Primaire socialiste : « Benoît Hamon parle juste aux oreilles des trentenaires »

« Le peuple de gauche est venu au secours du PS », entendait-on aussi au siège bisontin du PS où les militants célébraient en la victoire de Benoît Hamon un vote générationnel et voyant loin, mais aussi à rebours des exemples socio-libéraux britannique et allemand. Benoît Hamon obtient 56,7% en Franche-Comté dont 61,2% dans le Jura, 57,14% dans le Doubs, 55,7% dans le Territoire-de-Belfort, 51,4% en Haute-Saône.

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Dix neuf coups sonnent à l'horloge de la mairie. Un militant nous fait signe derrière la porte vitrée que ce n'est plus la peine de rentrer dans la salle Courbet qui accueille les deux bureaux de vote de la Boucle : le scrutin est clos. Une semaine plus tôt, Benoît Hamon a obtenu 49% dans l'un, près de 46% dans l'autre, pendant que Manuel Valls faisait 23%... Pour lequel des deux auront voté les 25% d'électeurs supplémentaires ?

Il faut encore patienter, compter et recompter les émargements, patiemment, silencieusement. Une quarantaine de personnes sont là et les conversations sont de moins en moins feutrées. Un compteur demande le calme pour pouvoir compter sereinement... Les cahiers d'émargement seront ensuite scellés et acheminés en voiture au siège de la fédération du Doubs, à Montbéliard... Alors seulement, on ouvre les urnes, on compte les enveloppes, on fait des tas de dix. Les scrutateurs s'installent enfin sur deux tables.

72,3% pour Hamon dans la Boucle de Besançon

Le suspense est de courte durée. 80 à 19 pour Hamon sur la première table pour les cent premiers bulletins, 62 à 37 pour la table voisine... On finira à 415 contre 159. Hamon obtient 72,3%... Les réseaux sociaux égrènent des résultats qui confirment la tendance... Au siège bisontin du PS, à quelques hectomètres de là, une vingtaine de militants attendent l'annonce officielle à la télé. Un peu inquiète, le visage tendu, Dalila, employée de commerce, joint les mains. « Toute la journée, j'ai stressé, j'avais peur que des gens de droite viennent sauver le soldat Valls », nous dira-t-elle plus tard... Le résultat arrive enfin, les soutiens de Hamon applaudissent et se congratulent.

Le résultat vient d'être annoncé à la télé, les soutiens bisontins de Benoît Hamon applaudissent...

« On est à un carrefour idéologique, ce n'est pas la fin du PS », analyse Raphaël Krucien, le benjamin du conseil départemental du Doubs, élu du canton de Planoise. « On pourrait reprocher à Benoît Hamon d'être utopiste, mais il a eu une approche des politiques mêlant critiques et continuité. Il a aussi un côté générationnel, il parle juste aux oreilles des trentenaires. Quand il remet en cause les fondements de la société, il tape juste ». Par exemple ? « Quand Sarkozy ne savait pas ce qu'était Le Bon coin, c'est l'expression du décalage culturel entre deux générations... »

Manuel valls apparaît sur le petit écran. Pas grand monde n'a voté pour lui, mais on l'écoute. « Loyauté... Vérité... Société du travail... Gauche crédible... Les germes de la décomposition politique sont là, à gauche et à droite... » Le propos du vaincu dure et dans l'auditoire, un voix dit tout haut : « il est trop long ». La mandataire de Hamon pour le Doubs, Marcel Férreol commente : « il fait son testament ». Quand BFM zappe l'ancien premier ministre pour établir la liaison avec le QG de Benoît Hamon, les applaudissements retentissent à nouveau. « Futur désirable... Plein emploi du 21è siècle... Je suis résolu, positif et heureux... Proposition de programme de majorité gouvernementale à Mélenchon et Jadot... »

« Les cartes sont rebattues »

L'échange avec Raphaël Krucien peut reprendre : « Hamon est un des rares qui fixe un cap à long terme, qui a donné envie de voter : on ne vote plus par défaut, mais par envie... » Est-il confiant pour une présidentielle qui s'annonce difficile ? « Les cartes sont rebattues. Personne ne s'attendait à lui... Plus à gauche non plus, leurs arguments sur la politique gouvernementale ne tiennent plus... »

Membre du PS depuis six mois, Raphaël Krucien avoue avoir « traîné au MoDem, jusqu'à ce que je m'aperçoive que ça ne correspondait pas à ce qu'on nous avait vendu ». Qu'est-ce qui l'a fait passer du centre à la gauche du PS ? « Mon évolution personnelle est passée par une évolution professionnelle, j'ai eu du mal à trouver du travail, je me suis confronté au monde ouvrier, à ses difficultés. Les idées de droite sont inadmissibles au regard du monde ouvrier... »

Etudiante en géographie et conseillère régionale, Elise Aebischer a la même réaction première : « la fin du PS n'est pas là, j'imagine bien que certains doivent être déçus... Ce n'était pas la gauche raisonnable face à la gauche utopiste, c'était la gauche qui se veut réformiste, peut-être trop, et une gauche qui voit loin... » Pour elle aussi, la dimension générationnelle a joué : « pour beaucoup de jeunes ayant voté Benoît Hamon, c'était leur premier vote. C'est le candidat d'une génération, il parle du numérique, de l'écologie... Mais le plus dur reste à faire, c'est l'étape présidentielle. J'espère un rapprochement avec les écolos, des communistes... »

La journaliste de France 3 demande que les militants lèvent leur verre pour une belle image... Marcel Ferréol prend un ton un brin solennel : « des gens n'ont pas voté Hamon, il est important que nous soyons ensemble. Le PS n'est pas une écurie... On va vite voir ce qui va se passer, comment vont réagir Mélenchon, Fillon, Macron, tout va bouger, rendez-vous dans un mois... » Maxime, 14 ans, lance avec aplomb au vieux militant : « Fillon va être bloqué par la justice... »

Un vallsiste trinque :
« ce sont mes camarades ! »

Iraj Keshmiri est un des rares à avoir voté Valls dans l'assistance. Il trinque sans retenue : « ce sont mes camarades ! On a en commun l'humanisme, le socialisme, et même une part d'utopie... Nous, les vallsistes, avons une vision plus réaliste de la situation politique actuelle, mais je respecte le vote. Je veux bien qu'on promette la lune, mais a-t-on les moyens de l'accrocher ? Je pense à la Grèce : c'est François Hollande qui a sauvé Alexis Tsipras... Mais je ne suis pas contre Hamon... »

Pour beaucoup de soutiens de Benoît Hamon, c'est le retour de la gauche qui est à souligner. Maxime utilise une métaphore informatique : « c'est la réinitialisation du système du PS si on l'imagine comme un ordinateur, ce qu'il affiche et ce qu'il réfléchit... Avec Hamon, on va tout chambouler le système français... Le revenu universel fait débat ? C'est très bien d'aider les 18-25 ans à démarrer. C'est utile, ce sont eux qui vont payer les retraites de demain, les impôts de demain... En France, on a plus de vieux que de jeunes, ça creuse la dette. Avec Hamon, ça va rentrer dans l'ordre, la légalisation du cannabis va faire rentrer des milliards de taxes ! »

Julien Boyer reste sur son « petit nuage » tout en pensant à la suite : « ça va être dur de gagner, de rassembler toute la gauche, de convaincre nos alliés de se rallier à Benoît Hamon, mais c'est la seule chance qu'on a de gagner. Ils ne se renieraient pas à venir vers nous... » Il y a plusieurs mois, Julien Boyer était allé voir du côté de Macron : « j'étais intéressé par sa façon d'aborder la question des migrants, les discriminations, la mutation du travail en lien avec la révolution numérique, mais il n'a toujours pas sorti de programme et je voulais qu'il se plie à la primaire... »

« Je n'ai pas envie que ça se passe
comme en Angleterre avec Blair
ou en Allemagne avec Schröder »

Dalila, qui ne cachait pas son stress avant la résultat, est rassurée : « Le PS était moribond. Avec Hollande et Valls, on s'est posé des questions : sont-ils vraiment de gauche ? Faisaient-ils une politique de gauche ? Et bien non ! Là, aujourd'hui, on retrouve notre PS, nos idées... Et en plus il est bienveillant...  »

Syndicaliste dans la métallurgie, François ne dit pas autre chose : « c'est le PS comme je le voyais qui ressort. Je n'ai pas envie que ça se passe comme en Angleterre avec Blair ou en Allemagne avec Schröder où un salarié licencié peut être réembauché comme intérimaire avec 50% de salaire en moins... » François a été des premières manifestations contre la loi travail, aurait aimé qu'on commence par faire le bilan de la disposition de la loi Macron indiquant qu' « une entreprise doit donner sa stratégie de moins deux ans à plus trois ans... Mais ce n'est toujours pas appliqué ».

Alexandre Cheval est aussi rassuré qu'enthousiaste : « Le PS est redevenu un parti de gauche, je suis heureux ! Le peuple de gauche est venu au secours du PS. S'il n'y avait pas eu ça, on était mort... » Pourquoi pas chez Mélenchon ? « Je ne suis pas stalinien et j'ai une autre vision de l'Europe... » L'ancien trotskyste, trente ans socialiste, appréciera la critique anti-stalinienne, mais c'est sans doute son caractère qui est visé là... 

Marcel Ferréol ne nie pas les similitudes programmatiques entre Benoît Hamon et la France insoumise : « Mélenchon a intégré la mutation écologiste, mais sur la transition énergétique ou le nucléaire, le PC reste divisé... » Le mandataire du désormais candidat socialiste a une autre raison de se réjouir : « J'ai longtemps été minoritaire, depuis mes 16 ans et le PSU... Mais j'ai toujours appris que le collectif, c'est mieux que l'individuel... » Le vote de la primaire signifie-t-il que les électeurs socialistes veulent un PS de gauche ? « Oui, sinon ils auraient pu dire : allons chez Mélenchon... »

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