Réouverture des écoles : une décision sur les épaules des maires

Depuis le 14 mai, les écoles franc-comtoises rouvrent progressivement leurs portes à une poignée d’élèves : 16% avaient repris mardi 19. Ce sont aux maires, mais aussi aux équipes enseignantes, que l’État a confié la lourde tâche de préparer cette réouverture, lorsqu’elle est possible. « Notre devoir est de créer les conditions d’une montée progressive en charge, qui va dans le respect d’un protocole sanitaire qui ne permet pas, a priori, un retour à la normale », reconnaît le recteur.

ecolefermeture

Dès le 13 avril, alors que la levée du confinement restait encore incertaine, Emmanuel Macron annonçait une réouverture progressive des écoles du pays à partir du 11 mai. Les modalités de ce retour en classe ont été précisées au fil des semaines suivantes, avec une tendance générale : le transfert à l’échelle locale des prises de décisions et de la mise en œuvre de celles-ci. Ainsi, il revient aux parents de décider d’envoyer ou non leurs enfants à l’école. Quant aux règles sanitaires, c’est aux maires et aux équipes enseignantes de les faire respecter, en appliquant un protocole sanitaire très strict. Quand, le 3 mai, ils reçoivent la première version de ce document de plus de 50 pages, qui liste les conditions de réouverture des écoles, la plupart des maires, parfois alertés par les enseignants, se rendent vite compte qu’il est « impossible de le mettre en place en quelques heures », résume Gérôme Fassenet. « Dans chaque école, nous devions répertorier les capacités d’accueil, et trouver des moyens matériels et humains supplémentaires », décrit le président de la communauté de communes de Jura Nord, intercommunalité titulaire de la compétence scolaire de ses 32 communesLa compétence scolaire concernant la gestion des locaux des écoles maternelles et élémentaires est confiée soit aux communes, soit aux communautés de communes..

Le rectorat de Besançon lui-même a rapidement repoussé le retour des élèves a minima au 14 mai. Mais pour Jura Nord, cette date était encore trop prématurée : « Avec les élus des communes concernées, les représentants du personnel et les directeurs d’écoles, nous avons décidé collectivement de faire en sorte d’être prêts le lundi 18 mai. » Pour d’autres écoles, la date du 25 mai, voire celle du 2 juin a été retenue, avec toujours en tête la volonté – et la nécessité – de trouver des solutions pour appliquer ce protocole « drastique », selon les termes d’une élue.

Une réorganisation pas à la portée de toutes les communes

Il faut d’abord s’organiser à l’intérieur des classes : combien d’élèves sont susceptibles d’être accueillis en même temps, tout en gardant l’espace recommandé de 4 m² autour de chacun d’eux ? Par quelles portes les faire entrer et sortir ? Dans quels sanitaires leur faire se laver les mains ? Même si les conseils d’école se sont rarement réunis à proprement parler, beaucoup de directeurs ont pu échanger avec les services communaux ou intercommunaux pour régler ces questions. Ils ont dû réfléchir aux sens de circulation et aux dispositions des tables, pour « maintenir la distanciation physique », ou encore à l’organisation du matériel pédagogique pour éviter qu’un crayon ou un livre passe d’un enfant à un autre… « Ça prend un temps fou », avertit Karine Laurent, représentante du syndicat enseignant SNU-ipp. Et les normes du protocole ne s’arrêtent pas là : D’importants moyens humains doivent être mobilisés pour le nettoyage et la désinfection des locaux », note Patrick Genre, président de l’association des maires du Doubs. À Pontarlier, ville dont il est l’édile, des concierges habituellement affectés aux structures culturelles et sportives ont été basculés sur les écoles, afin de « doubler l’effectif ». De la même manière, les plannings des agents des écoles de Jura Nord ont été modifiés : « On leur a donné plus d’heures lorsque c’était possible, et nous embaucherons si nécessaire », complète Gérôme Fassenet.

Mais toutes les communes ne peuvent pas déployer de tels moyens, ou du moins pas de manière imminente. « Et, même si à la fin, la note sera salée, l’argument financier n’est pas celui avancé par les maires qui ne souhaitent pas rouvrir leurs écoles dans l’immédiat », assure Patrick Genre. Selon les choix des élus, les retours des élèves sont donc échelonnés différemment en fonction des écoles : à Besançon, seuls les niveaux jugés « prioritaires » par le ministère de l’Éducation nationale, à savoir les Grandes sections, les CP et les CM2, sont retournés en classe, et ce seulement depuis le 18 mai ; « Nous ne pouvons pas accueillir tous les niveaux », confirme Frédérique Petitcolin, directrice des services d’éducation de la ville. Sur les communes de Terre d’Émeraude ou du Pays du Riolais, tous les niveaux seront accueillis progressivement entre le 14 et le 25 mai ; Belfort a rouvert quant à elle ses portes aux élèves de primaire le 18 mai, et attend le 25 pour poursuivre avec les maternelles. Certains enfants ne sont accueillis qu’un jour sur deux, d’autres seulement le matin. Il existe presque autant de situations que d’établissements. Car si, comme le répète le rectorat, « c’est le Premier ministre qui a décidé de la réouverture des écoles », il appartient bien à l’élu en charge de la compétence scolaire de donner son feu vert. Et leur volonté ne manque pas, affirme Patrick Genre : « La très grande majorité cherche des solutions. » Même constat chez son homologue du Territoire de Belfort : « Si un maire ne rouvre pas son école, c’est qu’il ne peut pas le faire » insiste-t-il.

Ceux qui gardent porte close

Certains élus ont en effet décidé de garder porte close, soit jusqu’en septembre, soit jusqu’à nouvel ordre. Nicolas Pacquot, maire d’Étouvans, a été le premier de l’agglomération de Montébliard à prendre un arrêté en ce sens. Il y dresse la liste des obstacles au respect du protocole dans son établissement : « L’un des trois agents de l’école souffre d’une infection chronique et ne peut pas revenir travailler, nous ne disposons pas suffisamment de lavabos, les salles de classe ne sont pas extensibles, la cantine est trop petite… J’estime répondre quand même aux directives du ministère de l’Éducation nationale de lutte contre le décrochage scolaire, précise-t-il cependant, car 100 % des élèves de l’école se connectent pour suivre l’enseignement à distance. Or, si 25 élèves revenaient, comme le souhaitaient leurs parents, nous pénaliserions les autres », analyse ce maire d’une école de 95 enfants, répartis dans quatre classes à double niveau.

Karine Guillier, maire pour quelques jours encore de la commune de Rang (25), en est arrivée aux mêmes conclusions pour son école, en regroupement pédagogique intercommunal (RPI) avec Anteuil et Saint-Georges : « Je me suis rendue dans les locaux, j’ai pris des photos, et j’ai constaté qu’il était impossible de remplir le cahier des charges ». D’autant plus que deux des trois enseignants ne pouvaient revenir sur le site, leur conjoint étant à risques. D’autres fois, les mairies n’ont pas le personnel nécessaire pour assurer le nettoyage ou la surveillance des enfants le midi, ou les enseignants sont trop peu nombreux, comme à Belmont, où deux professeures à mi-temps se partagent en temps normal 25 élèves : « Comment faire en sorte qu’il y ait une enseignante au portail, et une autre pour accompagner les enfants se laver les mains, alors que nous sommes toutes seules? » questionne la directrice.

Au total, 13 % des écoles de l’académie ont déclaré qu’elles ne rouvriraient pas leurs portes avant septembre, ou ne se sont pas encore prononcées. A Étouvans, le maire n’exclut pas un retour des CM2 début juin, mais il reste prudent et « attentif à la situation sanitaire. » Si ni lui ni ses homologues de Rang et de Belmont n’ont été contactés par les services de l’État après la publication de leur décision, d’autres maires ont ressenti une « énorme pression » de la part des services déconcentrés pour accélérer la réouverture des écoles, affirme Karine Guillerey, adjointe en charge des affaires scolaires à Lure. La ville préfère attendre de basculer zone verte pour rouvrir ses écoles.

Face à de telles situations, préfecture et directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) tentent en effet de convaincre les élus, sans pouvoir les obliger à agir dans un sens ou dans un autre, maintient le préfet de région, Bernard Schmetz : « À ce stade, la priorité est au dialogue », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse le 15 mai dernier. Un dialogue qui passe par des coups de téléphone à certains élus, qui finissent parfois par changer d’avis. Mais tous les maires ne ressentent pas cette pression : « Il y a une forte incitation », nuance Patrick Genre pour les maires du Doubs. Sur le territoire de Belfort, Pierre Rey souligne que « le préfet a conscience du risque sanitaire de notre département, et qu’il n’essaiera pas de mettre en jeu la responsabilité des maires. »

Car même si la loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire tempère quelque peu la responsabilité des maires en cas d’incident, elle ne l’efface pas. Ainsi, si le protocole sanitaire n’est pas respecté au sein d’une école, maires et directeurs restent assignables en justice. Or, avant d’engager une réouverture, personne ne contrôle formellement la validation des dizaines de consignes sanitaires contenues dans le fameux protocole. « Nous avons conseillé aux directeurs d’écoles de demander la visite d’un responsable de la municipalité, afin de valider le protocole conjointement », rapporte Karine Laurent. Les syndicats enseignants ont aussi invité les professeurs à faire remonter en détails à leur hiérarchie les points ne pouvant être appliqués, afin de se protéger a minima. Les maires, quant à eux, ont la possibilité de valider ce protocole en présence des préfets et des responsables académiques. « C’est une manière d’une part, de solenniser la réouverture des écoles, et d’autre part, de sécuriser la décision du maire vis-à-vis de sa population », résume Bernard Schmetz, qui précise que cette procédure reste « facultative ».

De fortes inquiétudes pour la rentrée de septembre

Les maires qui ont d’ores et déjà engagé le retour de leurs élèves en classe voient cette première étape comme un « test » avant la rentrée de septembre. Pour se préparer. Mais les incertitudes restent nombreuses : comment géreront-ils l’augmentation du nombre d’élèves ? En effet, seuls 16 % des écoliers franc-comtois avaient rejoint leur classe le 19 mai. Un nombre très réduit, qui facilite la mise en œuvre du protocole sanitaire. Mais la forte restriction des mesures de chômage partiel à compter du 31 mai, ainsi que la probable résistance du virus au-delà de l’été, laissent penser qu’un plus grand nombre de parents souhaiteront voir leurs bambins retourner en classe dans les prochaines semaines, ou prochains mois.

Comment tous les accueillir ? « Notre devoir est de créer les conditions d’une montée progressive en charge, qui va dans le respect d’un protocole sanitaire qui ne permet pas, a priori, un retour à la normale, entendu comme le retour de la totalité des effectifs en présentiel dans les classes », reconnaît le recteur de la région et de l’académie de Besançon, Jean-François Chanet. Il apparaît donc possible, qu’en septembre, les jeunes franc-comtois ne puissent plus se rendre à l’école tous les jours ; une alternance entre distanciel, accueil périscolaire et présentiel pourrait être mise en place. « Mais ce n’est pas à l’autorité académique de décider des modalités de celle-ci », a conclu le recteur, en affirmant que des solutions étaient à l’étude actuellement.

Enseignants et maires peinent parfois à entrevoir ces solutions, si le protocole actuel est maintenu en l’état. « Dans certains cas, ce sera insoluble : on se retrouvera face à un mur… qu’on ne peut pas pousser ! », prévient Pierre Rey.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !