Nuit debout : les interrogations du mouvement bisontin

Les animateurs de la mobilisation étudiante ont fait le point avant la nouvelle journée nationale contre la loi El Khomri du 28 avril. L'articulation avec le syndicalisme salarié n'a rien d'évident, même si la volonté d'écoute mutuelle est présente.

 

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Ils sont une vingtaine ce mardi à midi à se présenter au rendez-vous glacial du kiosque Granvelle. Au fur et à mesure du temps qui passe, une bonne quarantaine de personnes seront passées : étudiants pour la plupart, accompagnés de quelques syndicalistes, de comédiens et techniciens du spectacle relevant du régime des intermittents à nouveau en discussion à l'Unedic...

Ils font un bilan mitigé de la dernière Nuit debout, samedi à Besançon par une météo déchaînée qui a failli les faire renoncer. Ils s'accordent à considérer très positivement le fait d'avoir tenu bon, maintenant a minima le programme de l'après-midi, accueillant 200 personnes au débat sur la « convergence des luttes », un peu moins pour voir le film Merci Patron « par 3 ou 4 degrés... » Ils conviennent qu'un peu d'organisation préalable permettrait, une prochaine fois, de ne pas voir les mêmes s'occuper du montage, de l'animation et du démontage...

Bref, pour éviter « l'épuisement » sans pour autant brider la « spontanéité », il n'est inutile de s'interroger sur la propension de certains à « consommer du loisir révolutionnaire ».

Ils veulent aussi faire mieux connaître un mouvement qui « n'est pas qu'un mouvement de jeunesse », dont les participants, quoi qu'en dise Nicolas Sarkozy, ont un « cerveau ». Ils s'interrogent sur l'articulation de leur mobilisation avec les quartiers : « Je propose d'organiser quelque chose hors du centre-ville, à Planoise », dit un intérimaire se présentant comme un « prolo de base ».

« Aller dans les quartiers sans paternalisme ni arrogance »

Il poursuit : « nous sommes coupés des gens qu'on aimerait voir rejoindre le mouvement et il faut répondre à la critique selon laquelle Nuit debout est porté par des petits bourges. Il faut aller sans paternalisme ni arrogance ». Sous le kiosque, chacun opine à l'idée d'« élargir le public ». Une jeune fille suggère une Nuit debout à Marulaz « plus populaire », un étudiant propose de « rencontrer les directeurs du centre Mandela (Planoise) et de la MJC de Palente pour organiser un débat sur la loi travail ».

Le groupe adopte la proposition de prolonger la manifestation bisontine du 28 avril par une assemblée populaire de débats et de rencontres place Granvelle jusqu'au soir. On renonce à y organiser un resto-trottoir : trop lourd à mettre en place si vite, trop consommateur d'énergie militante. Et puis, comme dit Clémence, « Nuit debout n'est pas un festival... »

Nuit debout à Lons-le-Saunier...

Né de la lutte contre la loi travail essentiellement conduite par des syndicats, le mouvement Nuit debout vient surtout d'une idée lancée par le journaliste-cinéaste François Ruffin qui constate qu'il réunit essentiellement des membres de la « petite bourgeoisie intellectuelle ». « Ça me fait un peu penser aux coordinations des infirmières », dit Maxime Guillemin, ancien secrétaire départemental de la CGT du Doubs. « Beaucoup invoquent un nouveau mouvement et rejettent un ancien mouvement qui est encore là... Certes, le syndicalisme n'a pas toujours été performant, mais sans les mobilisations syndicales, Nuit debout ne serait peut-être pas né... »

« Peut-être que ça va partir à un moment où on ne s'y attend pas... »

Secrétaire de la CFDT Santé-Sociaux du Doubs, Christelle Tisserand voit dans Nuit debout un « reflet du mal-être de notre société, l'inquiétude des générations arrivant sur le marché du travail : j'espère que ce sera entendu, ce sont les salariés de demain, il faut être attentif à ce qu'ils peuvent dire, mais je souhaite qu'ils restent indépendants ». Après le défilé de ce jeudi, elle participera aux débats de la place Granvelle. Déjà invitée par le comité de mobilisation étudiant, elle ne sera sans doute pas dépaysée.

Cyril Keller, le secrétaire de l'UD CGT du Doubs, n'a pas encore assisté à une assemblée de Nuit debout, seulement partagé le sort d'un de ses animateurs en étant placé en garde-à-vue pour lui avoir manifesté sa solidarité. « D'après les retours que j'en ai, ça reste quand même un peu utopique. C'est ce qu'on essaye d'expliquer à ceux qui parlent de grève générale : ça se décide par des AG de salariés... On peut se faire plaisir en l'invoquant, ça se construit... Et peut-être que ça va partir à un moment où on ne s'y attend pas... »

Le monde du travail verrait-il Nuit debout comme une sympathique agitation étudiante ? « Un peu, mais c'est différent de mai 68 », dit Cyril Keller, « il y a ce côté anti-syndical, anti-politique, qui fait que les copains de la CGT ne le prennent pas à bras-le-corps. Et il y a la récupération de certains... » Pense-t-il à l'extrême gauche ? « Oui ». Manquent-ils d'expérience ? Peut-être : « Sont-ils là parce qu'ils n'ont pas de pognon ou pas de travail ? Comment réagiront-ils quand ils seront dans le monde professionnel ? Auront-ils tout oublié s'ils réussissent, seront-ils blasés ? Ils sont pour le salaire à vie, OK, mais comment y arriver ? En taxant le capital ! Oui, mais comment ? »

« C'est dur de suivre une grève, même si c'est ponctuel »

Une chose est sûre, c'est que le mouvement Nuit debout, même s'il est éphémère, est porteur d'un renouveau du débat à gauche. On sent bien les difficultés des organisations traditionnelles que sont les syndicats, affaiblis mais toujours implantés ici et là, voire influents par leurs idées, à prendre en compte de nouvelles formes d'expression. Ils n'en restent pas moins à l'écoute, ce dont témoignent certaines orientations : « il faut qu'on retourne à l'essentiel, qu'on arrête de discuter avec les patrons et qu'on retourne au débat avec les salariés », dit Cyril Keller, remonté après le congrès national de la CGT à Marseille.      

Pour l'heure, les dirigeants locaux que nous avons contactés ne « savent pas » dire ce que sera la journée d'action de jeudi 28 avril. « Je n'ai pas le sentiment qu'on va se louper, mais je sens une lassitude », dit Maxime Guillemin. « Et si demain le gouvernement retire sa loi, est-ce que ça modifiera fondamentalement les conditions de travail ? Non ! Ceux qui se sont mobilisés les premiers contre la loi El Khomri n'étaient pas là sur la loi Macron ou la loi Rebsamen... »

Christelle Tisserand est aussi perplexe : « Les vacances ont un peu endormi les revendications, mais les gens sont dans la crainte. Des personnes de mon entourage, non syndiquées, ont peur de la loi travail... Et puis, il y a la question financière : c'est dur de suivre une grève, même si c'est ponctuel. On espère qu'une manif sur le temps de midi, en ne posant qu'une heure de grève, les gens viendront... »

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