« Revenir à un niveau d’empreinte écologique des années 1960 »

A l'occasion de l'université d'été des mouvements sociaux et de la solidarité internationale, co-organisée par Attac du 6 au 9 juillet à Besançon où plus de 800 militants sont attendus, Factuel.info a choisi de donner un coup de projecteur sur l'un des douze modules de formation, celui consacré à la décroissance, préparé par Le Jurassien Vincent Bruyère.

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Besançon accueille cette semaine l'université d'été des mouvements sociaux et de la solidarité internationale. Les organisateurs, Attac, le CRIDCentre de recherche et d'information pour le développement et localement RecidevRéseau citoyenneté développement, attendent 800 à 900 personnes. De mercredi 6 juillet à samedi 9, les quelque 600 inscrits pourront suivre l'un des douze modules de trois fois trois heures, un ou plusieurs des 33 ateliers, plusieurs conférences d'actualité, sans compter les nombreuses animations du village associatif, les spectacles, les projections, concerts, pique-nique... 

Comprendre la monnaie pour se la réapproprier, vers la fin du libre-échange, de quoi la crise est-elle le nom, la pédagogie est un sport de combat, reprendre la main... Les thèmes sont chers aux militants altermondialistes, associatifs, syndicaux, voire politiques. Mais la visée revendiquée est d'abord scientifique et cette université est un moment de formation. Normal quand, comme Attac, on se veut être un mouvement d'éducation populaire.

Membre du conseil d'administration d'Attac-France, le Jurassien Vincent Bruyère, chargé de mission à l'Ajena, animera avec l'ancien professeur de philosophie Christian Boisson, le module intitulé « la question de la décroissance ». Il en dévoile le contenu et un peu plus dans cet entretien.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la décroissance ?

Ma formation scientifique, en sciences et vie de la terre, m'a rapidement fait m'intéresser au sujet. J'ai fait quatre ans de médecine et j'ai un diplôme de gestion de projets culturels obtenu après une VAE. Je me suis aussi très vite intéressé aux OGM, avec Attac-Jura, les Amis de la Confédération paysanne, j'ai participé à la création d'une Amap... Je me suis trouvé bien dans ces réseaux. La proximité d'Attac m'a fait rencontrer beaucoup de gens ayant une pratique écologiste avancée, relevant d'un courant pratique, sans forcément être dans la théorie. Cette approche s'est intellectualisée au contact de Christian Boisson. C'est une des raisons pour lesquelles je me suis intéressé à Attac, et pourquoi j'ai proposé un module décroissance.

Attac aurait plusieurs courants de pensée ?

Attac ne s'est pas construit pour penser la décroissance, mais presque ! Le premier président du conseil scientifique d'Attac, René Passet, est un bio-économiste. Il raisonne sur l'intégration de l'économie à l'intérieur du système vivant. Il est à part d'autres courants de l'économie. Même à Attac où il y a un tropisme marxiste assez fort qui s'investissait dans la dimension internationaliste...

Michel Rocard aussi !

La gauche, c'est aussi cela... En tout cas, ça explique pourquoi je me suis investi dans Attac, je suis administrateur national depuis 3 ans. Je sentais qu'il y avait une difficulté dans les instances nationales à porter un débat serein sur la décroissance. C'est un terme encore un peu tabou...

La décroissance est moquée par les grands courants politiques, notamment à gauche...

C'est penser à contre-courant de la pensée économique classique. Il s'agit de penser l'avenir dans le présent, inclure ce qui va être léguer aux générations qui vont nous suivre en termes de ressources et de qualité de l'environnement. Une des premières sources de ce courant de pensée, c'est Georgescu Roegen, un mathématicien et statisticien d'origine roumaine qui a émigré aux USA (lire un rapide portrait dans Alternatives Économiques, ici). Il a travaillé avec des grands économistes de son époque : dans le module, il y aura un film sur lui. Il a développé son travail de l'après seconde guerre mondiale aux années 1980. Il s'est rapproché de la physique, de l'analyse des cycles, et s'est imposée à lui l'idée que la dite science économique faisait fausse route, qu'il fallait mettre l'énergie et les ressources au cœur de l'économie. Il a approfondi la question de l'entropie qui est un lecture physique, établie, selon laquelle les échanges énergétiques se déroulent toujours dans un seul et même sens, et donnent un caractère irréversible à l'économie. Cela permet de comprendre que le pétrole consommé aujourd'hui ne sera plus jamais là, que les stocks ne seront pas reconstitués en deux ou trois générations. C'est valable aussi pour les minerais. On aura du mal à recycler, reconstituer la matière qui a permis de faire certaines réalisations. Penser l'économie sans penser à la nature et ses limites est irréaliste. C'est pour ça que le mouvement de la décroissance est plus proche du réel que les économistes classiques qui pensent qu'on peut continuer avec 4 à 5% de croissance par an...

De quoi faut-il limiter la croissance ?

C'est la croissance de la consommation énergétique qu'il faut interroger dans les sociétés développées. L'indicateur de consommation donne une indication très claire, communauté par communauté, de l'échelle individuelle à pays par pays. On mesure ainsi qu'un Américain consomme sept fois plus que la moyenne planétaire, un Français quatre à cinq fois plus.

Qui consomme la moyenne ?

La Chine... La France était à la moyenne dans les années 1960...

L'époque de la révolution agricole...

Oui, cela interroge la ruralité...

Donc, la croissance de l'urbanisation poserait problème ?

C'est étonnant de voir que c'est corrélé. L'indicateur d'empreinte écologique est global. Le réseau d'empreinte écologique a même développé une application mobile pour déterminer son niveau personnel. Un aller-retour Paris-New-York en avion fait bouffer le crédit d'une année ! 

Cela remet donc en cause les échanges internationaux ?

Différents chemins peuvent nous guider sur les voies de la décroissance : individuels, collectifs, négociés... Des événements vont aussi y contribuer, climatiques, économiques. Quoi qu'il en soit, c'est un  courant de pensée qui trouve une résonance dans les jeunes générations. Tous les deux ans, il y a désormais une conférence internationale pour la décroissance, la prochaine se tient à Budapest : on va essayer de faire le lien entre l'université d'été et cet événement. Yves Duplan va ainsi faire le bilan des vingt dernières années de débat scientifique - pas politique - sur la décroissance. Les économistes classiques essaient de biaiser pour ne pas aller vers la décroissance, mais les thèses de Roegen ont du mal à être réfutées. Nous allons vers une économie rationnée, sinon partagée...

Certains disent que la science va sauver le mode de vie occidental... qui attire beaucoup de monde.

C'est un objet de convoitise pour 80% de l'humanité. L'enjeu est de faire comprendre que notre mode de vie n'est pas soutenable. Les énergies renouvelables peuvent-elles tempérer le phénomène ? Il faudra renoncer à toutes les formes de pétrole disponible. Si on exploitait et consommait l'ensemble du pétrole disponible, on aurait plus 20° d'ici la fin du siècle.

On vient de vivre mai et juin sans augmentation de température !

C'est pour ça qu'il vaut mieux parler de changement climatique plutôt que de réchauffement. Les modélisations sont difficiles à tenir. La science permet d'envisager, tant à travers les énergies renouvelables qu'à travers internet, de pouvoir diffuser des informations, de prendre des décisions plus vite que par le passé.

Les puissances, tant politiques qu'économiques, n'usent-elles pas de la science à leur profit ?

Je suis choqué qu'on ait ces soucis de riches alors qu'on n'a pas résolu les problèmes de pauvreté sur la planète. La science est subalterne, l'important, c'est la question de l'éthique, du partage.

C'est une grande question anthropologique...

Il s'agit de ne plus penser le progrès pour soi, mais de le partager. Il y a beaucoup de mauvaise foi sur la décroissance, notamment sur les pays pauvres. C'est laisser un espace écologique pour les peuples en sous-alimentation qui sont très loin des standards d'ici. Cela suppose que l'on renonce à nos pratiques qui sont des caprices de riches.

Par exemple ?

Prendre l'avion comme on a envie de pisser ! Mais je n'ai pas envie de débattre sur les bonnes ou mauvaises pratiques. J'ai mis dix ans à évoluer sur mes pratiques alimentaires... Si le capital publicitaire était investi dans la question écologique, on pourrait trouver une issue sur les comportements individuels. Je raisonne plutôt en termes de revenu. Les très hauts revenus ont une plus forte empreinte écologique que les bas revenus. Une manière de limiter les empreintes, c'est de limiter les revenus.

Ce n'est pas forcément facile de dire ça à quelqu'un payé au Smic et ayant des enfants...

On peut préférer vivre dans le Jura plutôt qu'en région parisienne. On peut vivre à deux, en famille, en habitat partagé. C'est un discours difficile à tenir, mais cela peut enrichir des personnes.

Ce que vous dîtes sur l'habitat va à l'encontre de ce qu'on constate dans les villes occidentales où la majorité des ménages est composé d'une seule personne...

Cette tendance va sans doute évoluer. La question est : quel niveau de revenu est écologiquement soutenable ?

Cette question a une dimension sociale, un aspect des choses porté par Attac...

Il s'agit de revenir à un niveau d'empreinte écologique des années 1960. Ce n'était pas une époque insurrectionnelle...

C'est la décolonisation de l'Algérie, mais 68... Les voitures consommaient trois fois plus qu'aujourd'hui...

... mais il y en avait trois fois moins.

Venons-en au module sur la décroissance. C'est trois matinées de trois heures...

La première matinée est consacrée aux apports théoriques : Roegen, les limites de l'économie classique qui veut faire croire que tout est réversible. Le mouvement perpétuel auquel veulent faire croire ces économistes n'est pas possible. Nous diffuseront une interview sonore d'Yves Duplan (il est en Guyane et n'a pas pu venir). Il a vécu en Franche-Comté, travaillé à Strasbourg, pour le CNUD, en Haïti. Il s'est formé avec Jean-Marie Harribey, le président du conseil scientifique d'Attac (voir son site personnel ici).

La décroissance n'est pas seulement un objet scientifique.

L'université d'été est un objet scientifique. Ma conception, c'est qu'on doit être sur un débat scientifique. Le débat politique n'est pas la priorité d'une association comme Attac. Après, que cela serve d'outils pour des partis, je suis d'accord. Mais le débat scientifique doit être d'une totale rigueur. C'est pour ça que je voulais ce débat, car le constat - scientifique - de la limite des ressources mérite d'être mise en avant.

Les objections politiques, idéologiques, à votre affirmation sont plus qu'audibles !

Oui, elles sont audibles. L'empreinte du libéralisme est telle que la question des limites est tabou. Le discours écologiste et scientifique consiste à faire prendre conscience des limites. Les grands auteurs de la décroissance mettent en avant ses côtés positifs, par exemple la baisse du temps de travail car le travail est énergivore : limiter le temps de travail, c'est limiter la course énergétique. Il y a une différence avec les positionnements syndicaux car on aborde la décroissance du temps de travail et des revenus. De même que défendre la productivité du travail, donc son intensification, provoque des dégâts psycho-sociaux...

L'association belfortaine d'information sur les limites à la croissanceAssociation Belfortaine d'Information sur les Limites à la Croissance 18 rue de Brasse 90000 Belfort - Tél. : 03 84 58 18 84 - etienne.mangin@laposte.net traitera ensuite de thermodynamique et d'entropie ? Que signifie ce dernier terme ?

C'est la racine de la rareté dans l'économie qui donne de la valeur aux objets. Des économistes raisonnent sur le coût énergétique de chaque produit, de chaque acte, pour donner la valeur énergétique d'un objet ou d'un service. C'est différent de fixer la valeur en fonction de l'offre et de la demande. Ce serait une révolution économique de fixer la valeur des choses sur leur coût énergétique.

Cela devient complémentaire de Marx pour qui seul le travail créé de la valeur...

C'est très proche car le travail intègre un apport énergétique. La vision éco-énergétique est proche du marxisme, c'est pour ça que ce débat est important au sein d'Attac pour rapprocher les positions marxiste et écologiste...

Et rapprocher le mouvement social du mouvement écologiste ?

Les pensées marxiste et écologistes sont les deux faces d'une même pièce. Toutes deux indexent leurs fondements théoriques sur le travail.

Que seront les autres apports du module décroissance ?

Nous aborderons lors de la seconde matinée les aspects anthropologiques, culturels, psycho-sociaux. On sera plus sur le terrain des sciences humaines, sur les conditionnements qui créent notre dépendance. La troisième matinée sera plus ouverte, plus pratique, avec des alternatives concrètes : permaculture, traction animale, tirage au sort pour la représentation dans l'entreprise ou la politique... Une employée de la ville de Saint-Claude viendra ainsi parler d'un réseau d'échange de savoir, il y aura quelqu'un du système d'échange local de Lons. nous présenterons une étude suisse sur une société à 2000 watts : ils sont partis de la moyenne planétaire, sont arrivés à 2000 watts, et ont regardé sur un panel de 3339 personnes s'il y en avait dans les clous...

Et alors ?

On peut voir le résumé sur le site de l'université d'été [voir ci-contre]. C'est bien de savoir d'où on part...

Par quoi commencer ?

Le plus problématique, c'est la mobilité et l'énergie de l'habitat. Pour ceux qui sont loin de leur travail, il s'agit de se rapprocher ou de prendre des transports collectifs...

D'où la question du coût du foncier urbain ?

Oui, mais on voit beaucoup de logements vacants dans des petites villes et des bourgs, comme Lons-le-Saunier ou Poligny..

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