Sylvain Leder : « être de gauche, c’est s’en prendre aux structures »

Agrégé d'économie et coordinateur d'un Manuel d'économie critique, Sylvain Leder inaugure jeudi 21 décembre, avec L'économie, une science comme les autres ? un cycle d'université populaire. Pour lui, « les gouvernements sont face à une alternative : respecter les engagements vis à vis des marchés financiers, ou vis à vis des peuples ».

leder

Agrégé d'économie et sociologue, Sylvain Leder enseigne au lycée Edgar-Poe de Paris et dans les universités Paris 1 et 3. Il a coordonné le Manuel d'économie critique qu'a publié Le Monde diplomatique en septembre 2016. Il inaugure jeudi 21 décembre la première conférence du cycle d'université populaire qu'organise à Besançon l'association Les Amis du Monde diplomatique, avec le partenariat de Factuel.info, Radio Bip et du magazine Lutopik.

Le Manuel d'économie critique est-il destiné aux lycéens ?

Pas particulièrement. Il est tourné vers le grand public. Ses auteurs n'ont pas signé leurs articles. Il s'agit de rendre le propos très concret.

Que disent les manuels non critiques ?

Pour nous, ils appuient le système en place, le capitalisme. Nous en prenons le contrepied. Chaque chapitre commence par une idée reçue, on l'analyse, on dit qu'il existe une pensée critique qui n'a pas sa place dans les grands médias...

On entend quand même un discours un peu moins univoque sur la dette...

C'est bien possible, mais c'est grâce au Monde diplomatique, à Médiapart et quelques autres, à notre manuel... Reste que des gens pensent qu'on ne peut pas répudier la dette, ou déclarer un moratoire...

Qu'est-ce qu'une dette illégitime pour vous ?

C'est une dette contractée contre l'intérêt du peuple, soit qu'elle n'est pas souhaitée, soit qu'elle est contractée dans de mauvaises conditions, comme les intérêts trop élevés dans les années 1980. Parce qu'avant, il y avait un autre système.

Lequel ?

Le traité de Maastricht a empêché les banques centrales de prêter aux Etats. Dix ans auparavant, les gouvernements s'étaient tournés vers les marchés financiers alors qu'avant régnait le statut du Trésor : à chaque opération financière, on déposait une partie de l'argent auprès du Trésor public...

Comme une caution...?

A peu près... Cela faisait que l'Etat avait en permanence de l'argent. Ce circuit alimentait l'Etat qui finançait ainsi son endettement. Le Japon a une dette de 250% de son PIB et on en n'entend pas parler car elle n'est pas confiée aux marchés financiers. En Europe, on a surtout un problème de gestion de la dette. Les gouvernements sont face à une alternative : soit ils respectent les engagements vis à vis des marchés financiers, soit vis à vis des peuples.

Selon vous, on pourrait refuser de rembourser tout ou partie de la dette ?

Autant refuser de tout payer ! Car on a déjà payé des intérêts énormes. C'est une guerre financière...

Ce vocabulaire peut flanquer la trouille...

La politique, c'est prendre des risques. Si on continue, on sait où on va... Et être de gauche, c'est s'en prendre aux structures. Il faut sortir de l'euro. En refusant la dette, on sort des traités, donc on sort de l'euro. Et je suis européen !

Les libéraux vont vous accuser de faire le jeu « des extrêmes » !

Je ne vois pas ce qu'il y a d'extraordinaire à dire qu'on veut sortir du capitalisme. C'était un programme porté par le PC ou le PS des années 1970. On nous fait le coup de l'épouvantail à chaque fois. Ce sont eux qui font monter l'extrême-droite. Et nous y assimiler leur est facile avec la grande majorité des médias...

Les Insoumis semblent hésiter, entre désobéir aux traités, comme dit Mélenchon, et ne pas sortir de l'euro...

Une grande partie des Insoumis ne sont pas anticapitalistes. Ils sont pour un capitalisme plus juste, plus redistributeur... En fait, le libéralisme a profondément changé nos vies, comme l'écrivent Dardot et Laval, un philosophe et un économiste, dans La Nouvelle Raison du monde...

Que pensez-vous des travaux de l'anthropologue et économiste américain David Graeber, et notamment de Dette 5000 ans d'histoire (article plus critique ) qui dit notamment que les dettes ne peuvent pas toujours être remboursées pour que les sociétés survivent ?

Judith Bernard a écrit, à partir de Graeber, une pièce de théâtre, Amargi, que j'ai relue. Ça traite de la dette qui n'est pas faite pour être remboursée. Graeber est remarquable...

Graeber distingue dettes de vie et dettes commerciales. Faut-il distinguer dette publique et dettes privées ?

Non, parce qu'elles sont détenues par les mêmes ! Il y a une concentration de la dette. La question est celle de qui détient la dette et les effets que cela donne : une entreprise qui s'endette pour s'enrichir n'a pas de problème. Mais un ménage pauvre qui s'endette, un état dont la dette met en cause son système scolaire, ça pose problème, la dette finit par les étouffer.

Vous menez une bataille du vocabulaire...

Oui. Le Medef a transformé les cotisations sociales en charges... Regardez aussi le mot projet. Boltanski a analysé des manuels des années 1970 où le mot hiérarchie était le plus utilisé, et des manuels des années 1990 où c'était le mot projet. Parallèlement, on est passé du collectif à l'individuel... Avant on parlait d'exploités, ce qui supposait des exploiteurs, maintenant on dit défavorisés...

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !