Totem et tabou

Il y a deux solutions à l'éventualité de la mise en minorité du gouvernement : 1) la dissolution, 2) le changement de Premier ministre. Il y a une lecture autoritaire et monarchiste des institutions, et une lecture démocrate et parlementaire.

La dissolution déboucherait sur des élections législatives qui amèneraient certainement une chambre bleu horizon, comme en 1993, et François Hollande aurait à choisir un Premier ministre de droite. Ne pas dissoudre et nommer un autre Premier ministre l'amènerait à en choisir un(e) dont le programme serait susceptible d'emporter une large majorité de députés. Il est fort possible que François Hollande a au fond de lui l'idée d'une alliance PS-centristes-libéraux. Outre que ces derniers n'y semblent pas disposés, cela signifierait l'éclatement du PS.

Plus probablement, le président devrait reconnaître qu'il y a déjà une majorité à l'Assemblée nationale, constituée de la coalition qui a renversé Nicolas Sarkozy en votant pour lui, et en se réclamant de sa victoire lors des élections législatives. Considérer qu'elles n'étaient qu'un scrutin de ratification est aller un peu vite en besogne, et, encore une fois, relève d'une interprétation autoritaire de la constitution. Les législatives de juin 2012 devaient lui donner les moyens parlementaires de la politique qu'il avait annoncée. Comme celle qu'il mène est différente, il ne serait pas illégitime qu'il tente de tenir ses engagements. Il ne serait pas le premier politicien à changer de cap.

Une cohabitation avec son propre camp ?

Une telle solution peut sans doute ne pas le ravir. Elle signifierait qu'il aurait politiquement échoué et le placerait en situation de cohabitation, comme l'ont été avant lui François Mitterrand, deux fois deux ans, et Jacques Chirac, une fois cinq ans. L'ironie, c'est que ce serait une cohabitation avec son propre camp, mais c'est arrivé à Giscard avec Chirac, à Mitterrand avec Rocard...

Qu'est-ce qui nous fait songer à un tel scénario que beaucoup considèrent inimaginable ? Tout simplement la dérobade, non seulement des électeurs socialistes lors des derniers scrutins, mais aussi l'inquiétude, l'agacement, la colère des élus locaux qui vient s'ajouter à la fronde de dizaines de parlementaires de gauche. C'est le cas du maire de Besançon Jean-Louis Fousseret. Réélu de justesse à la tête d'une municipalité sentant bon la « gauche plurielle », il vient de lâcher un coup de semonce contre le budget 2015 qui risque de le conduire à faire payer aux parents d'élèves la réforme des rythmes scolaires.

Le contrôle de l'exécutif par le législatif est la clé de voûte de la démocratie représentative

Et comment le fait-il ? En appelant « solennellement l'attention » du gouvernement et des parlementaires. Autrement dit en rappelant à l'ordre - socialiste - le gouvernement. Les parlementaires qu'il a sous la main à Besançon, la socialiste frondeuse  Barbara Romagnan et l'écologiste Eric Alauzet, sont acquis à son coup de gueule.

Si le contrôle de l'exécutif par le législatif paraît si irréaliste alors qu'il est la clé de voûte de la démocratie représentative, c'est que les éditocrates répètent sur tous les modes la même fable de l'omnipotence du chef de l'Etat. Elle est vraie tant qu'il va dans le même sens que ses électeurs et ses relais, tant qu'il réussit. Mais si après les électeurs, les relais que sont les élus se sentent trahis, si s'en prendre aux totems n'est plus tabou, alors les parlementaires peuvent reprendre leur place.

Cela signifie aussi la remise en cause d'un autre totem des éditocrates : l'actuelle orientation ultralibérale et bureaucratique de l'Union européenne, clé de voûte du monde qui vient. Si brutal que le travail et les sociétés en sont déchirés.

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