Résister

A cette heure qui paraît grave, nous ne pouvons ni nous lamenter ni nous décourager. Comme face au terrorisme, il importe face à l'extrême-droite de continuer à vivre debout avec tout ce que chacun y met d'engagement. C'est aussi Imaginer un autre demain que la guerre généralisée de tous contre tous.

On peut dire ce qu'on veut, que les attentats ont fait irruption dans la campagne des élections régionales, que la politique nationale s'y est invitée alors qu'elle n'en avait jamais été absente... On peut dire ce qu'on veut, le résultat du premier tour résonne comme un bruit de bottes alors que l'écho des kalachnikovs est encore dans nos oreilles et les noms des victimes dans nos cœurs.

Toute légitime que soit l'émotion, elle ne doit pas empêcher la lucidité. Sur Daech, fruit de l'invasion américaine de l'Irak que Georges Walker Bush voulait ramener à l'âge de pierre alors qu'y sont nées l'agriculture et l'écriture qui en sortaient l'humanité. L'Irak, soutenu par l'Occident contre l'Iran, puis repoussé hors du Koweit, ce qui provoqua le durcissement du régime de fer de Saddam Hussein, puis enfin envahi pour la plus grande gloire des compagnies pétrolières, avec l'humiliation des sunnites, le lâchage des Kurdes...

On pourrait parler de la Syrie, de la Palestine, de la Lybie, de l'Arabie Saoudite, de notre florissante industrie de guerre, de notre industrie textile démantelée et délocalisée... Des milliers de pages, des centaines de livres, des recherches universitaires, des reportages ont été publiés sur ces sujets. Et tout se passe comme si ça n'existait pas.

La lucidité sur les échecs politiques, fruits de la prise de pouvoir du capitalisme financier sur les processus de décision dans l'économie, l'environnement, le social, la culture, l'éducation, les médias, mais aussi de la passivité, voire de la complicité des politiques face à cette offensive... Sous couvert de modernisation, s'en suit une méthodique entreprise de destruction des collectifs humains et des solidarités qui, bâtis de longue date, ont encore de la vigueur et de l'énergie malgré la concurrence acharnée que leur oppose le marché libre et non faussé qui entend tout régenter.

Lucidité sur les difficultés, certains disent l'incapacité, des responsables politiques à prendre la mesure des problèmes. Mais sont-ils les seuls dans ce cas ? Entendent-ils, entendons-nous suffisamment les universitaires, les militants au plus près des réalités, les créateurs, les pionniers ? Connaissent-ils, connaissons-nous vraiment ceux qui renoncent aux confrontations d'idées ou de projets et se réfugient devant la télé ? Dans le silence des pantoufles qui est pire que le bruit des bottes...

Lucidité sur ce qu'est le FN, mais aussi la vie politique. Or, celle de notre pays tourne largement à vide, encalminée par l'élection présidentielle qui la structure et la déstructure, l'empêche de respirer avec la complicité des médias permanents qui abolissent le temps et la profondeur. Résument les débats aux courses d'écuries, personnalisent des questions qui n'ont rien à voir avec le sourire d'Untel, les tailleurs d'Unetelle ou les formules de Telautre.

Bref, bien aidée par l'idéologie et l'orientation ultralibérales de l'Union européenne, cette 5e République monarchique enfante des monstres. Ceux là mêmes qui témoignent d'une crise et surgissent, comme l'écrivit le dirigeant communiste italien Antonio Gramsci du fond de la cellule où Mussolini l'avait enfermé, dans « le clair obscur entre le vieux monde qui se meurt et le nouveau qui tarde à apparaître... »

A cette heure qui paraît grave, nous ne pouvons ni nous lamenter ni nous décourager. Comme face au terrorisme, il importe face à l'extrême-droite de continuer à vivre debout avec tout ce que chacun y met d'engagement, d'attention, de vigilance, de patience. Résister, mot redécouvert par quelques responsables politiques que ne menace que la défaite électorale, ne consiste pas qu'à boire des canons en terrasse pour refaire le monde après un nombre indéterminé de verres.

Résister passe par voter Dufay ou Sauvadet, mais s'en contenter serait insuffisant. C'est aussi ne pas leur sous-traiter son propre engagement, c'est sortir les initiatives de la confidentialité, les certitudes de l'entre soi. C'est bien sûr témoigner inlassablement que le FN est l'héritier de la collaboration avec les nazis, de l'oppression coloniale, des refus des progrès humains tout en considérant humblement que ces arguments n'ont jusque là pas marché. Résister, c'est réinventer l'investissement dans la vie sociale, associative, syndicale, culturelle, sportive. Réenchanter aujourd'hui. Imaginer un autre demain que la guerre généralisée de tous contre tous.

Résister au terrorisme et à l'extrême-droite, c'est penser la paix, la construire, la défendre. Ne pas être obnubilé par eux quand nous agissons. Ce qui ne signifie pas que nous les oublions.

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