Planoise, un début de débat

Si le grand débat n’a pas attiré au-delà d’un cercle de membres actifs d’associations locales, il a eu le mérite d’entamer un processus de recueil de la parole des habitants. Le Conseil citoyen de Planoise, sollicité par la préfecture pour l'organiser, réclame aussi une meilleure reconnaissance par la ville de sa qualité de partenaire pour l'élaboration du plan de renouvellement urbain. Reportage à la table de discussion sur le thème : vivre à Planoise.

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Une petite trentaine de personnes attendent l’ouverture de la maison de quartier Nelson Mandela. En ce matin du samedi 2 mars, le débat organisé par le Conseil citoyen de Planoise n’attire pas grand monde dans le quartier. « Vous verrez, il n’y aura personne, il y a un désintérêt pour le débat et la citoyenneté », prédit un Planoisien autour de la machine à café et des petits pains. Toutes les associations ont été prévenues, mais peu d’affiches sont visibles à l’extérieur.

Vers 10 h 30, chacun commence à s’installer autour de l’un des cinq espaces de discussion dans la salle. Quatre reprennent les thèmes officiels du Grand débat national : transition écologique, citoyenneté et démocratie, fiscalité et dépense publique, organisation des services publics. La cinquième propose un sujet plus local : vivre à Planoise. C’est à celle-ci que nous prenons place. Nous sommes six. Le débat s’organisera autour d’une vingtaine de questions préparées et dont les réponses seront consignées par écrit par Valérie, professeure d’espagnol et modératrice de la table. « Pour nous c’est important, il ne s’agit pas que de râler. Il faut essayer de trouver des solutions, être acteurs de l’histoire de Planoise ».

« Les gens ont l’air déprimé… »

Le trafic de drogue est le premier problème soulevé. Un homme de 70 ans, relecteur pour le journal de Planoise, La Passerelle, a constaté un changement depuis son installation dans les années 80. « C’était bien avant, maintenant c’est plus compliqué avec tout ce cirque autour de la drogue. C’est énervant ». Les autres embrayent : « Il y a une banalisation de la vente de drogue et de son utilisation », « Avant ils se cachaient », « Je les vois haranguer, interpeller les gens ». L’arrivée récente d’un poste de police place Cassin, « au milieu du trafic », n’a assurément pas enrayé le phénomène. « Si ça ne fait que le déplacer, ça n’a pas grand intérêt ».

Alors que faire ? « Faudrait-il plus de police ? Je ne suis a priori pas pour le flicage », s’interroge un père de famille, bénévole dans l’association de soutien scolaire Pari, par ailleurs co-organisatrice du débat avec la Ligue de l’enseignement. « Améliorer le cadre de vie ? », « Il s’est déjà amélioré avec l’arrivée du tram, on a détruit des tours, c’est plus agréable. Mais les gens ont l’air déprimé, pas contents. Pour moi, c’est plus un problème social ». Et il enchaîne sur un autre sujet qui fait réagir la table.

- « Il y a une forme de communautarisation préoccupante, à l’image de notre réunion aujourd’hui. On est un peu près 25 personnes sur 25 000 à Planoise. Et quand on regarde, on est pas très représentatifs des Planoisiens… »

- « C’est moins facile de venir à un événement intellectuel qu’à une fête. Je pense que l’on est dans une routine, et qu’il est difficile d’en sortir. Quand c’est festif, on n’a pas à se forcer, on vient, on s’amuse, et on s’en va. Et en tant qu’antillaise, je sais de quoi je parle », indique Annick.

- « Je pense que certaines personnes ne pensent même pas faire partie de la société, ils la subissent, ne veulent pas y participer. Il y a aussi des difficultés à venir s’exprimer du fait de la langue. C’est certainement le problème majeur de Planoise : ne pas parler la langue du pays. »

- « J’ai une famille, des enfants. Depuis que je suis à Planoise, je m’y intéresse. Comme aujourd’hui, je vais me lever, j’y vais, et pas que pour la fête de Planoise. Mais qu’est-ce qui ferait que les gens pareil que moi se bougent plus ? »

- « Vous parlez très bien le français et c’est primordial ! »

- « Mais de toute façon, même si on avait eu une annonce avec des haut-parleurs comme la voiture de cirque, je pense qu’on aurait eu le même nombre de personnes. Si les gens n’ont pas vraiment de but précis, ils ne vont pas s’intéresser, et de toute façon, ils se demandent bien à quoi ce débat pourrait leur servir… »

- « Les gens se méfient, ils ont l’impression de se faire manipuler. Ils se disent que tout est ficelé, on a eu plein de retours comme ça », glisse la modératrice.

Heureux en aidant les autres...

 À la question sur l’implication bénévole dans le quartier, le membre de l’association Pari déplore encore un manque de mixité. Et quand Annick lui rétorque que, comme pour le trafic de drogue, cela est sûrement lié à des difficultés financières, et que de nombreux Planoisiens n’ont pas forcément la tête à ça, il rétorque que ce n’est qu’une question de temps, et que certains ne se rendent pas compte que l’on peut être heureux en aidant les autres. Annick insiste sur la nécessité de résoudre avant tout les problèmes financiers dans un quartier où le taux de pauvreté dépasse les 50 %.

Puis vient la question sur les incivilités, qui peuvent aller du papier jeté par terre, à la vaisselle par la fenêtre, des poubelles brûlées, du bruit, de l’absence de tri, des soulagements effectués dans les étages des tours, des véhicules stationnés n’importe où, des impolitesses, etc. Certains évoquent un document édité dans plusieurs langues par un organisme HLM qui donne quelques règles de savoir-vivre. Personne ne l’a vu (NDLR, article sur ce livret), mais tout le monde s’accorde en tout cas sur la nécessité que chacun, ancien ou nouveau venu à Planoise, partage et respecte un minimum de principes civiques.

« Des fois, la presse nous assassine »

Malgré ces soucis évoqués, les participants qui se sont succédé sur cette table le matin et l’après-midi restent attachés au quartier, et décrivent un environnement plutôt agréable et tranquille. Il y a des espaces verts, le tram, et Planoise ne manque guère de services. À part dans certaines zones sans commerce de proximité, on trouve à peu près tout ce dont on a besoin à Planoise, « un grand village où les gens se connaissent ». Même s’ils le voulaient, ce ne serait de toute façon pas simple pour les copropriétaires de déménager. « Notre appartement a perdu un tiers de sa valeur en une dizaine d’années ». Le quartier souffre de sa mauvaise réputation, et les habitants en ont marre d’être stigmatisés. « Des fois, la presse nous assassine, ils font des grands articles et des unes sur des trucs négatifs qui se passent à Planoise, mais sur d’autres quartiers, rien. » Une réunion il y a deux ans entre la presse, des élus et le conseil consultatif des habitants a, semble-t-il, un peu calmé les choses.

Et quand il est question de savoir à qui faire confiance pour représenter le quartier : « les gens connectés sont ici. L’entraide sociale et la culture, c’est ça qui fera avancer, pas un quelconque parti politique. » D’après eux, les élus ne sont pas assez présents et peu préoccupés par le sort des Planoisiens. « On a un élu dans mon immeuble et il ne fait rien. Il n’est même pas venu à la réunion de rénovation de notre bâtiment. J’ai l’impression qu’il n’est pas concerné, qu’il ne voit pas certaines choses. Peut-être qu’il est trop occupé... Mais je trouve que c’est dommage. S’il habite là, mais qu’il ne nous écoute pas, on ne voit pas comment la ville pourrait faire quelque chose pour nous », indique une dame qui avait eu l’information par le biais de la paroisse.

L’organisation de ce débat par le Conseil citoyen de Planoise a été encouragée par le préfet. « On a décidé de le faire avec des tables rondes pour récolter la parole des habitants. Ce matin ça s’est plutôt bien passé, mais entre personnes qui connaissent le sujet, habituées par rapport à la citoyenneté, à l’engagement social, presque toutes des militants dans le quartier », analyse Monique Choux, animatrice du Conseil (Voir ci-contre). « Je ne suis pas déçue, mais on n’a pas eu les habitants que l’on aurait aimé voir. On cherche le petit truc qui fera bouger les gens. Quand l’association Pari fait un spectacle, les salles sont bondées, que des femmes. La fête arrive à faire du lien et à mélanger toutes les populations. Dans l’avenir, on aimerait arriver à réunir des habitants de Planoise sur des débats qui concernent Planoise, et pas dans le cadre du grand débat national ».

Vendre l’espace public

L’une des contributions de Monique Choux à ce débat serait assurément de demander une meilleure écoute de la ville dans le cadre de l’élaboration du plan d’aménagement urbain de Planoise (NPNRU). La loi garantit en effet aux Conseils citoyens d’être pleinement associés à la gouvernance des contrats de ville, ce qui ne semble pas être le cas à Besançon sur ce sujet. L’animatrice met aussi en garde contre la « résidentialisation », qui vise à « vendre l’espace public ». « Chaque bâtiment ne dispose que d’un mètre autour, même les copropriétés. On essaie d’expliquer que le rachat de l’espace autour des bâtiments signifie s’enfermer chez soi, que tout sera privé, comme certaines voies de passage praticables à pied. Et où va-t-on mettre les jardins, les jeux d’enfants ? Les bailleurs ont déjà vu avec la ville pour récupérer du terrain. Comment la ville peut-elle vendre du terrain public sans que les citoyens soient tenus au courant ? », prévient-elle.

Avec peut-être quarante personnes impliquées, le débat du jour est loin d’avoir pu reconstituer un panel représentatif de la diversité, de la richesse et de la jeunesse de Planoise. Nous n’avons pas entendu certains points de vue, certaines paroles pourtant indispensables à l’établissement d’un diagnostic précis de la situation du quartier et des attentes des habitants. Le cadre gouvernemental d’un débat national qui suscite la méfiance n’était peut-être pas le plus approprié pour favoriser des discussions ouvertes à tous sur une thématique locale. Malgré tout, ce débat a sûrement réussi à conforter l’idée qu’une telle discussion doit avoir lieu, sous une forme qui n’est encore pas trouvée. Et peut-être que le débat fera un peu parler, qu’il parviendra tout de même, après-coup, à susciter de l’intérêt. Ce qui a motivé Annick au départ, c’était le grand débat qu’elle a regardé à la TV. « On sent que l’on a des choses à dire, à se dire. On a envie que les choses changent pour nos enfants. Il ne faut pas voir que le négatif et travailler sur les côtés positifs ». Elle est en train de monter une association pour que des jeunes puissent construire pendant plusieurs mois un char qui défilera pour le carnaval.

 

 

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