Watts (sortie le 9 octobre), et qui a emporté par sa force bien des publics et des jurys de festivals, bouleversés, y compris Cannes, où il a reçu l’Œil d’or du meilleur documentaire.

« Me pardonneras-tu ? », demande encore la jeune maman à la petite Sama. Lui pardonnera-t-elle de lui avoir donné la vie dans une ville en siège, dans un pays en guerre, et d’avoir choisi d’y rester les premiers mois, les premières années, de son existence ? Ce film, ce « journal d’une mère syrienne », est ainsi à la fois un document pour l’histoire et un récit personnel, familial, que Sama regardera plus tard, quand elle sera plus grande.

Jeune femme « têtue et imprudente », estiment ses parents, Waad Al-Kateab est étudiante à Alep lorsque le printemps arabe souffle un vent de révolte jusqu’en Syrie en 2011. Elle commence alors à filmer les manifestations, la joie du peuple, la destruction des effigies de Bachar al-Assad… Puis continue de filmer pendant la guerre, comme une raison d’être ; la journaliste-citoyenne témoigne et envoie ses images à la chaîne anglaise Channel 4. La répression est violente, « Bachar tue son peuple », et le dictateur déclare la guerre totale aux rebelles.

Et puis les cris, les pleurs, les horreurs de la guerre

Waad Al-Kateab filme, notamment un ami médecin, Hamza, qui « avait toujours le sourire ». L’ami devient mari, et Waad met dans son film des images de leur mariage, de la naissance de leur bébé, la petite fille d’Alep qui ne connait que la guerre et dont le prénom siginifie le ciel. Waad rêve d’un ciel avec des oiseaux, des arbres, des nuages… Celui au-dessus de sa tête est rayé par des avions russes, plombé par les bombes lâchées, et obscurci par les fumées noires qui s’élèvent des ruines.

Malgré l’extrême violence déversée sur Alep, Waad et Hamza décident de rester, abandonnent leur jolie maison avec jardin pour vivre dans les sous-sols de l’hôpital de fortune créé par Hamza, et sur lequel vont pleuvoir missiles, obus, bombes… Waad filme toujours, sa fille Sama, son mari au travail, la vie quotidienne, les familles, ces enfants qui se baignent dans des trous d’obus, ou peignent des couleurs sur un bus explosé. Et puis les cris, les pleurs, les horreurs de la guerre. Ces cadavres repêchés dans le fleuve par dizaines, ces deux gamins qui portent leur frère jusqu’à l’hôpital où ils ne pourront que le pleurer, cette mère qui vient chercher son fils mort et tient à le porter elle-même, cette femme enceinte de neuf mois, grièvement blessée, et son bébé ramené à la vie, ces images de vidéo-surveillance lors du bombardement de l’hôpital, ces corps allongés au sol, ces traces de sang à terre... Des séquences terribles, qui font de ce documentaire un témoignage poignant.

Mais une ville assiégée et en plein chaos n’est vraiment pas un endroit pour élever un enfant. Waad et Hamza doivent se résoudre à quitter la ville, le pays, ils seront parmi les derniers à quitter Alep, en décembre 2016. La famille, les parents, Sama et sa petite sœur, vit désormais à Londres. Pendant tout le récit, Waad s’adresse à elle, car c’est bien « Pour Sama » qu’elle a fait ce film ; mais c’est aussi pour tous les autres, pour montrer ce que fut la vie en Syrie, à Alep, pendant une décennie de ce siècle.

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