Planoise, entre peur et sentiment d’abandon

Le Conseil citoyen de Planoise organisait un rassemblement de soutien aux commerçants et aux habitants touchés par la violence. Au micro, les habitants ont pu exprimer leur sentiment d’abandon des pouvoirs publics et de dégout des accès de violence liés au trafic de stupéfiants qui pourrit la vie des habitants ici. Ils n’aspirent qu’à une chose, vivre normalement. Dans un autre article, nous reviendrons sur la réunion publique qui a suivi, où le maire et le préfet ont été mis en difficulté.

20200115_142428

Après les fusillades et l’incendie de la fourrière municipale qui a entrainé la fermeture de l’Intermarché, de nombreux habitants de Planoise ont peur. Ils se sentent abandonnés et sont en plus privés d’un espace utile aussi bien pour faire ses courses que pour rencontrer des gens. En soutien aux commerçants, aux salariés du magasin et à l’ensemble des personnes touchées par ces accès de violence, un rassemblement était organisé le 15 janvier par le Conseil citoyen de Planoise, qui regroupe habitants et associations du quartier.

Sur son perchoir, un plot de béton soutenant les luminaires et les caméras de surveillance de la place Cassin, Monique Choux, l’animatrice du Conseil, entend dénoncer « la violence des actes perpétrés ces dernières semaines qui donnent une image déplorable du quartier et dont les conséquences dégradent notre vie au quotidien ». Elle rappelle que ce rassemblement est « pacifique et apolitique », devant le demi-cercle d’environ 200 personnes qui s’est formé pour l’écouter. De nombreux élus sont présents, dont Jean-Louis Fousseret, le maire de la ville.

« Il faut que l’espace public redevienne un espace de tranquillité, où ne règne ni la délinquance ni la violence. Pour cela nous avons tous besoin des uns et des autres et nos élus doivent prendre la vraie mesure de nos difficultés et la réelle souffrance des habitants ». Monique Choux appelle à une meilleure prise en compte de l’avis des Planoisiens dans l’élaboration du plan de rénovation urbaine en cours et au concours de tous pour contribuer au « mieux vivre ensemble ».

« Les habitants sont les experts d’usage de ce quartier, les hommes de l’art ne doivent pas imaginer seuls ce nouveau Planoise, mais le construire avec nous ! C’est en répondant à tous les besoins sociaux, éducatifs, culturels, que nous sortirons de cette spirale de violence qui frappe pratiquement tous les quartiers dits prioritaires. Nous avons besoin de vos idées, de votre engagement en qualité de citoyen ou de membre actif dans les nombreuses associations pour que tous ensemble nous soyons fiers de notre quartier », plaide-t-elle en demandant aussi l’instauration d’une navette gratuite hebdomadaire à destination de centres commerciaux équivalents à l’Intermarché.

« Nous ne partirons pas »

Elle passe la parole à Adrien Vitte, qui a repris l’Intermarché il y a 15 ans. Il est apprécié et c’est un acteur important du quartier. « Je vous rassure, nous n’avons pas l’intention de partir », provoquant le soulagement de l’assemblée. Le temps des travaux, qui ne devraient pas prendre moins de 18 mois, un magasin provisoire sera certainement installé sur le parking en face. « On veut envoyer un message clair, on pousse pour chercher des solutions de court terme pour le commerce de proximité, qui a une vocation sociale. Il n’y a plus de café à l’Inter, mais on peut se rencontrer au chaud dans la galerie marchande et discuter ».

La sono est un peu faible et épuisera même les piles, mais les interventions se succèdent. Beaucoup veulent parler. Ils sont écœurés de cette violence, veulent lever les rideaux gris des commerces qui ont déjà quitté les lieux, en ont marre que les dealeurs tiennent l’espace public, que la presse fasse ses gros titres sur les violences ce qui concours à la stigmatisation du quartier et de ses habitants, que les enfants ne puissent pas sortir tranquillement, de se dire qu’il existe un risque de se prendre une balle dehors, qu’il y’ait plein de policiers en ville et presque pas ici, qu’il n’y ait que trois policiers au commissariat de Planoise. La liste des griefs est longue.

Après toutes les prises de parole, de petits groupes de discussions se forment. « Tous les élus sont là et il n’y en pas un pour venir s’exprimer. Dire, voilà ce qu’on a fait et qui n’a pas marché. Ils sont là et dorment, ils causent entre eux. C’est eux les responsables et ils ont même le toupet de se montrer, j’aurais honte », critique un habitant, pas tendre non plus avec le Conseil citoyen. « C’est une coquille vide, qui participe de la pseudo démocratie participative. Quel est son crédit quand on dit aux élus de mettre des choses en place alors qu’ils sont là depuis 2014 ? ». Lui a quelques idées : « Il faut de la présence, de la police de proximité et soutenir les associations de façon équitable. Une compagnie de théâtre a coulé faute de moyens. Il faut aussi soutenir le commerce, c’est fondamental pour tenir un quartier, cela crée du lien et une régulation sociale spontanée. Là, on laisse l’espace public aux pires. »

« La sécurité passe par un vrai projet socio-culturel »

Pour une autre qui travaille au sein d’une association musicale, c’est la même impatience que l’on entend. « Cela fait longtemps que c’est la merde. C’est bien de parler mais il faut agir. On parle beaucoup de sécurité, mais la sécurité passe par un vrai projet socio-culturel. Il y a beaucoup d’associations ici et il faut permettre de donner autre chose à faire aux jeunes que de dealer. Il n’y a pas de soutien à la mesure des difficultés que l’on rencontre. On se rend compte qu’on a des projets, des fonds développés dans le cadre du contrat de ville, mais je ne pense pas que l’on soit à la mesure des problématiques que l’on voit ici. Quand tu discutes avec des jeunes, ils te disent qu’ils ne veulent pas galérer à l’école pour galérer ensuite au SMIC alors qu’ils peuvent s’en sortir autrement. Il faut donner de vraies raisons de faire autre chose et je ne trouve pas qu’on leur propose des trucs super ».

Deux autres personnes discutent des problèmes et de ce qu’ils vivent ici. « Nous sommes tous contre ces évènements, on est des parents. J’ai vu des gens âgés tourner en rond, ça fait mal au cœur. On faisait nos courses mais ça faisait un peu café aussi », assure cet homme qui vient de quitter quelques minutes son travail juste à côté pour voir ce qu’il se passait. Il n’aime pas que l’on parle du quartier de Planoise, « on peut dire le quartier de Cassin, mais Planoise c’est 20 000 habitants, c’est plus qu’un village, c’est une ville ou une grande cité, où il faudrait peut-être un gros poste de police. »

« C’est la faute de l’État et des parents »

Ce père d’origine maghrébine côtoie des situations familiales compliquées autour de lui, et il décrit une réalité sociale discriminante. « Certains parents lâchent les cordes. Seuls, ils ne peuvent pas tenir des enfants de 19 ans. Il y en a plein qui ont un diplôme mais qui ne travaillent pas, qui ne trouvent pas. C’est la faute de l’État et des parents, qui doivent plus surveiller. Le quartier est abandonné et on récolte ce qu’on a planté. Mon fils est parti chercher du travail partout avec un BTS, il ne trouvait pas, personne ne le voulait. Ils appelaient ses camarades, mais pas lui. Il a trouvé juste en face, à côté de la boucherie où je travaille. C’est moi qui l’ai aidé. Il s’est énervé mais si je le laissais tourner en rond, il trainerait avec les autres. »

Il explique ensuite sa méthode pour conserver son autorité, même s’il doute que cela suffise. « Il faut montrer les règles dès tout petit et punir en leur prenant une chose qu’ils aiment. Ils ont changé, ils veulent des téléphones et ne peuvent pas porter le t-shirt de l’année passée. J’ai acheté un portable pour ma fille uniquement au lycée et j’ai conditionné aux bonnes notes. Je lui ai pris quand ses notes ont baissé et ça a marché. Mais le problème ne va pas se résoudre comme ça, quand tu dis que tu habites Planoise, les gens te regardent comme je sais pas quoi. Il faut qu’ils arrêtent de nous regarder comme des criminels », conclut-il avant de retourner au travail et de condamner une nouvelle fois cette violence et souhaiter que le calme revienne, « sinon, on cumule ».

Monique Choux est « un peu déçue du manque d’une certaine population. » Le rassemblement n’était pas vraiment à l’image du quartier, plutôt jeune avec une forte proportion de personnes d’origines étrangères. Il n’y avait presque pas de mères voilées, mais l’une s’est fait contrôler par la police pendant le rassemblement. Cette situation a étonné tout le monde et en a scandalisé beaucoup. Ceux qui voyait la scène de loin ne pouvaient que s’imaginer que la police nationale était en mission dialogue, mais non. Il fallait qu’elle montre sa pièce d’identité pour une raison qui n’a pas été clairement expliquée.

« Le taux d’absentéisme au collège est très élevé, ils sont payés 50 € pour aller guetter »

L’animatrice du Conseil citoyen de Planoise porte clairement la responsabilité de la situation aux politiques. « À une époque, les élus n’ont pas fait leur boulot pour qu’on en arrive là. Il n’y a aucune mixité et ils ne nous écoutent pas. On n’a pas de Vélocité par ce qu’ils disent qu’ils vont être piqués, il n’y a pas de policiers municipaux ici mais plein en ville. Ce n’est pas normal. Si les habitants ne se bougent pas, ils vont nous mettre des voies de véhicules qui passent dans des endroits peinards », ajoute-t-elle.

Elle ne voit pas non plus l’intérêt des CRS dans le quartier pour lutter contre le trafic de stupéfiants. « C’est 10 camions de CRS pour quoi ? Ils vont repartir dans quelques jours. Ils font plus peur qu’autres choses. Certains disent que tant qu’il n’y a pas de soucis avec les dealeurs ça va. Oui, mais non. Certains devraient aller à l’école. Le taux d’absentéisme au collège est très élevé ici. Ils sont payés 50 € pour aller guetter. »

Les élus, en force mais qui n’ont pas pu s’exprimer par choix des organisateurs, pourront le faire dans quelques heures. Jean-Louis Fousseret, vite parti après les prises de parole du rassemblement, et Joël Mathurin, préfet du Doubs convoquent une réunion publique. Il y aura des représentants de l’ARS pour évoquer l’aspect sanitaire de l’incendie de la fourrière et de la police pour le volet sécuritaire. Le maire et le préfet ont été bien bousculés et mis en difficulté sur ces deux sujets, tout en tentant de convaincre avec les dispositifs mis en œuvre : cité éducative et le classement de Planoise comme l’un des 15 premiers quartiers en France en « reconquête républicaine ». Le compte-rendu de cette réunion publique, souvent houleuse et très poignante, sera l’objet d’un prochain article.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !