PS, un parti en drôle d’état à deux jours du congrès

Les adhérents socialistes comtois, comme au niveau national, ne se sont pas bousculés pour participer aux élections internes qui déterminent théoriquement l'orientation et la gouvernance du parti du président qui tient fermement les manettes. Le Jura a voté pour la motion de Karine Berger, les trois autres départements pour la motion de Jean-Christophe Cambadelis.

21 janvier 2015, action de la CGT commerce du Doubs devant le siège du PS à Besançon contre ce qui n'est alors que le projet de loi Macron. Symbole de la fracture entre le PS et le salariat.

A quelques jours du congrès de Poitiers, le PS est dans un drôle d'état. La victoire aux scrutins internes de la ligne sociale-démocrate, voire sociale-libérale, est une victoire par abandon. La motion A n'a obtenu qu'une piteuse majorité relative, à peine meilleure que le vote sur son nom obtenu par Jean-Christophe Cambadelis. Certes, en démocratie, ce sont les suffrages exprimés qui comptent. Sur ce plan, le succès est net : les soutiens au gouvernement ont davantage mobilisé que les socialistes critiques. Mais les plus nombreux sont ceux qui n'ont pas participé. Comme si le premier parti de la gauche sonnait creux, comme s'il était en partie vide. Ou seulement rempli de ses élus et de ses collaborateurs d'élus. Déserté par les militants de base.

Une anecdote. La fédération de Haute-Saône, qui a réussi à conserver le département il y a deux mois, a répondu en un instant à notre demande de communication des résultats des scrutins. Son premier secrétaire fédéral, Loïc Niepceron, vice-président du Conseil régional, sait ce qu'est la défaite et la division pour avoir perdu la mairie de Vesoul il y a vingt ans déjà. Au téléphone, il est lucide : « 57% de participation, c'est pas terrible, les gens ne se déplacent plus, c'est un vrai problème ».

Voir les résultats par département en cliquant deux fois sur la photo. Comme ceux du Jura sont incomplets, nous n'avons pas ceux de la région. En revanche, dans la grande région Bourgogne-Franche-Comté, 2770 adhérents sur 5611, soit 49,4%, ont participé au vote sur les motions. la A obtient 51,19%, la B 39,14%, la D 7,80% et la C 1,80%.

Un instant auparavant, nous avons sollicité la fédération du Jura que beaucoup de socialistes s'accordent à considérer « spéciale ». Il y deux mois, le PS du Jura a pris une mémorable veste après quatre ans d'un exercice hystérique du pouvoir départemental. Au téléphone, on nous répond que « oui, le premier secrétaire fédéral va vous rappeler ». Peut-on avoir les résultats ? « Il ne devrait pas y avoir de problème, mais il me faut l'autorisation ». Elle n'a manifestement pas été donnée.

Le premier secrétaire fédéral du Jura pourrait changer

Ce coup de fil d'Eddy Lacroix, jeune adjoint au maire de Plainoiseau, après plusieurs mails et relances de notre part, nous l'attendons encore (il a fini par arriver vendredi soir, voir l'entretien ici). On peut comprendre son amertume, la motion A qu'il soutenait est arrivée seconde derrière la motion D de Karine Berger qu'avait soutenu Marc-Henri Duvernet. Conseiller général sortant, élu à 23 ans en 2011, il a lui aussi été emporté par la vague qui a balayé les socialistes, mais s'en est sorti avec une défaite honorable, un an après avoir défié, en vain, le maire de Lons-le-Saunier de 40 ans son aîné, Jacques Pélissard, aux municipales.

Fort de sa légère avance dans l'appareil, il brigue le poste de premier fédéral pour le troisième tour, le 11 juin. Il sera opposé à Eddy Lacroix. On comprend bien que tous deux ont d'autres chats à fouetter : des adhérents en déroute à convaincre... Marc-Henri Duvernet nous adressera un bref mail pour confirmer sa candidature. Mais pas de coup de fil. Dans le Jura, ancienne terre d'influence communiste, la prépondérance du PS sur la gauche est en jeu. Là où les forces à sa gauche se sont organisées, elles ont obtenu des résultats - entre 8,5 et 23 % - dont les socialistes, sous le choc, peuvent craindre la dynamique. Seul Marc-Henri Duvernet a réussi à limiter, par sa présence, le siphonage des voix PS par l'autre gauche...

« Les gens ne vivent pas tous leur engagement par le vote »

Nicolas Bodin : « On a commis l'erreur d'inverser le calendrier électoral »
Le risque n'est-il pas de faire du PS un parti de supporters, comme aux USA ?
Un fait politique majeur est d'avoir inversé le calendrier électoral. On a alors reconnu le primat de l'élection présidentielle. Ça a modifié énormément les structures de nos partis. Je pense que sur ce plan, on a commis une erreur. Ça ne correspond pas à la culture de la gauche. Notre parti défend le droit du parlement, or on a renforcé le pouvoir présidentiel.
Vous rapprocheriez-vous des tenants de la 6 e république ?
Effectivement... La 5e a permis de traverser des difficultés historiques... Mais il faudrait réformer le parlement, réduire le nombre de députés, une dose de proportionnelle, et le Sénat ne peut pas être seulement le représentant des collectivités, il faut revoir son mode d'élection.
Pour ça, il faut gagner en 2017, et... ce n'est pas gagné !
Oui, il faudrait un référendum, mais on répond souvent à une question qui n'est pas posée...

Dix ans après le rejet de la constitution européenne, la méfiance est toujours là...

Dans le Doubs et le Territoire de Belfort, les dirigeants fédéraux sont moins fébriles. Leurs amis ont exercé longtemps des responsabilités, présentent des bilans gestionnaires corrects. Ils sont philosophes devant la défaite départementale. La participation en baisse du 21 au 28 mai : moins de 40% à Besançon par exemple ? « C'est normal, les gens ne vivent pas tous leur engagement par le vote », dit Nicolas Bodin, adjoint au maire de la capitale régionale et premier fédéral du Doubs, « le vote sur les motions est plus important car il donne l'orientation politique. Si Christian Paul était élu premier secrétaire, il aurait un problème car les instances sont à la proportionnelle des motions. Dans l'esprit des statuts, c'est légitime que le premier secrétaire soit issu de la motion majoritaire ».

Des militants de la motion B, celle des « frondeurs », sont amers. Rester ? Partir ? Dans la nature ? « Quitte à partir, autant s'organiser pour partir en groupe », dit l'un d'eux. Cela fait-il peur à Nicolas Bodin ? « Je n'ai pas entendu ça de la part des députés frondeurs ». Oui, mais les militants ? « On fera le bilan fin 2015, pour l'instant, je n'ai aucun mail en ce sens... » On a vu davantage d'enthousiasme. Dans ces conditions, l'objectif de 500.000 adhérents affiché par Camba ? « C'est super ambitieux, je ne sais pas sur quoi il s'appuie, mais on avait quand même près de trois millions d'électeurs à la primaire... Peut-être qu'il veut simplifier la procédure d'adhésion, revoir la définition de l'adhérent... »

« Les petites phrases de BFM, I-télé ou France-Info désorientent les militants »

Loïc Niepceron : « le rôle des partis est de dire le principal et l'accessoire »
Vous dîtes qu'il n'y a plus de culture politique. Pourquoi ?
Dans le sens où on n'essaie même plus de comprendre comment ça marche.
Les gens voient bien ce que les statistiques de Pôle-Emploi ne disent pas explicitement : il y a de plus en plus de travailleurs pauvres, la flexibilité...
Je suis pour le CDI, mais les employeurs embauchent en CDD ! Les jeunes vont aux concerts avec blablacar, ne sont plus dans la consommation, ce modèle est au bout. Le rôle des partis, c'est de dire ce qui est principal et accessoire. Le principal, c'est la santé, la Sécu, l'éducation...
L'emploi local chute en raison de la directive travailleurs détachés, dénoncée sur le chantier de l'hôpital Belfort-Montbéliard, par la CGT et la CGPME ?
Ils ont raison !
En 1998, le gouvernement Jospin arrêtait l'Accord multilatéral sur l'investissement. Pourquoi ne pas arrêter le TAFTA qui est pire ?
Je n'ai pas suivi, sauf sur la culture... Il y a un front du refus de conservatisme extrême, le FN, à la gauche parce que l'Europe est un nain politique. Je suis pour de vraie décisions politiques européennes, mais on a laissé filer le marché...
C'est une décision politique de l'avoir laissé filer...
Je pense que l'Europe n'est pas d'accord... Les gens nous disent : on vous aime bien, mais là-haut ils ne nous écoutent pas... Ils sont où les Verts et le Front de gauche ? Il y a trois grands blocs dans la grande région : la gauche qui est passée de 2010 aux départementales de 520.000 à 350.000 voix, la droite qui est passée de 368.000 à 329.000 voix, et le FN qui est passé de 145.000 à 278.000...
Vous ne pouvez gagner qu'avec la gauche radicale qui ne veut pas s'allier avec vous mais que vous comptez dans le bloc de gauche ! En 2010, les Verts étaient avec vous, pas cette année...
C'est pour ça que je dis à mes amis verts qui font des listes à part qu'ils ne feront pas 9% mais entre 4 et 6 et risquent de ne pas être là au second tour. Ça va planter la gauche, sauf s'ils changent de tactique.
Que pensez-vous des mouvements citoyens qui ont fait des résultats dans le Jura ?
Ça ne mènera à rien. Une organisation politique, à un moment, c'est un précipité, l'alchimie entre des hommes et un territoire. On a perdu le Territoire de Belfort parce que Chevènement nous a plantés.
Il est parti sur une divergence européenne !
Sur l'ego ! Pas sur son travail politique au sein du parti, mais de soi-même. Claude Jeannerot me raconte croiser un électeur de Battant qui lui dit « c'est bien ce que vous faites ». Il répond : « vous votez pour moi alors ». L'électeur répond : « Non, j'ai envie de sanctionner ».
La critique est juste sur l'Europe et le traité budgétaire !
On ne peut qu'infléchir l'Europe, elle n'a plus de sens politique... En Haute-Saône, on a gagné parce que les modérés ont eu confiance en Yves Krattinger. A Lure, la droite s'est effondrée. Dans certains milieux ruraux, il y a une vraie porosité entre la droite et le FN... Christiane Taubira donne un sens à la politique...
Et elle ferme la prison de Lure !
Ce n'est pas elle, mais la technostructure qui a des petits dans les départements et les régions. La fusion, ce sont les préfets préfigurateurs qui la font et un certain nombre de politiques sont à la remorque de la technostructure. La fonction d'élu a beaucoup changé et le PS a un défaut : on y trop souvent entre soi...

Loïc Niepceron est déjà ailleurs : « On n'est plus dans l'opposition, mais aux manettes, c'est la situation la plus compliquée. Les militants voient parfois le verre à moitié vide... Mais il faut assumer le pouvoir, on n'est plus dans les années 80 ni les années 2000, la situation n'est pas la même. On a pris le pouvoir sans expliquer pourquoi c'était difficile à cause de la dette. Et en plus, les petites phrases de BFM, I-télé ou France-Info désorientent les militants. Au séminaire des premiers fédéraux, on a dit qu'on se tirait une balle dans le pied si on ne remettait pas le demi-part que Sarkozy a enlevée aux veuves ! Mais on n'est pas bon, ça fait deux ans qu'avec la décote on a fait sortir quatre millions de personnes de l'impôt. Les gens nous l'ont reproché dans les porte-à-porte, les militants font remonter certaines choses... Mais on est une situation telle qu'on n'appuie plus sur un bouton. On a perdu 700.000 emplois industriels entre 2002 et 2012, on a été fracassés en Franche-Comté. On a 14.000 emplois à Sochaux contre plus de 20.000 il y a dix ans....»

La dette justement, a rattrapé Vesoul qui avait deux emprunts toxiques. « Si la ville en est là, c'est parce qu'elle s'est surendettée pour ne pas augmenter les impôts et qu'elle a perdu 3000 habitants, fermé 30 classes en trente ans... La région n'a pas fait d'emprunts structurés. On a emprunté à 3,1% pour la LGV alors que la Caisse d'Épargne voulait nous mettre du structuré : pendant 4 ans, on ne payait rien, et après on ne savait pas. On a dit niet ! Aujourd'hui, c'est toute cette dette qu'on paie... Expliquer ça aux militants, ça va, mais quand la rue leur explique, ça ne va pas. Annuler une part de la dette, pourquoi pas, renégocier, c'est sûr ! J'ai fait la campagne départementale, les gens sont perdus, les vieux prennent les nouvelles à la télé, les jeunes sur internet, et il n'y a plus de culture politique... »

N'empêche, c'est le PS qui est au pouvoir... pour l'instant.

La manipulation des étiquettes escamote la gauche de la gauche et acrédite la thèse du tripartisme

Cela va-t-il durer ? Sans inflexion politique au plus haut niveau, ça serait étonnant. Loïc Niepceron et les socialistes se trompent en invoquant un « bloc de gauche » qui inclue électeurs PS et de la gauche radicale. D'abord parce qu'il y a eu, au soir des départementales, une manipulation sur les étiquettes. Celle-ci était notamment destinée à rendre invisible les résultats des candidats situés plus à gauche que le PS. Quel grand média a ainsi souligné que les alliances Verts-Front de gauche, là où elles ont existé, ont obtenu autour de 14% ?

Un tel score, s'il est réitéré aux régionales, est de nature à permettre à ceux qui l'obtiennent de pouvoir peser sur les socialistes. Soit pour les faire battre, soit pour fusionner avec eux, et/ou avec les Verts, dans des conditions politiques qu'on a du mal à imaginer aujourd'hui. Le PS craint cette hypothèse dans laquelle il ne serait plus hégémonique à gauche. Il sait aussi qu'il peut compter sur l'émiettement traditionnel à la gauche de la gauche, la tentation gauchiste de certains, pour conserver un minimum de leadership. Mais qui sait s'il ne sera pas atteint lui aussi par l'effet domino démarré en Grèce avec la victoire de Syriza ?  

Ouverture, inflexion, coup de comm ?

En Bourgogne-Franche-Comté, la chose est entendue et le risque est écarté : les écologistes partent seuls, sans s'allier avec le Front de gauche qui a déjà fort à faire pour maintenir ce qui lui reste de cohésion. Mais ailleurs ? Et pour combien de temps ? Le congrès est l'occasion pour le PS de tenter un coup de spectacle, de rabibochage. « Il y a une volonté d'ouverture », souligne un militant sous couvert d'anonymat. L'objectif des 500.000 adhérents est cohérent avec un coup de communication... D'ailleurs, le discours de l'inflexion à gauche a déjà commencé.

Après cela, le 11 juin, quand la fête de Poitiers sera démontée, on élira dans l'indifférence les premiers secrétaires fédéraux. On l'a vu, le Jura fera honneur à sa réputation « spéciale ». Dans le Doubs, le sortant Nicolas Bodin, directeur de campagne de Marie-Guite Dufay pour les régionales, sera opposé à Marcel Ferreol qui soutenait la motion B. Ancien adjoint au maire de Besançon, c'est un proche de la députée « frondeuse » Barbara Romagnan. En Haute-Saône, Loïc Niepceron devrait être le seul candidat, et dans le Territoire de Belfort, le sortant Guy Berthelot ne se représente pas : l'unique candidate est Maude Clavequin. 

Viendront ensuite les élections des secrétaires de section. Dans le Doubs, la plupart ont voté la motion A, mais Montbéliard et Quingey ont préféré la B. A Besançon, quatre candidats briguent le poste dont trois de la motion A : le sortant Jean-Sébastien Leuba, Pascal Curie et Frédéric Degol, et pour la motion B Hervé Groult.

 

 

 

 

 

 

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