Ultimatum I : jusqu’à 1 500 gilets jaunes « reprennent » Besançon

Jusqu’à 1.500 personnes ont battu le pavé samedi 18 mai à Besançon, dans le cadre d’un appel national baptisé  Ultimatum I. Pour les six mois du mouvement, on aura remarqué une convergence avec la Marche contre l'homophobie et la persistance du lien avec la Marche pour le climat, des divergences tactiques, un pique-nique raté et une nième confrontation avec les forces de l'ordre… 

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Jusqu’à 1 500 gilets jaunes battaient le pavé samedi 18 mai à Besançon, dans le cadre d’un appel national baptisé « ultimatum I ». Parti à 15h de la place de la Révolution après quelques prises de parole, le cortège s’est ensuite engagé dans un long périple de 4km jusqu’à Chalezeule où un « barbecue géant » était prévu. Mais au lieu des grillades et de la musique, ce sont les gaz lacrymogènes et la pluie qui ont couronné les six mois du mouvement dés que les quelques 500 participants restant ont fait route pour la zone commerciale. Si le succès numérique est unanimement salué, parcours et déroulements n’ont pas été exempts de critiques internes…

Cet acte XXVII ou Ultimatum I était organisé afin d’obtenir un fort retentissement. Il devait, outre remobiliser après plusieurs semaines de déclin dans les défilés, fêter « comme il se doit » les six mois du mouvement. Un anniversaire qui illustre en effet une ampleur et une pérennité singulière, presque unique pour un mouvement social dans l’histoire récente de France. Besançon, pour un temps, devenait donc, aux côtés de Nancy et Reims, capitale de la contestation. Des contingents régionaux et des quatre coins de l’Hexagone ont ainsi afflué, à l’instar de la Bourgogne, de l’Alsace, mais également de la Savoie, et jusqu’au Var, « montés à Besac’ » pour gonfler les rangs.

Un appel qui fait recette

Comme il fallait s’y attendre, les chiffres sont diversement appréciés. Côté officiels la Préfecture à communiqué « 800 personnes » au plus fort de l’événement, alors que les figures et historiques valident quant à elles au-delà de 1.500. Une vidéo anonyme prise au départ, sur plan large et en hauteur, illustre une foule compacte s’étirant abondamment sur les rues Cusenier et Goudimel, accréditant donc plutôt la seconde version. Celle-ci rejoint d’ailleurs en partie nos propres observations sur le terrain, portant l’évaluation entre 1.200 et 1.500 à ce moment là. Quoi qu’il en soit, il y a là un regain important qui tranche avec la disette des semaines passées.

14h, place de la Révolution. Ils sont déjà plusieurs centaines à se masser dès la fin du repas, renouant avec l’effervescence précoce, désormais presque oubliée, des premières manifs. Une fois n’est pas coutume, aucun dispositif policier n’est présent dans le périmètre, alors même que le samedi précédent des cordons de CRS filtraient chaque passant. Après des prises de parole exhortant à un sursaut et revenant sur l’actualité nationale, le démarrage s’amorce en direction de l’objectif fixé : Chalezeule. Pour autant, l’itinéraire n’étant jamais connu à l’avance et les changements de dernière minute fréquents, c’est le mystère qui demeure quant au programme.

Après un rapide crochet par la Grande-rue, un retour est improvisé à 15h15 afin de retrouver les 3 à 500 mobilisés de la Marche contre l’homophobie. Un symbole de convergence qui se voulait clair et unanime. Pourtant plusieurs personnes hostiles et craignant une jonction n’ont pas hésité à quitter l’événement, exprimant leur « dégoût du jaune ». Reste que, sur une bonne part du trajet, nombre de militants L.G.B.T.I.Q.+ ont saisi la main tendue, à l’image du collectif X.Y.Z. La haine, présente partout, ne peut être combattue aussi qu’en surmontant les divergences et en apparaissant auprès d’un public peu mobilisé sur la question pour espérer enfin le toucher.

Chalezeule, bataille finale

À l’image de cette déferlante, un nouveau souffle renouvelle aussi les pancartes et les slogans. Outre les panneaux et affiches pour la tolérance et la diversité venus se greffer un temps, les supports concernant la Marche pour le climat, le Référendum d’Initiative Citoyenne (R.I.C.), et bien sur une meilleure considération des travailleurs, retraités, et personnes en situation de handicap, fourmillent du début à la fin. La banderole de tête résume bien cet ensemble : « nous luttons contre l’injustice sociale, économique, et écologique ». Drapeaux comtois, français, rouges, arc-en-ciel, se mêlent à l’ensemble, sous les slogans anticapitalistes, anti-autoritaires, et hostiles au président Macron.

Comme chaque samedi désormais, les transports en commun sont bloqués dés 13h et le resteront jusqu’en soirée, notamment pour la portion nord du tramway. 15h45, le pont de la République est franchi, le cortège arrive aux abords de la rue de Vittel. Plusieurs autonomes et membres du nouveau groupe local « Extinction Rebellion » débarquent avec de larges tissus renforcés, sous les applaudissements. Toutefois, après des hésitations sur un passage par Viotte, et alors que la perspective d’un circuit dans la Boucle s’efface, le doute s’installe. Certains n’hésitent déjà pas à exprimer leur mécontentement, puisqu'un tracé direct, à la fois « aseptisé » et épuisant, apparaît.

Malgré les protestations grandissantes, c’est finalement cette option qui s’imposera jusqu’au bout. Entre-temps, les effectifs ont fondu : la marche, longue de plus de 4km, comprenant des montées interminables, passant par des petites rues souvent vides et étroites, en a refroidi plus d’un. L’arrivée se profile enfin avant 17h avec quelque 500 téméraires. D’autres critiques évoquent un « rendez-vous manqué ». Si beaucoup saluent le principe d’un barbecue pacifique et populaire en final, ils sont aussi nombreux à déplorer l’absence préalable d’actions conséquentes sur des sites d’intérêt alors même qu’un « sursaut » était annoncé et possible.

Sur place, c’est enfin la désolation qui prends le relais. Des « camarades » non-comtois sont restés en centre-ville faute de chaperons. Les averses, craintes tout l’après-midi, s’abattent sur des gilets jaunes déjà rincés par l’escapade. Surtout, les équipements installés et destinés à la soirée auraient disparu, les accusations de « vol » par les autorités fusant alors même que l’occupation du rond-point avait été déposée et validée en Préfecture. L’idée était à peine évoquée en amont, mais dès lors que la fête est annulée, plusieurs centaines de manifestants décident de continuer le périple pour rejoindre le centre commercial alors que les uniformes s’y déploient.

Gaz lacrymogènes contre parpaings

En pleine D683 habituellement bondée, manifestants et gendarmes mobiles se font rapidement face réalisant ainsi un quasi remake de l’acte XIII du 9 février… Un barrage se forme, et après de très brèves sommations, le secteur est embrumé par des dizaines de grenades lacrymogènes. Un groupe de gilets jaunes tente de nouer une discussion avec les forces de l’ordre, en premier lieu Frédéric Vuillaume. Alors que la figure syndicale demande des explications sur cette répression expresse, l’un des gradés lui somme de repartir sans quoi un nouvel assaut sera ordonné. Dès le second épandage une réaction de résistance se met en place, virant à la confrontation rangée.

Des barricades de fortune sont érigées avec des barrières de protection fixes et autres signalétiques de chantier, de nombreux parpaings et projectiles divers s’écrasent contre les casques et boucliers, et certains assaillants n’hésitent pas à se confronter au contact direct mais le plus souvent de façon « humoristique ». Pendant une grosse demi-heure la situation restera extrêmement belliqueuse et tendue, avec des dommages collatéraux comme le cas d’une femme enceinte de sept mois restée bloquée dans la circulation contrainte à l’asphyxie ambiante. Plusieurs arrestations seront notées, avec à ce stade des remises en liberté immédiates après la délivrance d’une contravention.

À 18h15, les « assaillants » sont repoussés jusqu’à la rue de Belfort, dont une grosse centaine a repris cette artère en direction de la vieille ville. Vers 19h de nouveaux heurts éclatent brièvement sur Chamars et Saint-Jacques, mais les gaz et d’autres interpellations stopperont toutes poursuites de velléités. À l’issue de ce second théâtre, l’équipe de reporters de Radio Bip est stoppée par la police nationale en face du Palais de Justice, rue Mégevand, officiellement pour un contrôle d’identité et une vérification auprès des listes de recherche, même si l’un des officiers, enregistré, demande la justification d’une « accréditation » afin de… filmer sur la voie publique.

Le bilan de cette journée est en demi-teinte. La réussite tient incontestablement côté audience, mais se ternit par rapport aux choix et bévues rencontrés sur le chemin. Au final on comptera huit interpellations, dont une majorité préventives pour des détentions d’armes par destination d’après le Parquet, notamment sur des contrôles routiers en agglomération. La conclusion pourrait être celle de Charles Piaget, personnage majeur de l’affaire Lip venu à la rencontre des manifestants place de la Révolution : « la bataille de notre camp ne se fera que sur un temps long et difficile, avec détermination et courage malgré les lassitudes et les échecs dont il faut savoir se relever ».

 

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