Stéphane Kroemer (UMP) : « oui à une réforme territoriale, non à celle-ci »

Stéphane Kroemer, le président du groupe UMP-divers droite du conseil régional critique autant la forme que le fond du projet de fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté. Voici l'intégralité de l'intervention qu'il a prononcée lors du débat sur la réforme territoriale le 27 juin. Entre autre, il pointe l'absence de l'Etat dans le processus...

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Voici venu le temps du débat important de la journée, pour ne pas dire du mandat, puisqu’il s’agit de parler de l’avenir de notre collectivité régionale.

Madame la Présidente, vous avez engagé arbitrairement notre collectivité dans un processus de fusion avec celle de nos voisins bourguignons, sans autre forme de concertation qu’une prise de position éclair avec François PATRIAT, suivie par la publication du Président de la République sur les réseaux sociaux, le 2 juin dernier, d’une nouvelle carte des régions de France.

Aussi, puisque vous nous le demandez enfin aujourd’hui, je vous le dit simplement et sans aucune ambiguïté : si nous sommes favorables à une indispensable réforme territoriale, nous sommes CONTRE le projet proposé et cette fusion à marche forcée entre les Conseils régionaux de Bourgogne et de Franche-Comté.

Mais, avant d’en venir sur le fond, je souhaite d’abord vous dire combien la façon dont cette décision de réforme territoriale a été prise est, à notre sens, condamnable dans la forme.

En premier lieu, la question se pose en termes de légitimité

Même si nous avons déjà échangé sur ce point lors de notre mini-débat télévisé, je veux vous redire que personne n’a reçu mandat des électeurs pour engager une réforme de cette ampleur, pour décréter ainsi un redécoupage qui engage l’avenir de notre collectivité régionale, que ce soit vous, que ce soit nous, voire même le Président de la République.

En tant que Présidente du Conseil régional de Franche-Comté, tout d’abord, vous n’avez pas reçu mandat pour décider seule d’initier la fusion de notre collectivité avec le Conseil régional de Bourgogne sans contrainte de consultation populaire, sous quelque forme que ce soit, dans la mesure où vous n’avez jamais abordé ce point devant les électeurs francs-comtois, notamment lors de la campagne des élections régionales de 2010.

Cela est d’autant plus vrai que votre position de l’époque était radicalement inverse à votre empressement présent – j’y reviendrai dans quelques instants.

D’autre part, si la légitimité institutionnelle du Président de la République pour conduire une telle réforme n’est pas en cause, je considère qu’il n’a pour autant aucune légitimité démocratique devant les citoyens pour engager ce redécoupage arbitraire : jamais cette question n’a été mise en débat, jamais ce sujet n’a été abordé, jamais ce dossier n’est venu sur la table dans ses engagements politiques pour l’élection présidentielle devant les électeurs.

Pour mémoire, pour ceux qui n’en n’auraient pas fait leur livre de chevet, je veux vous relire l’engagement 54 de François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012 : « J’engagerai une nouvelle étape de la décentralisation en associant les élus locaux. Je ferai voter une loi sur le renforcement de la démocratie et des libertés locales. Elle prévoira notamment l’abrogation du Conseiller territorial et la clarification des compétences. Un pacte de confiance et de solidarité sera conclu entre l’état et les collectivités locales garantissant le niveau des dotations à leur niveau actuel. Je réformerai la fiscalité locale en donnant plus d’autonomie aux communes, aux départements et aux régions, en contrepartie d’une plus grande responsabilité. Une véritable péréquation sera mise en œuvre. »

Nulle part, il n’est question de fusion de régions ou de suppression de départements (sauf à considérer que donner plus d’autonomie aux départements consiste à les faire disparaître). Il est juste question d’abroger le Conseiller territorial et de clarifier les compétences.

Au passage, le maintien du niveau de dotations, c’est certainement le cadeau de François Hollande aux exécutifs territoriaux socialistes qui l’ont soutenu…

Devant l’ampleur de cette réforme, devant l’impact sur les politiques territoriales, notamment celles dédiées au milieu rural qui se verront indéniablement altérées, il est indispensable de consulter les citoyens. Et ce n’est pas vous, qui avaient de la démocratie participative plein la bouche en permanence, pour des sujets d’importance parfois mineure, qui nous feraient désormais croire le contraire.

Bien entendu, vous me répondrez que les élus sont là pour cela, qu’ils peuvent décider de mettre en œuvre des réformes. Sauf qu’une réforme de cette ampleur, qui n’apparaît dans aucun projet électoral d’aucun gouvernant actuel, qu’il soit national ou local, pose une véritable question de légitimité.

Il est donc particulièrement anti-démocratique, sans avoir concerté personne, sans avoir consulté les citoyens sur ce sujet précis, de décréter une fusion des régions de manière unilatérale, comme si nous étions encore dans un système monarchique, féodal, ou « le fait du prince » s’impose à tous sans discussion.

A l’heure où la défiance des électeurs à l’égard de la classe politique se traduit partout et pour tous, il nous semble que c’est là jouer à un jeu très dangereux.

En tout cas, ce n’est pas notre conception du débat démocratique, qui doit avoir lieu avant la décision, et non une fois que tout est ficelé.

Le second élément de forme sur lequel je souhaite intervenir, comme j’ai pu déjà le faire dans cette enceinte, est la crédibilité de votre discours politique.

Quelle peut-être la cohérence d’une décision aussi rapide de fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté, de la voix même d’une Présidente de Conseil régional qui répudiait cette idée, il y a quelques années ?

Comme l’écrasante majorité des élus régionaux et nationaux de votre famille politique, Madame la Présidente, vous n’avez eu de cesse de nous expliquer que les travaux de la commission Balladur de 2009 étaient faits de travers, qu’Edouard Balladur allait trop vite, qu’il n’avait rien compris…

Certains, comme l’actuel Président de l’Assemblée Nationale, expliquait même que tout « était à jeter » dans le rapport Balladur.

Cela s’est finalement traduit dans les faits, puisque la réforme du Conseiller territorial – que vous détestiez tant – a été abrogée dès la prise de fonction du nouveau Président de la République, alors que sa mise en place concourrait pourtant à une première étape de réforme territoriale, par le rapprochement entre régions et départements.

Sans compter le sketch de la clause générale de compétence, supprimée par le gouvernement précédent, remise en place par le gouvernement actuel, avant d’être à nouveau remise en question dans le projet de réforme territorial en cours…

Je veux reprendre vos propos de l’époque, Madame la Présidente :

Dans votre intervention liminaire de l’assemblée budgétaire du 18 décembre 2008, vous disiez : « J’entends aussi parler de fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté. Je ne sais pas quel sens cela pourrait avoir. Quel est le rapport entre les Belfortains, les Hauts-Saônois, les Hauts Jurassiens et les habitants d’Auxerre qui sont totalement rivés au bassin parisien ? Au lieu de lancer de tels messages, je souhaite que nous agissions. Je ne vois pas quel sens peut avoir la fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté. »

Votre communiqué de presse du 23 février 2009 est encore plus explicite, en ce qui concerne votre volte-face totale. Vous disiez vous « étonner de pareils arguments » en évoquant la nécessité d’atteindre une taille critique pour les régions françaises, vous estimiez « plus utile que le travail sur la clarification des compétences de chaque collectivité soit achevé, que les ressources budgétaires soient sécurisées et qu’une véritable réforme de la fiscalité locale soit mise en œuvre, avant que cette proposition ne soit à l’ordre du jour ». Vous annonciez même que « la région n’est pas une construction technocratique, mais la reconnaissance d’une identité forgée par l’Histoire sur des réalités quotidiennes » et qu’à l’évocation d’une fusion entre certaines régions, vous espériez que « la raison l’emporterait » ?

Madame la Présidente, quels sont les éléments qui ont changé aujourd’hui, en dehors du fait que vous détenez la majorité au niveau national et la présidence de la République ?

Lors de notre débat télévisé, vous avez évoqué le nécessaire redressement des finances publiques de la France et le contexte de crise, comme argument de votre retournement de veste…

Mais vous savez pertinemment que nous ne ferons pas d’économies substantielles en rapprochant les régions, personne n’est capable de le démontrer ! Cela a même été évoqué par Marylise Lebranchu dans cette enceinte.

Cela n’est donc pas une question budgétaire, mais bien une pensée partisane et politicienne, qui perd complètement de vue l’intérêt général.

Cela pose véritablement la problématique de la crédibilité de la parole politique. Comment faire confiance à des élus locaux qui jugent des idées non pas pour ce qu’elles sont, mais en fonction de ceux qui les expriment ?

En d’autres termes, je vous repose la question : cette fusion Bourgogne - Franche-Comté était-elle mauvaise parce qu’elle était de droite et devient elle bonne parce qu’elle est de gauche ?

Cet aspect politicien est tellement fort dans votre démarche, qu’il en était devenu urgent de fusionner, à tel point qu’il serait même inutile de passer par la case concertation.

Alors que vous aviez une position mitigée après l’annonce du Président de la République en janvier dernier, voilà qu’il vous aura fallu trois heures pour annoncer votre mariage avec François PATRIAT après l’annonce du Premier Ministre devant l’Assemblée Nationale, à grands renforts de communiqués et de conférences de presse.

Vous qui vous plaignez des « palabres » qui durent depuis 30 ans au sujet de la réforme du « millefeuille territorial », vous qui aviez la possibilité de lancer ce projet depuis 4 ans comme la loi vous en donne la possibilité (à l’instar de ce qu’a tenté la région Alsace en 2013), voilà que cela devient urgent à moins d’un an de la fin du mandat…

Fusionner devient même si urgent qu’il faut repousser les élections… Vous ne trouvez pas que la ficelle est un peu grosse ?

Qu’est-ce qui fait que cela a pu attendre tout ce temps sans problème et que cela devienne soudainement si urgent ? N’est-ce pas là encore un moyen de diversion, devant les problématiques bien plus grandes que rencontrent nos concitoyens aujourd’hui, en matière d’emploi, de fiscalité ou de sécurité ? Alors, pour justifier votre empressement, vous nous dites que c’est pour éviter l’éclatement de la Franche-Comté, Madame la Présidente…

Je crois que c’est réussi !

Votre méthode concertée et votre dialogue portent tellement leurs fruits que deux départements (socialistes, soit dit en passant) sur quatre envisagent de demander leur rattachement à d’autres régions… et je peux même vous dire que certaines villes du Nord de la Haute-Saône que je connais bien aurait une vision plus lorraine que franc-comtoise dans ce dossier !

De toutes les manières, à quoi bon consulter les citoyens, à quoi bon concerter les élus, puisque tout ce découpage se fait sans aucune cohérence, mais par le biais du copinage socialiste habituel ?

Le redécoupage proposé, comme celui du redécoupage cantonal auquel nous avons assisté récemment (et qui ne servira vraisemblablement pas très longtemps…) n’a pas été arbitré de manière objective.

Preuve en est, la première édition de la tribune du Président de la République publiée le soir du 2 juin dernier ne comportait même pas le nombre définitif de régions : elle proposait de passer « de 22 à XXX » régions ! Tout le monde le voit bien : tout a été bricolé depuis l’Elysée et Matignon.

Sous Edgar Faure déjà, Serge Antoine, son collaborateur, avait dit que le « découpage avait été fait sur un coin de cheminée ». Il y avait 19 régions, à l’époque. Aujourd’hui, a priori, c’est sur un coin de table que le nouveau découpage a été dessiné par François Hollande.

Chaque caprice de ceux qui ont l’oreille du Président de la République a été exaucé : Jean-Yves Le DrianR ne voulait pas voir la Bretagne fusionner avec les Pays de Loire : exaucé. Ségolène Royal ne voulait pas fusionner avec l’Aquitaine, de peur d’avoir à composer avec le poids politique d’Alain Juooé : exaucée. Daniel Percheron, dans le Nord - Pas de Calais, ne voulait pas fusionner avec la seule Picardie, pour ne pas risquer d’offrir la nouvelle région au Front National : exaucé.

Où est la cohérence ? Où est l’intérêt général ?

Alors que les électeurs réclament davantage de proximité et d’écoute des collectivités locales, on supprime les départements tout en créant 7 régions encore plus grandes ? Et tout cela sans solliciter le consentement populaire ? Tout cela n’est pas sérieux, sincèrement. Nous sommes à des années-lumière de ce qu’attendent nos concitoyens en matière politique, et la forme même de ce projet est d’ores et déjà condamnable.

Venons-en désormais sur le fond. Chacun des élus de notre groupe d’opposition aura à cœur de vous expliquer, point par point, combien cette fusion entre la Bourgogne et la Franche-Comté n’apportera rien de bon à notre région, notamment aux territoires ruraux qui la composent à 50 %. A mon tour, je veux néanmoins vous faire part de quelques éléments d’analyse, en commençant par les éléments budgétaires.

Madame la Présidente, avec François Patriat, vous nous avez d’abord parlé de votre engagement rapide dans ce projet de fusion, car vous pensiez que les « bons élèves » de la réforme se verraient bonifiés dans leurs dotations, voire a minima que leurs dotations ne seraient pas trop impactées. C’était même le premier propos de votre conférence de presse de fiançailles, dans les salons de l’Hôtel de Grammont. Je suis de ceux qui ont alors pensé que votre empressement n’avait d’égal que votre incapacité commune à boucler vos budgets bourguignon et franc-comtois, le mariage permettant alors de « sauver les meubles », au sens propre du terme.
Preuve est de constater que cet argument n’aura pas fait long feu. Vient alors la question des ressources, naturellement. L’Etat entend renforcer les régions dans leurs compétences. Mais c’est le flou artistique le plus total en ce qui concerne les ressources qui vont de pair. François Hollande a même promis des « moyens financiers propres et dynamiques », sauf qu’il n’y a absolument rien sur ce sujet dans le projet de loi !

La carte est toute prête, les transferts de compétences sont écrits, mais quel Président d’exécutif régional est aujourd’hui capable de nous dire comment il va financer tout cela ? Peut-être par des économies d’échelle ? En effet, pour vendre cette réforme à l’opinion publique, votre gouvernement a initialement mis en avant le fait qu’elle générerait des économies substantielles. On nous parle même de 10 à 15 milliards d’économies, sortis du chapeau d’André Vallini…

Cependant, on attend toujours le chiffrage précis sur les économies attendues. D’où sortent-elles ? Je le disais tout à l’heure, Marylise Lebranchu a écarté ici-même cette idée d’un revers de main, arguant du fait que c’était l’efficacité qui était l’objectif premier de cette réforme, pas les économies. Bien entendu, sauf à licencier des fonctionnaires dans le processus de fusion, on a du mal à voir quelles économies de fonctionnement seront générées.

La dette bourguignonne double de la dette franc-comtoise

Vous n’allez quand même pas nous faire croire que c’est en mutualisant les logiciels de gestion de paie ou de ressources humaines que nous dégagerons des milliards !

Nous aurons beau fusionner des régions ou supprimer les départements, les compétences ne disparaitront pas et nous devrons continuer à payer des agents pour assurer des missions, pour maintenir le service public rendu. Dans ce cas, on voit effectivement mal où se feront les économies d’échelle. Jusqu’à preuve du contraire, le redécoupage ne fait pas disparaître le besoin de service public dans notre pays.

Cette problématique financière est d’autant plus valable que je vous rappelle le niveau de la dette du Conseil régional de Bourgogne par rapport au Conseil régional de Franche-Comté, qui est quasiment le double avec 363 € par habitant bourguignon, contre 171 € par habitant franc-comtois !

Sur France 3, vous avez expliqué aux francs-comtois qu’ils ne paieraient pas pour la dette des bourguignons, voire même que les investissements de la future collectivité seraient priorisés sur le territoire franc-comtois, en raison de cette différence d’endettement prénuptiale. Comment allez-vous faire la différence lorsque les budgets seront fusionnés ? Comment faire la différence dans les dettes lorsque les mariés auront un compte-joint unique ?

Comment allez-vous prioriser les investissements sur notre territoire, alors que les élus francs-comtois seront minoritaires en nombre par rapport aux élus bourguignons ? Tout cela n’est pas sérieux et personne ne croira que les francs-comtois ne seront pas lésés sur cet aspect financier, eu égard au flou artistique sur ressources futures et dotations, à l’impossible équation d’économies d’échelle ou à la différence d’endettement entre nos deux régions.

La « taille critique » d’une région n’a rien à voir avec sa superficie ou son nombre d’habitants, mais avec sa capacité à dynamiser son développement

Le deuxième élément de fond dont je souhaite vous parler sur ce projet de fusion, c’est la « taille critique » que voudrait avoir la nouvelle région fusionnée. Que ce soit vous, Madame la Présidente, ou les défenseurs nationaux de ce projet de réforme territoriale, tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut impérativement que les régions françaises atteignent des « tailles critiques » pour entrer dans la compétition européenne.

Le problème, c’est que la « taille critique » d’une région n’a rien à voir avec sa superficie ou son nombre d’habitants, mais avec sa capacité à dynamiser son développement sans avoir recours à trop d’aides extérieures. Ainsi, à l’échelle de l’Europe, en fusionnant Bourgogne et Franche-Comté, vous nous proposez de créer une « grande » région par sa superficie, mais un « nain démographique et économique » avec seulement 2.8 millions d’habitants et 71 milliards de PIB.

A l’échelle de la France, en matière de démographie et d’économie, nous serions même à la dernière position du classement dans ces deux catégories ! Regardez les chiffres en face : avec 71 milliards d’euros et 2.8 millions d’habitants, le PIB par habitant est de 25 300 €, ce qui nous placerait comme la plus petite région de France en nombre d’habitants, avec le plus petit PIB par habitant. Bourgogne - Franche-Comté, ce serait ainsi moins de PIB que Midi-Pyrénées ou Bretagne avant la réforme. Notre situation sera donc pire qu’aujourd’hui.

Au niveau européen, le PIB par habitant moyen des régions européennes, pays de l’Est inclus, est de 25 000,00 €. Bourgogne - Franche-Comté, ce serait ainsi moins de PIB par habitant que la Rioja, qui est la plus petite région espagnole, avec 320 000 habitants et 5000 km2 de superficie.

A titre de comparaison, les Landers allemands voisins que certains citent en référence, sont bien au-delà : le Land de Brême, qui compte 600 000 habitants : 43 000 € de PIB par habitant, le Land de Sarre, qui compte 1 million d’habitants : 30 000 € de PIB par habitant,le Land de Hambourg, qui compte 1,7 million d’habitants : 53 000 € de PIB par habitant.

Où est la taille critique de Bourgogne - Franche-Comté dans ce schéma ? Où sera la Bourgogne - Franche-Comté dans la compétition européenne, dans ce cas ? En fusionnant deux régions pauvres, on ne fait pas une grande région riche, mais bien une grande région pauvre.

Le dommage collatéral de cette fusion sera certainement aussi les fonds européens chers à Pierre Magnin-Feysot, qui viennent d’être attribués spécifiquement à des régions bien définies sous leur forme actuelle. En effet, l’attribution de certaines subventions européennes est assujettie à des niveaux de richesse ou de chômage des régions européennes. Quel impact une refonte de la carte de France aura sur ce point ? Personne ne semble se soucier de ce débat, pas même vous, Madame la Présidente, qui nous avait vanté votre proactivité en la matière. Pensez-vous sincèrement que Bruxelles, d’ordinaire si tatillon lorsqu’on chamboule les règles, ne procèdera à aucune remise en question du dispositif ?

Notre regroupement avec la Bourgogne n’a donc aucun intérêt en matière de « taille critique » et c’est là-même que l’idée même d’une région « Grand Est » défendue par certains trouvait tout son sens. Cette idée de rapprochement avec d’autres régions voisines, incluant la Bourgogne, mais aussi Lorraine, Alsace et Champagne-Ardenne ne devrait donc pas être éludée aussi rapidement, mais bien étudiée avec d’autres scénarios, sans précipitation.

Votre discours sur la « taille critique » dans votre communiqué de presse du 23 février 2009 est donc toujours valable, rien n’a changé à ce niveau et ce n’est donc pas moi qui vais vous dire le contraire aujourd’hui.

Reste la question de l’efficacité des politiques publiques, sur laquelle nous aurions pu nous rejoindre.

En effet, ce qu’attendent nos concitoyens, c’est l’arrêt de l’empilement des collectivités territoriales, la fin des doublons et des « financements croisés ». En cela, même s’il avait certainement des imperfections, le Conseiller territorial était la première étape d’une nécessaire mutualisation entre départements et régions. La suppression de la clause générale de compétence avait également la vertu de permettre à chacun de se spécialiser dans certains secteurs, tout en évitant une multiplication de dossiers pour un seul et unique projet, augmentant de ce fait l’efficacité de nos administrations territoriales.

Mais voilà, vous avez tout supprimé, sur l’autel du nécessaire détricotage des réformes du gouvernement précédent. Alors, aujourd’hui, pour supprimer à nouveau la clause générale de compétence, il est inutile d’enrober cela dans un grand paquet cadeau de reconfiguration de la carte de France. C’est la même chose pour la mise en place de compétences exclusives à chaque collectivité. Il s’agit juste de mener une véritable concertation et de prendre des décisions, comme lors des précédents actes de décentralisation. Inutile de sortir les ciseaux.

Le vrai problème, en réalité, c’est l’absence totale des services de l’Etat dans l’équation.

En effet, lorsqu’on veut réellement parler d’efficacité, il faut regarder les chiffres en face : seuls 8% des crédits d’intervention du Conseil régional de Franche-Comté sont croisés avec ceux d’autres collectivités, alors que 45% de ces crédits d’intervention sont croisés avec ceux de l’Etat !

Ce qui doit donc interpeler les élus locaux que nous sommes, ainsi que les contribuables, c’est que les défenseurs du projet font semblant de ne pas voir que l’organisation des services déconcentrés de l’Etat n’est absolument pas mentionnée dans le débat. Le gouvernement veut supprimer les départements, mais pourquoi les sous-préfectures perduraient-elles ?

Le gouvernement, via le second projet de loi, veut clarifier les compétences pour gagner en efficacité : pour ce faire, il attribuerait donc des compétences exclusives à la région, au détriment des autres échelons de collectivités, en matière de développement économique, de formation et d’emploi…

Pour autant, il n’est apparemment pas question de toucher aux DIRRECTE, pas question non plus de revoir les délégations régionales à la recherche et à la technologie, pas question de rattacher Pôle Emploi à la région alors qu’elle exercerait un rôle prépondérant en la matière. Il n’est pas non plus question de fusionner les académies de l’Education Nationale. Pourtant, en cas de fusion Bourgogne - Franche-Comté, pourquoi y aurait-il encore deux académies à Dijon et à Besançon ?

La réforme conduite par le gouvernement actuel, que vous soutenez et dans laquelle vous vous engouffrez avec précipitation, n’apporte donc aucune réponse à ces problématiques, car l’Etat préfère pointer du doigt les collectivités territoriales que ces propres services, alors que tout le monde sait bien où se trouve le réel problème. Cette réforme territoriale mérite donc bien mieux qu’une telle précipitation, qu’une telle décision arbitraire non concertée, car tous les éléments n’ont pas été mis sur la table, notamment ceux relatifs aux services déconcentrés de l’Etat.

En conclusion, Madame la Présidente, mes chers collègues, je veux vous redire notre opposition à cette fusion entre Bourgogne et Franche-Comté qui n’a pas de sens, comme l’ensemble du projet de loi proposé par votre gouvernement.

Si la forme n’y est pas, le fond ne permet pas non plus de justifier d’un redécoupage de la carte territoriale de la France en fusionnant arbitrairement des régions et en supprimant les départements, a fortiori en Franche-Comté. La Franche-Comté n’y gagnera rien en matière budgétaire, n’y gagnera rien en termes d’efficacité et le territoire fusionné ne sera pas compétitif au niveau des autres régions, qu’elles soient françaises ou européennes. Qui plus est, la Franche-Comté y perdra son identité, sa représentativité et probablement la capitale régionale. Les politiques territoriales seront nécessairement obérées, tant les centres de décision seront éloignés des territoires. La perte de la proximité sera inévitable et cette fusion éloignera encore plus les collectivités territoriales des citoyens, ce qui ne va nécessairement pas dans le bon sens d’une vraie loi de décentralisation qui se respecte, ni dans le sens de l’histoire.

Madame la Présidente, comme vous l’avez répété à de multiples reprises, je veux d’ailleurs revenir brièvement sur la création d’ « antennes territoriales » qui permettrait selon vous de palier à cette problématique de perte de proximité dans les régions fusionnées. En effet, pour moi, ces « antennes territoriales » portent un nom : ce sont des départements. Je ne vois donc pas bien quelle serait la différence avec l’organisation actuelle, dans le schéma que vous proposez, sauf à reconnaître que les départements doivent persister.

D’autres scénario existent, mais il faudrait pour cela prendre le temps de les étudier, et ne pas prendre les choses à l’envers, en découpant arbitrairement, puis en réfléchissant à ce qui peut être fait avec la nouvelle carte. La réforme des rythmes scolaires avait déjà ouvert la voie à ce type de décision sans aucune réflexion préalable, s’avérant finalement préjudiciable aux enfants, aux territoires et aux finances publiques… Avec votre consentement appuyé, votre gouvernement remet désormais le couvert avec la réforme territoriale, comme si les messages des dernières échéances électorales avaient encore du mal à passer, alors même que certains tirent la sonnette d’alarme dans votre propre famille politique, Madame la Présidente, à commencer par le Président du Conseil général de Haute-Saône qui a rédigé le rapport à la base de cette réforme des collectivités territoriales !

Vous vous êtes engouffrée dans ce projet sans aucune réflexion, tel un train lancé à vive allure alors que les quais de gare sont trop larges, et vous vous réveillez aujourd’hui avec un arrière-goût amer, dès lors que vous sentez bien que cela vous échappe. Je pense notamment au déséquilibre du nombre de conseillers régionaux entre Bourgogne et Franche-Comté, qui fait que toutes les décisions échapperont obligatoirement à la Franche-Comté, ou du choix de la capitale régionale qui sera fait par décret.

Ce projet desservira la Franche-Comté, alors que de meilleures solutions existaient.

C’est le cas d’une fusion entre les départements et la région, maintenue dans ses limites territoriales actuelles, ou la création d’une région « Grand Est » avec un véritable poids européen, tout en conservant l’échelon intermédiaire départemental. Ces scénarios, il est encore temps de les étudier. Pour cela, puisque ce débat est sans vote, notre groupe vous donnera l’occasion de vous positionner sur le projet de loi actuellement étudié au Sénat par le biais d’une motion appelant à une réforme territoriale efficace.

Entre d’autres termes, nous vous proposerons de dire OUI à une réforme territoriale, mais NON à celle-ci, NON à la fusion entre Bourgogne et Franche-Comté.
 

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