Un correspondant de Factuel menacé par des policiers

« Toufik, t'es mort, t'es grillé, cours sinon c'est la tête ! » C'est ce qu'a entendu Toufik-de-Planoise, après avoir quitté la manifestation des Gilets jaunes qu'il couvrait, samedi soir à Besançon. Dans l'instant suivant, des projectiles, sans doute des balles de défense, le frôlaient... Il a décidé de porter plainte.

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« Toufik, t'es mort, t'es grillé, cours sinon c'est la tête »

Quand samedi 12 janvier vers 20 heures 30, Toufik de Planoise, correspondant local de presse pour Factuel et suivant le mouvement des Gilets jaunes, m'annonce qu'il a entendu cette phrase, lui étant adressée dans son dos par un policier de la BAC, alors qu'il marche rue de Belfort, à proximité du carrefour avec la rue du Chasnot, peu après avoir quitté la fin de la manifestation, c'est son second coup de fil de la journée de samedi 12 janvier.

En début d'après-midi, il m'a alerté de la fouille qu'il a subie rue des Granges, de la part d'un fonctionnaire de police, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre le lieu de rassemblement, place de la Révolution. Là, lui sont confisqués ses équipements de protection sanitaire contre les effets des gaz lacrymogènes : masque respiratoire, lunettes de piscine, sérum physiologique. Sa carte de correspondant de presse n'y change rien. Peut-être lui aura-t-elle évité une garde-à-vue, m'expliquera un policier qui m'indique que c'est la consigne préfectorale, elle même émanation du ministère de l'Intérieur.

Donc, après cette sommation de la rue de Belfort, Toufik explique avoir senti des projectiles le frôler et avoir réussi à s'enfuir. Il soupçonne des balles de défense, ces munitions responsables de plusieurs blessures graves causées depuis le début du mouvement à des manifestants en plusieurs endroits du pays. Interrogé par France3, le secrétaire général de la préfecture, Jean-Philippe Setbon, assure qu'aucun flash-ball n'a été utilisé. Joue-t-il sur les mots, le flash-ball ayant été remplacé par le LBD, lanceur de balles de défense, plus précis, ou certifie-t-il qu'aucun projectile n'a visé Toufik ? Et si c'était l'un de ces projectiles qui a blessé à la tête un jeune homme de 28 ans, à peu près au même instant et au même endroit ? Le témoignage de ce manifestant sur Radio-Bip est troublant. Il s'échappait et ne présentait aucun signe de danger, une des conditions encadrant l'usage d'un LBD.

Quoi qu'il en soit, pour ce qui concerne Toufik, sa forte stature, son gilet jaune portant dans le dos l'inscription « Média », faisaient qu'on ne pouvait pas se tromper. Quelques heures plus tôt, alors qu'il filmait avec son téléphone, sur le parking Saint-Paul, des policiers de la BAC en train de se replier face à des manifestants en colère, plusieurs policiers entourent Toufik, tentent de l'empêcher de filmer et y arrivent finalement. Sont-ce les mêmes policiers que ceux qui étaient derrière lui rue de Belfort ? Il pense avoir reconnu la voix de l'un d'eux.

Toufik a voulu déposer plainte au commissariat de police de Besançon où, dit-il, il a été éconduit. Il entend saisir directement le procureur de la République, mais aussi le Défenseur des droits et l'Inspection générale de la Police nationale (ajout du 15 janvier : ces démarches ont été effectuées). On sait d'expérience que des situations similaires débouchent sur des procédures quand elles sont documentées par des images ou des vidéos. Le journaliste David Dufresnes en a recensées plus de 240 à travers le pays. Il en évoque de très nombreuses autres, non enregistrées, dont le destin est généralement le classement sans suite. Des images de vidéo-surveillance ont-elles capté tout ou partie de l'agression ? Il serait utile de le vérifier dans le cadre d'une enquête judiciaire qu'il serait nécessaire d'ouvrir avant le délai légal de leur effacement qui est d'un mois.

Les faits rapportés par notre correspondant sont graves (voir son témoignage sur Radio-Bip). Au-delà de gestes dont il faudra établir les responsabilités individuelles, ils mettent en cause une utilisation contestable des forces de sécurité dont la responsabilité appartient à l'exécutif. Au lieu d'accompagner un mouvement social inédit, surprenant nombre d'observateurs, les forces de l'ordre sont utilisées de façon très curieuse par l'Etat. Comment comprendre la mobilisation des BAC, les brigades anti-criminalité dont la vocation et la culture sont la lutte contre la délinquance et le flagrant délit, sur des manifestations sociales ? Ces policiers habitués du contact, le recherchant, sont-ils les mieux placés, les mieux formés, pour gérer une foule ? Alors que les pays voisins ont des forces de sécurité ayant mission de favoriser la désescalade, on assiste dans notre pays à une stratégie de la tension dont on peut craindre le pire.

Comme je l'ai dit à ma consœur de France3, cela fait plus de trente ans que je côtoie professionnellement la police et la gendarmerie. J'ai ainsi eu l'occasion de constater qu'elles sont généralement respectueuses des libertés et observent une attitude républicaine alors que leurs missions sont souvent complexes, voire dangereuses. J'ai aussi vu depuis le début des années 2000, parallèlement à une évolution législative plus répressive relevée par de nombreux chercheurs, un changement dans l'encadrement des manifestations. Qui ne se souvient de l'autorité débonnaire et facilitatrice du commandant Chemoul à Besançon ?

Rien à voir avec les images et témoignages relatifs à l'emploi des forces de l'ordre face au mouvement des Gilets jaunes. Ils confirment les analyses selon lesquelles le pouvoir - et ce n'est pas propre à Macron qui accentue cette tendance - cherche à criminaliser les contestations. Ils vont à rebours de ce que tout démocrate attend d'unités chargées de protéger la société et les citoyens, mais aussi de garantir les libertés publiques constitutionnelles, telles que le droit de manifester et le droit d'informer.

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