Trois collèges marseillais sous influence…

Chef d'établissements scolaires à la retraite, Bernard Ravet se lâche en témoignant dans un livre paru fin août, Principal de collège ou imam de la République, que Danièle Secrétant encense.

Un hussard noir de la république…

Un directeur d’ONG pédagogique…

Un Imam de la République ?

Je pensais alors embrasser une carrière aux contours assez nets. Priorité des priorités, je devais être garant du fait que les élèves apprennent quelque chose. C’est le mythe sur lequel fonctionne l’Éducation nationale. Tenir des programmes. Faire passer des examens. Certifier. Les mêmes programmes, les mêmes examens, les mêmes certifications, de Lille à Marseille, de Brest à Strasbourg, de Cayenne à Nouméa. Fut un temps où la République, décidément bonne mère, établissait même des emplois du temps identiques pour tous les élèves d’école élémentaire du pays. Morale à 8 h 30 […] La IIIe République naissante allait évangéliser laïquement une France alors rurale et catholique, forte de son armée de « hussards noirs », ces fiers instituteurs que Charles Péguy comparait aux membres de l’escadron de cavalerie constitué pendant la Révolution, en 1793, pour assurer le triomphe de la République naissante.

C’est au nom de ce mythe que l’Éducation nationale continue à envoyer dans des collèges comme Versailles (Le nom d’un des collèges, à Marseille, où se déroule ce qui va suivre) des jeunes enseignants souvent sympathiques et pleins de bonne volonté […] Mais parfaitement ignorants, pour la plupart, de ce qui permet d’obtenir un minimum d’attention de la part d’adolescents comme ceux que nous accueillons.

Bernard Ravet a été principal de collège. Dans la deuxième partie de son témoignage, il dit qui il est et d’où il vient.

Qu’avais-je à ma disposition pour contrer cette montée des comportements religieux, cette emprise implacable sur les esprits et les cœurs ? Qu’avais-je pour gagner cette guerre de territoire menée jour après jour, mètre après mètre ? La Loi. Et mes valeurs. Elles se sont forgées dans les années 1950-1960 à Lyon, sur les Pentes de la Croix-Rousse, en bordure du quartier arabe traditionnel. […] J’y suis né, j’y ai grandi, j’y ai étudié, j’y ai travaillé. Un père artisan plombier, une mère au foyer qui l’aidait pour la paperasse.

Bernard Ravet, enfant, est dyslexique et n’est pas  diagnostiqué comme tel, à l’époque. Il apprend à ruser pour combattre ce handicap, ce qui, peut-être, explique comment plus tard il a su ruser avec un milieu hostile et trouver des solutions pour des enfants en difficulté.

Héritier de l’histoire de sa ville natale, il rappelle le combat des canuts et le célèbre Chant des canuts, chant de lutte qui dénonce alors l’emprise de la religion catholique et celle des puissants.

Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or.
Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or.

Nous en tissons…
Pour vous, grands de l’Église,
Et nous, pauvres canuts,
Nous n’avons pas de chemise.

C’est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.

Le trajet de Bernard Ravet vers sa vie d’adulte et ses engagements est marqué par l’histoire de son territoire d’enfance. Il se forge une idée du métier qu’il veut exercer, celui d’instituteur. Il relate la formation exigeante qu’il suit à l’École Normale d’instituteurs. Il dit l’importance de la culture pour lui, du cinéma particulièrement. Du théâtre. Il apprend la photographie. Cette importance pour la culture sera un fil conducteur dans son action de pédagogue.

Aujourd’hui à la retraite et débarrassé de son devoir de réserve, il parle. Son récit est presque terrifiant, tant les faits qu’il rapporte font se poser la question : En France ? Ça se passe vraiment en France ? Dans les collèges de la République ? Une République laïque ?

Bernard Ravet dénonce la loi du silence qui a régné et règne encore.

Silence de l’entourage des politiques, qui évite de faire remonter aux patrons la réalité de ce qui se passe. Hantise d’être tenu pour responsable.

Même silence et hantise au rectorat.

Silence et hantise à tous les étages.

Nous ne luttons pas efficacement car tout nous incite au silence.

Il dénonce les petites et les grandes lâchetés des Politiques qui se livrent au clientélisme, celles de l’Éducation nationale, des syndicats… il dénonce l’hypocrisie ambiante, l’absence de vision, l’abandon des enseignants livrés à eux-mêmes… Pas de vagues ! Pas d’amalgame ! Un constat appuyé sur des exemples très concrets.

Ça se passe à Marseille, dans des collèges réputés difficiles, dans des quartiers où force n’est plus à la Loi Républicaine, mais à celle des voyous et à celle des intégristes religieux islamistes.

D’où le titre du livre : Principal de collège, ou Imam de la République ?

Un titre provoquant au premier abord. Mais dès les premières pages, on sent le vécu jusqu’au fond du cœur, des tripes et des principes. Qualités dont Bernard Ravet semble ne pas manquer. Et quel courage de livrer ce témoignage à l’heure où quiconque émet des réserves sur l’Islam se fait traiter d’islamophobe ou de suppôt de l’extrême droite.

Ça se passe à Marseille… mais pas seulement.

Un rapport explosif, prestement enterré

Un rapport, le rapport OBIN, paru en 2004, sonnait déjà le tocsin. Un rapport explosif prestement enterré. Jean-Pierre OBIN, alors inspecteur général, enquête sur la montée du phénomène religieux dans les établissements scolaires. Lui et son équipe ont visité des établissements dans 24 départements. Tout y est dit !

« Face à ces évolutions pour le moins inquiétantes, les pouvoirs publics ne semblent pas toujours réagir à la hauteur des enjeux »

« À la question “Êtes-vous aidés sur ces questions par vos inspecteurs ?ˮ, la réponse des professeurs a été partout un non” sonore et sans appel », écrit Jean-Pierre Obin, incapable ici de retenir sa plume.

Ce rapport va m’aider, écrit Bernard Ravet. J’affronte toujours la situation dans une immense solitude, mais je sais que je ne suis pas le seul. Je commence à comprendre que nous avons été, collectivement, victimes d’une combinaison délétère de cécité et d’impuissance. Cécité face à la montée de ces phénomènes. Elle fut brutale mais cela n’y change rien : pour la plupart, nous n’avons rien vu venir, peu instruits de ce qu’est l’Islam et encore moins de ce que sont les mouvements islamistes. Nous nous sommes réveillés un jour pour constater que le mal était fait.

À cette cécité s’est ajoutée l’impuissance. Que faire ?

Plus loin dans son témoignage, Bernard Ravet revient sur ce rapport.

Comment faire son travail quand on n’a plus la main ? Quand l’institution dont on dépend se révèle totalement impuissante à aider à y voir clair ?

[…] Pour filer la métaphore religieuse, il (JP Obin) avait en sorte obtenu la confession du collège face à l’institution – confession qui ne valait pas absolution mais reconnaissance des péchés.

Je n’avais pas rêvé. Je n’étais pas seul à voir et à savoir. Mais nous étions isolés et, je le crains, inaudibles… Je ne jette pas la pierre au rectorat d’Académie. Ses responsables n’avaient simplement pas le bon logiciel pour comprendre. Contrairement aux RG qui, à l’époque, étaient les seuls à avoir les clés d’analyse.

Ce témoignage s’ajoute à d’autres. Les territoires perdus de la République, par exemple. L’ouvrage d’un collectif d’enseignants paru en 2002, et qui dénonce le sexisme, l’antisémitisme, le racisme, la montée de l’islamisme dans les collèges et les lycées parisiens et de la région parisienne.

Un article dans l’hebdomadaire Marianne, paru en avril 2016.

Qui veut bien chercher trouvera d’autres témoignages, qui ne sont pas du fait de l’extrême droite !

Il y a urgence !

Il y a urgence.

C’est pourquoi j’écris ce livre. Pour dire un fragile espoir. Pour ne pas laisser les prophètes de l’Apocalypse nous convaincre, collectivement, que tout est fichu, que l’obscurantisme l’a emporté. Pour ne pas laisser celles et ceux qui prospèrent sur nos peurs viscérales nous convaincre que pour combattre le fanatisme nous devrions renoncer à nos valeurs et nous comporter, en tant qu’institution, en tant que nation, selon les normes de nos ennemis. Il convient, pour cela, de dire d’un même mouvement la vérité, dans toute sa crudité, et de documenter les raisons d’espérer, car elles existent.

C’est ce que j’ai essayé, modestement, de faire dans ces pages. Je suis Bernard Ravet, retraité de l’Éducation nationale, ancien principal dans trois des collèges les plus « difficiles » de l’académie d’Aix-Marseille.

Quand le quotidien d’un principal de collège ressemble à un roman noir… avec possible tentative de meurtre à la clef.

Ça a fait « vlaaam !!!. Ou « boum !!! ». Ou « baaaang !!! ». Je ne sais plus. Un bruit à la fois violent et assourdissant. Énorme. J’imagine les vitres qui vacillent. Je devine les murs qui tremblent. Au fond, je ne sais qu’une chose : que ce bruit de tous les diables me hurle : « Sors d’ici ! Vite ! » Car je sais aussi – pourquoi ? – que cette déflagration en annonce d’autres. Je n’ai que quelques secondes pour réagir.

Récit d’un événement en zone de guerre ?

Non. Bernard Ravet est dans son bureau, le jeudi de l’Ascension. 20 heures.

Il appelle la police.

« Je suis arrivé au collège à 15 heures, pour préparer les conseils de classe des troisièmes. Ce sont des conseils d’orientation, stratégiques – iront-ils en lycée général ? en lycée professionnel ? Dans quel CAP ? Ils jouent leur avenir, peut-être leur vie. Je voulais me donner le temps de regarder chaque dossier en détail. J’avais décidé d’y consacrer mon jeudi de l’Ascension. Je suis entré dans le collège par l’arrière, en voiture. Et là, j’ai découvert une quarantaine de jeunes en train de jouer au foot dans la cour.

- Quelqu’un leur avait ouvert ?
- Non.
- Les grilles font quatre mètres de haut à vue de nez !
- Ça n’empêche pas les intrusions.

- Bon. On va essayer de reconstituer. Vous étiez où au moment du premier pavé ?
- À ma table
.

Elle la regarde et désigne, sur le bureau, un bloc de béton. Il n’a pu arriver que par derrière avant d’atterrir là, au milieu des dossiers de mes élèves de troisième, suivant une trajectoire sur laquelle, quelques secondes auparavant, se trouvait le sommet de mon crâne. Elle me regarde droit dans les yeux.

« Monsieur le Principal, on n’est pas dans une histoire de cambriolage. Votre bureau était le seul à être illuminé. On ne pouvait ignorer qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. Pour moi, il n’y a aucune ambiguïté : c’est une tentative d’homicide. J’appelle la police judiciaire.

Intrusions dans le collège, vols, (d’ordinateurs au CDI, entre-autres), incendie du gymnase (c’est quelques jours avant que Bernard Ravet arrive à « Versailles »). Violences, violences faites aux filles, rackets, insultes aux femmes prof qui portent des jupes, rapports de domination, repères moraux érodés… Contestation des enseignements, en particulier ceux de l’Histoire et de la SVT… Le créationnisme a seul le droit de cité et des élèves affirment haut et fort que la loi de Dieu prévaut sur la loi des hommes. Qu’il est légitime de couper la main des voleurs et de lapider les femmes. Un … enseignement, porté par l’Imam de la mosquée d’à côté, fréquentée par un surveillant du collège, surveillant sous contrat pour six ans… repéré par les RG d’alors, et dont on dirait aujourd’hui qu’il est fiché S.

Alerté par Bernard Ravet, le Rectorat répond qu’il ne peut rien faire.

Antisémitisme. Bernard Ravet devra conseiller à une maman Juive de ne pas inscrire son fils au collège… public, de la République… laïque, parce que sa sécurité n’y sera pas assurée.

Je n’ai aucun doute là-dessus : interrogés quelques mois plus tôt par Édouard Zambeaux, un journaliste de RFI venu en reportage au collège, sur leurs relations avec les Juifs, des élèves ont répondu : « Il n’y en a pas. Et s’il y en avait, ils seraient obligés de se cacher. »

Pire même, Bernard Ravet doit se débrouiller seul, grâce à son réseau, pour que l’enfant soit admis dans un collège privé. Collèges privés qui sont de plus en plus sollicités.

Je l’assume : ce jour-là, une fois encore, j’ai agi en directeur d’ONG, parant à l’urgence qui me semblait la plus vitale, et pas en principal de collège investi de la mission de défendre les valeurs républicaines qui, en l’état, ne m’auraient pas permis de garantir la sécurité de cet adolescent dans mon collège musulman à 95%, chauffé à blanc tous les soirs via les télévisions par satellite arabes vouant aux gémonies Israël, les juifs, et la France coupable d’interdire le port du voile aux élèves.

Des histoires d’adolescentes et d’adolescents, racontées avec infiniment de tendresse et d’attention. Certaines histoires se terminent bien, d’autres très mal.

Ces élèves parfois désespérants mais qui, tous, recèlent des pépites d’humanité et de générosité que nous savons si mal identifier et polir. …

Ambiance, ambiance…

Toute la journée se déroule donc sur le qui-vive, habitée par la hantise de tout chef d’établissement en ZEP, celle de la bagarre généralisée, de la « baston » que même une dizaine d’adultes ne peuvent interrompre et au cours de laquelle un coup de couteau fatal sera porté. Car des couteaux, il en traîne dans les sacs, que nous ne pouvons fouiller.

Dans le rapport Obin, (…2004 !) et sur la contestation des enseignements : « L’absentéisme et le refus de certaines activités sont de plus en plus fréquents, notamment en piscine et en plein air. » En lettres et en philosophie : « “Rousseau est contraire à ma religion”, explique par exemple à son professeur cet élève d’un lycée professionnel en quittant le cours. Molière et en particulier Le Tartuffe sont également des cibles de choix : refus d’étudier ou de jouer la pièce, boycott ou perturbation de la représentation. Il y a ensuite les œuvres jugées licencieuses (exemple : Cyrano de Bergerac), “libertines” ou favorables à la liberté des femmes, comme Madame Bovary, ou alors les auteurs dont on pense qu’ils sont étudiés pour promouvoir la religion chrétienne (Chrétien de Troyes…) »

Quatre missions pour le principal, et un adversaire inattendu : Dieu.

Première mission :

Priorité des priorités, je devais être garant que les élèves apprennent quelque chose.

Deuxième :

Gérer les personnels.

Troisième :

Gérer au mieux un groupe d’adolescents. Dans un collège comme Versailles, elle écrasait toutes les autres. Nous avions affaire à près de 700 piles électriques, des gamins incapables de se parler autrement qu’en hurlant, hypersensibles à la moindre critique, éruptifs, impulsifs, imprévisibles.

Quatrième :

Inscrire l’établissement dans son environnement social. Créer des liens avec les habitants, le tissu économique, les institutions culturelles et sportives, le quartier… je découvrirai rapidement que plus cette mission est ardue à remplir, plus les autorités éducatives, – rectorat et ministère – se voilent la face.

J’ai traité la première mission en ancien instit, la deuxième en « pédagogue offshore », la troisième en directeur d’ONG, la quatrième en commissaire de police. C’était difficile, complexe, éreintant, mais possible. Jusqu’à ce que je butte contre un adversaire d’une nature tout autre : Dieu. Face à la montée de l’emprise du religieux sur les quartiers, il me fallut devenir « imam de la République ». Rien ne m’y avait préparé.

Dans le chapitre intitulé Ma journée de la jupe, Bernard Ravet fait un constat :

Ces questions, je vivais avec. Mais très vite, au début des années 2000, un autre adversaire est apparu. Dieu.

Au début des années 2000… !

Il raconte comment trois enseignantes ont été agressées sur le chemin qui les conduit du collège au Métro. Bombardées de canettes de coca pleines, traités de putes et de salopes. Elles étaient en jupe ! Des élèves subiront le même sort. Porter la jupe, ne peut être que le fait de putes et de salopes. Au nom de Dieu… d’Allah, elles doivent être punies.

La Bac assurera la protection des alentours. Mais la présence de cette dernière fait du tort aux dealers. Une rencontre entre Bernard Ravet et eux a lieu. Un deal : les dealers font en sorte que les profs ne soient plus ennuyées, la présence de la BAC ne sera plus nécessaire.

- Mais le Coran ? Il n’incite pas à faire du mal…
- Non. Mais les consommateurs, ils ne sont pas musulmans. Si la drogue tue, elle ne tue que des mécréants. Ce n’est pas contraire à la religion.

Je manque tomber de ma chaise. Ils viennent, placidement, de m’expliquer que vendre de la drogue s’apparente, pour eux, à une forme de jihad.

[...] Si j’avais besoin de savoir qui tenait réellement, sur la durée, le territoire du quartier, j’avais ma réponse.

Un adversaire inattendu, Dieu… et des alliés

Des alliés ? Ils ne sont pas nombreux. Citons quand même Mme Berrebou, une femme formidable, parent d’élève à Manet, mon précédent collège. Une figure de la cité des Flamants, dans les quartiers nord. Elle est peut-être la principale personne-ressource grâce à qui nous réussissons à avoir des liens avec le quartier. Elle a même été décorée de la légion d’honneur pour l’ensemble de son travail avec les associations.

Les sanitaires du collège étaient dans un état déplorable. Le Conseil général a financé leur réfection. Contrairement à l’Éducation nationale, qui se voile la face sur la réalité de ce que vivent les élèves et les personnels, le conseil général a parfaitement compris ce que nous endurons et ne rechigne jamais à nous aider.

Madame Berrebou, elle, comprend tout de suite ma problématique.

« Vous ne cherchez pas quelqu’un seulement pour laver, n’est-ce pas ? C’est aussi pour éduquer… J’ai mon idée. » Et elle me présente Fatima, 35 ans, majestueuse femme de ménage, élevée aux Flamants, qui cherche un emploi aidé.

En quelques jours, Fatima fait des toilettes son territoire. Elle passe des garçons aux filles sans problème. S’assure de la propreté des lieux. Mais surtout, elle discute avec les élèves. Et très vite, ces derniers se confient à elle. Si bien qu’un jour, Fatima vient me voir : une gamine de quinze ans lui a avoué qu’elle était enceinte.

Dans les alliés, il y a aussi la Police et les Renseignements Généraux. Eux, ça fait belle lurette qu’ils connaissent la réalité de la montée de l’islamisme radical.

Mais le « pas d’amalgame ! », et la crainte du soupçon d’islamophobie font qu’on ne les écoute pas. Ou qu’on ne tient pas compte de leurs alertes. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, ni pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… La multiplication des voiles, par exemple, et le discours sur les femmes qui va avec. Discours qui se transforme en actes d’agression contre celles qui ne se voilent pas, qui prétendent prendre un verre à la terrasse de cafés, qui se baladent seules et en jupe …

« Il faut que vous le sachiez :
des Mohamed Mehra en puissance,
dans le quartier, il y en a »

C’est une maman qui vient le dire à Bernard Ravet.

« Monsieur Ravet, mon fils aurait pu être un Mohamed Mehra. Et je n’aurais rien vu. »

Elle raconte comment les « religieux » ont pris en charge son fils qui se droguait. Comment elle a vu ça d’un bon œil, au début. Comment son fils a adopté une attitude de plus en plus rigoriste parce qu’elle ne portait pas le voile, jusqu’à l’insulter. Par chance, le jeune homme a été pris en charge par des membres de sa famille, dans la région parisienne. Elle dit qu’il s’en sort.

-Je comprends. Et je vous remercie de m’avoir parlé. Puis-je vous demander pourquoi ?
- Parce que je n’avais rien vu venir. Et cela fait peur, monsieur. Cela fait peur.

Nous nous sommes trompés

Nous nous sommes trompés.

Je me suis trompé.

De bonne foi, mais cela ne change rien au résultat.

Longtemps, trop longtemps, nous avons pensé que la meilleure façon d’adresser un message positif aux élèves et aux familles consistait à recruter des jeunes du quartier– les fameux « grands frères ». Le raisonnement se tenait.

[…]

J’avais vu ces liens fonctionner, plutôt bien, dans les quartiers Nord.

Cela allait changer.

À peine arrivé au collège Versailles, je constate que les associations d’aide aux devoirs qui approchent le collège sont d’obédience religieuse. Pas forcément musulmane : la première à se manifester s’appelle « Les petits Frères de Saint-Vincent-de Paul » et œuvre dans les quartiers défavorisés. Quelques temps plus tard, une autre association se présente, dont l’objet tourne autour des « amitiés franco-comoriennes ». Je sens des personnes beaucoup plus volontaires, mais surtout désireuses d’entrer dans l’établissement : elles me demandent s’il est possible de prêter les locaux le soir. La requête est inhabituelle pour moi.

Grignoter l’espace du quartier, grignoter les valeurs de la République, grignoter l’espace du collège en, par exemple, retirant le foulard le plus tard possible dans l’enceinte de l’établissement. Il y a les bombes et les Kalachnikovs, il y a aussi ce lent grignotage des cœurs, des consciences, des principes. Il y a également la technique du « soft power ».

Une génération est en train d’être formatée avec des principes et des valeurs qui ne sont pas les nôtres. Bientôt, ces enfants devenus des adultes voteront… pour quelles listes et quels candidats ? Comme le disait cette maman citée plus haut, ça fait peur.

[…]

« Monsieur l’Inspecteur, mes collègues et moi savons que la politique de la ville sert à financer des associations qui ne partagent pas les valeurs de la République… Des associations qui se disent culturelles mais en fait sont cultuelles. »

[…]

il mesure sur le champ la gravité de la situation. Et, quelques semaines plus tard, réunit la douzaine de chefs d’établissement concernés par ces tensions pour, confidentiellement, nous transmettre le tableau des demandes de financement d’associations formulées dans le cadre de la politique de la ville sur lesquelles le préfet lui demande un avis au titre du ministère de l’Éducation nationale.

Stupéfaits, nous découvrons que nos collèges sont mentionnés comme terrains d’intervention par certaines de ces associations, alors même que nous n’en avons jamais entendu parler. Visiblement, les fonctionnaires qui leur octroient les subventions ne savent pas se servir d’un moteur de recherche ou, pire, n’ont même pas l’idée de vérifier à qui elles attribuent ces subsides. Pour preuve, lorsque nous signalons ces faits à la représentante du préfet chargé de la politique de la ville sur le secteur, elle tombe des nues.

[…]

Pour ma part, je suis pour toujours revenu du fantasme des « grands frères ».

[…]

Nous avons aussi été victimes de notre crainte d’attiser les tensions. Parler de tous ces phénomènes, c’était courir le risque de flirter avec l’islamophobie, a minima d’en être suspecté, et cela heurtait mes convictions comme celles de bien des acteurs du système éducatif.

[…]

L’obscurantisme est de retour

L’obscurantisme est de retour. Des enseignants de sciences et vie de la terre doivent de nouveau s’opposer à la contestation des thèses de l’évolution de Darwin par des élèves imbibés de sornettes créationnistes – un mouvement qui, ironiquement, est tout autant porté par des musulmans radicaux que par des chrétiens intégristes aux États-Unis.

[…]

Tout cela sur fond d’antisémitisme exacerbé. L’enseignement de la Shoah devient source de tensions inouïes, les élèves amalgamant les juifs de 1940 et la politique israélienne contemporaine à l’endroit des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie pour en conclure que « la Shoa, ça va bien aux juifs » ou que « Hitler a bien fait ».

[…]

Être obligé de refuser un élève juif, faute de pouvoir le protéger au quotidien.

Devoir faire protéger mes enseignantes par la BAC pour qu’elles puissent rentrer chez elles sans se faire agresser.

Savoir, impuissant, que mes professeurs sont dans une négociation constante entre leurs consciences morale et professionnelle quand ils abordent certains chapitres essentiels des programmes.

Constater que la police est parfois une meilleure alliée que la hiérarchie pour m’aider à tenir la boutique.

Avouer son impuissance institutionnelle face aux forces qui avaient conquis le territoire.

[…]

Un triste constat. Et celui qui suit n’est pas encourageant non plus. Ça fait effectivement peur.

Les politique sont, au mieux, aussi déboussolés que nous, au pire, complices

Les politique sont, au mieux, aussi déboussolés que nous, au pire, complices.

nous déchantons quand nous découvrons que le maire de Marseille a inauguré une nouvelle mosquée d’obédience tabligh. Peut-il ignorer ce que moi, humble principal de collège, j’ai appris en deux heures chez les policiers des RG ?... Le surlendemain, nous nous effondrons quand l’État accepte de mettre sous contrat un collège-lycée privé musulman qui avait été créé dans le seul but de permettre aux familles de contourner la loi sur le port des signes religieux en acceptant des élèves voilées. Et quand nous voyons une sénatrice socialiste, Samia Ghali, participer à la cérémonie de la pose de la première pierre de l’établissement, aux côtés de la sulfureuse UOIF (Union des organisations islamique de France), de l’ambassadeur du Qatar et de celui du Koweït, visiblement financeurs du projet et de représentants du culte musulman.

[…]

Quel est le sens de notre travail dans ce contexte ?

Pourquoi continuer à sa battre dans le cadre du service public, avec l’argent des contribuables, pour essayer de faire passer les valeurs de la République, quand l’État lui-même déroule le tapis aux religieux ?

Terrible question à laquelle il est temps d’apporter des réponses.

La loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 n’a pas été votée pour protéger les prédicateurs qui, dans leurs enceintes, tiennent des propos contraires aux principes de la Déclaration des droits de l’homme et de la Constitution. Le principe de tolérance, auquel je suis viscéralement attaché, ne doit pas nous conduire à tolérer l’intolérable. L’État doit reprendre la main.

Un témoignage, fort, documenté, écrit par un homme « de terrain », homme que l’on ne peut pas soupçonner d’être d’extrême droite, ou islamophobe. Bernard Ravet, un véritable hussard noir de la République.

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