Porteur de paroles, le militantisme se renouvelle

Conférences gesticulées, éducation populaire politique, utilisation de l'espace public comme lieu de discussions... La gauche radicale expérimente de nouvelles formes d'engagement. Exemple à Lons-le-Saunier avec un stage animé par la Coopérative citoyenne pour la France insoumise, avant un prochain à Pontarlier.

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« La liberté d'expression ne suffit pas à la démocratie. Sans contrainte, c'est la grande gueule qui va parler... » La dizaine de participants à la première journée de formation de porteur de paroles de la Coopérative citoyenne écoutent Mathilde Tagand débriefer les premiers exercices. Militants du groupe d'appui de Lons-le-Saunier de la France insoumise, le mouvement qui soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon, ils ont sagement suivi les consignes des jeux de l'espace-stop et de la carte du monde.

Le premier consiste à déambuler dans tous les sens dans la petite pièce d'une vingtaine de mètres carrés, une seconde modalité consiste ensuite à faire la même chose tout en « saluant un maximum de monde » en variant les attitudes : timide, pressé, en colère, les retrouvailles du meilleur ami... « C'est un moyen de briser la glace », explique Carole, qui encadre sa première formation.

Pour la carte du monde, chacun est invité à se positionner dans la pièce où les points cardinaux ont été définis, en fonction du « lieu qui [vous] a fait grandir », puis du lieu où l'on exerce. A froid, chacun dit un ou deux mots. En quelques minutes, chacun a fait sa mini biographie. Qu'il soit lycéen ayant toujours vécu dans le Jura, comme Louis, ou retraitée de l'agriculture, comme Véronique...

De l'éducation populaire à l'éducation populaire politique

« Ce jeu explique plein de choses », dit Mathilde Tagand, « il y a des inégalités, des différences de fric ou d'expériences, on pointe du doigt les rapports de domination... C'est très différent d'un tour de table selon le statut où l'on accorderait davantage de légitimité au Pdg qu'au stagiaire. Il s'agit de s'attacher au vécu de chacun pour que tout le monde soit sur un pied d'égalité ». Ne serait-ce pendant la formation... qui se revendique non seulement de l'éducation populaire, mais de l'éducation populaire politique...

Elle doit permettre aux militants de la transformation sociale de renouveler leurs approches et leurs façons de faire. Ils ont bien intégré que la distribution de tracts n'est plus ce qu'elle était. L'espace public est bien souvent saturé d'offres marchandes et de réclame, de retape pour les grandes causes... Du coup, faire campagne sur des idées n'est plus aussi évident. Comment susciter l'intérêt des passants sans les faire fuir ? Comment sortir des « ronrons militants » et des « discours moralistes » ?

Adrien en a bien conscience : « Dans les milieux alternatifs, on a tendance à ne pas faire attention aux autres codes ». Véronique se demande « comment déboulonner la rigidité de certains ».  Mathilde propose une solution : utiliser « des méthodes qui parlent à tout le monde. L'Éducation nationale fait de la sélection, l'éducation populaire ne véhicule pas de message, elle accompagne les gens pour qu'ils prennent plus de poids ».

« Marre de ne convaincre que des convaincus »

Un autre exercice conduit à bien distinguer un porteur de paroles d'un porte-parole... « Porteur de paroles est un outil inventé par des porteurs politiques qui en avaient marre de ne convaincre que des convaincus. Le but, c'est de rencontrer les gens, des inconnus, de discuter avec eux, de se réapproprier la rue comme espace de rencontre. Aujourd'hui, c'est un espace commercial », souligne Mathilde en expliquant l'exercice suivant : aller dans la rue par deux en portant une question écrite sur une grande feuille de papier coloré.

Militant politique chevronné, membre de la direction du PG et ancien élu local, Gabriel Amard s'interroge comme le stagiaire de base qu'il est le temps de la journée : « faut-il une question ouverte ? Amener les gens sur notre terrain ? » Alexis prolonge la question : « et si on nous le demande, faut-il dire qu'on est la France insoumise ? » Mathilde Tagand a l'expérience du sujet : « les questions ouvertes, non militantes, font appel au vécu. Oui, vous avez une arrière-pensée, mais le but, c'est de mettre les gens en mouvement... C'est à vous de voir si vous vous présentez comme citoyen-ne ou militant-e de la France insoumise, ou encore en stage de porteur de parole... Ayez surtout en tête que votre idée, c'est pas de convaincre de voter Mélenchon ! »

Gabriel Amard est bien d'accord : « Il ne faut pas rouler les gens. Quand ça vient dans la conversation, ils sont ravis, même s'ils pensent différemment, qu'on ait eu un temps d'écoute. C'est mieux d'assumer qui nous sommes, on est dans le temps long avec ce type d'outil... »

« Jusqu'où iront-ils ? Jusqu'où irons-nous ? »

Après quoi, les stagiaires choisissent les questions qu'ils vont aller porter... « Faut-il toujours respecter la loi ? », « Jusqu'où iront-ils ? Jusqu'où irons-nous ? », « La cuisine chez vous, qui s'en occupe ? »... Un dernier conseil de Mathilde avant de sortir : « faites des binômes hétérogènes : jeune-vieux, femme-homme... » Je fais binôme avec Carole qui tient une feuille rouge où est écrit au marqueur : « La dernière fois que vous vous êtes senti-e étranger-ère, c'était quand ? »

Visible de loin, la question attire les regards des passants : un coup d'œil à la feuille, un autre sur nous, souvent un sourire... « Ça vous parle ? », demande Carole. Pas de chance, les premières personnes croisées n'ont « pas le temps » ou « un rendez-vous ». Arrivent deux jeunes gens qui distribuent des tracts pour François Fillon. La conversation s'engage. Ils répondent à la question sans hésiter. Un mini-débat philosophique s'engage sur le mot : qu'entend-on par étranger ? « Je me sens étranger à Planoise la nuit », dit l'un, étudiant à Besançon...

Ils sont  ouverts, sympas. Nous sommes rejoints par trois autres jeunes fillonistes. La discussion s'anime. On parle de l'affaire des emplois présumés fictifs de leur candidat. Ils l'admettent : ça le fragilise... Ils parlent de la « valeur travail », on en questionne le sens, des arguments s'échangent... L'un explique qu'il est le seul de droite dans sa famille, mais aussi le seul à être allé jusqu'au bac. Se sent-il étranger dans sa famille ? On rigole tous et on se quitte. Jamais, ils n'ont demandé qui nous étions ni pourquoi nous brandissions notre question...

« Des gens ne se seraient pas arrêtés si on avait eu des tracts »

Lors du débriefing, Gabriel Amard ironise : « ils vous ont bloqués ! C'est le b a ba de neutraliser les adversaires ». Hum, des adversaires ? Pas sûr que l'échange ait été vécu comme ça. Et puis l'inverse est également vrai : pendant vingt minutes, nos interlocuteurs n'ont pas distribué un tract... Joël apprécie l'exercice : « les questions non politiques, ça ouvre... Des gens ne se seraient pas arrêtés si on avait eu des tracts ». Adrien est impressionné d'avoir porté une question qu'il ne pensait pas si sensible : La dernière fois que vous vous êtes senti-e trahi-e, c'était quand ? « Le terme trahison est vécu de manière très forte ! » Et dans des sens très variés, parfois intimes...

Lors du repas tiré du sac et partagé, Véronique, ex EELV, qui s'efforce de manger bio et local, taquine Alexis qui a amené des tomates cerises : pas de saison, sans goût, cultivées avec pesticides, importées de loin... Les insoumis ont parfois encore des efforts à faire pour être écolo.

L'après-midi commence par trois nouveaux jeux. Pour le premier, chacun doit désigner mentalement parmi les autres une bombe et un bouclier avec lequel il faudra se protéger quand, alors qu'on déambule tous, la première explosera à la fin du compte-à-rebours égrainé par Mathilde. Une mêlée tendue s'en suit. Dans le second jeu, on n'est plus la victime, mais le bouclier : on expérimente que protéger quelqu'un est émotionnellement plus valorisant que tenter d'échapper à une traque... Le troisième jeu consiste à identifier parmi les autre le bonheur et la paix et à chercher à s'en tenir à égale distance : des mouvements plus fluides s'en suivent, plus sereins...

Mathilde expose ensuite l'exercice phare de la journée. Après le choix de la question (« Qu'est-ce que vous demanderiez au Père Noël pour une société meilleure ? »), il s'agira de trouver un lieu où mettre la banderole qui permettra aux passants de tomber dessus. « Où on se met ?, c'est l'enjeu d'en discuter », dit Mathilde. « Il faudra être visible, que les gens se retrouvent devant... » Postés à proximité, les stagiaires viseront à entrer en conversation avec eux. Julie craint d'être « mal à l'aise ». Mathlide a un canevas en quatre points : « c'est quoi le problème posé, sur quoi te bases-tu pour dire ce que tu dis, comment en sommes-nous arrivés là ?, que faire ? ». 

 « Transformer ses rêves en réalité, travailler avec la loi de l'attraction... »

Un peu longuet, le temps de l'installation témoigne du besoin de préparation, notamment technique. Les appréhensions sont vite dissipées. Les stagiaires ne sont pas trop d'une dizaine pour discuter avec les passants qui s'arrêtent volontiers. Certains se contentent de répondre à la question sans s'arrêter. « Que les gens aillent voter ! », « La paix pour tout le monde ! » Une dame tenant amoureusement le bras d'un homme prend un instant : « mon plus mauvais souvenir, c'est quand j'ai appris que le Père Noël n'existait pas. Il faut transformer ses rêves en réalité, travailler avec la loi de l'attraction... »

Un homme râle parce qu'il n'y a plus assez de commerce au marché : « il n'y aura bientôt plus que des banques ». Julie a retenu le conseil de Mathilde : « Comment en est-on arrivé là ? » L'homme répond : « tout le monde fait le mort, les gens ne sont pas en état de réfléchir ».
Julie : « ils en ont la capacité, il faut leur en laisser la possibilité, ils ne sont pas idiots... »
Il est pessimiste : « non, ils sont comme un troupeau devant une barrière... »
- « il faut renverser la barrière ».
- « on ne peut pas en étant tout seul... Bon courage ».
- « pourquoi ? »
- « pour ce que vous faites... »
- « c'est plutôt un plaisir... »
- « ça rentre dans le cadre de ce que je souhaiterais, qu'on discute comme ça, comme on faisait avant, quand on se disait bonjour... »
- « à cause de quoi ? »
- « le système est organisé dans un but individualiste et non de partage, les gens préfèrent la télé, internet... Tout est dans la consommation... »

Donner des ressources. : « il y a toujours quelque chose à faire »

A quelques pas, Ludovic parle avec deux adolescents dont l'un a la peau noire : « Tout à l'heure, quelqu'un à qui j'ai dit bonjour m'a mal parlé ». « On est tous différent », dit son copain. « Pourquoi tu dis ça ? Y'a pas de différence ! Peut-être entre les générations, mais avec celle qui vient ça peut s'améliorer... » Un peu plus loin, des lycéennes posent le problème de l'intolérance ethnique au lycée : « comment on fait, je ne sais pas répondre », dit Julie lors du débriefing. « Il faut utiliser les réseautages pour qu'elle ait les ressources. L'idée, c'est qu'il y a toujours quelque chose à faire », répondra Mathilde.

De temps en temps, une « pépite » est prononcée. Une phrase qui fait sens. Les stagiaires invitent alors celui ou celle qui l'a dite à l'écrire sur une feuille posée sur une petite table à l'écart. Elle sera accrochée à un fil tendu entre deux colonnes de la galerie du Carrefour de la communication, là aussi au vu des passants. L'objectif est de provoquer la réaction, la discussion. Plus tard, au-delà de la formation, quand les stagiaires seront redevenus militants, il iront « chercher la politique, les questions qui divisent les gens ». Mathlide théorise : il s'agit « que le conflit s'exprime sans devenir un affrontement ».

C'est sans doute pour ça que pour les vrais travaux pratiques, l'utilisation des techniques apprises en stage pendant la campagne électorale, Gabriel Amard entend « chercher des questions qui portent davantage sur l'expression de la colère, il faut faire remonter les colères rentrées, les conflits ».

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