Nous y voilà

La gauche de gauche peut-elle accélérer sa reconstruction avant le 23 avril, comme des dizaines d'appels le lui suggèrent ? La peur de Le Pen pousse certains vers Macron, mais sera-t-il crédible dans sa tentative de faire la synthèse avec Fillon, Hamon et Mélenchon ?

Ils seront onze, mais la chaîne emblématique de l'info spectacle a décidé qu'ils n'étaient que cinq. Ce serait plus pratique, moins compliqué... Si l'on considère la politique d'un point de vue de consommateur pressé de faire ses courses, voire des annonceurs – le fameux temps de cerveau disponible –, il y a un peu de ça. Si l'on envisage la dimension citoyenne, c'est autre chose, mais TF1 n'étant plus dans le service public depuis sa privatisation il y a trente ans par la droite, toute exigence de ce type à son égard n'est que vœu pieux...

On aurait quand même bien aimé entendre, lundi 20 mars en soirée sur TF1, Lassalle parler montagne et ruralité, Arthaud et Poutou travail, salaire et capital, Dupont-Aignan défendre une autre droite, Asselineau proposer la suspension des partis (comme en régime totalitaire ! ), le climatoscepticisme de Cheminade... On aurait aimé savoir s'ils auraient mis les pieds dans le plat des affaires, vérifier une petite intuition selon laquelle Lassalle et Dupont-Aignan accueilleraient les électeurs de droite sourcilleux avec l'éthique.

L'ennui, c'est que la citoyenneté, ça prend un peu de temps. Or, il faut envisager cette séquence de la vie politique du pays dans une certaine durée. En y incluant les élections législatives, comme nous le disons ici depuis quelque temps.

L'éparpillement politique
correspond à
un éclatement sociologique

D'abord, la présidentielle ne sanctionnera en aucun cas un choix majoritaire, quel que soit l'élu. Car il y a bel et bien davantage que les deux camps de jadis, la droite et la gauche, et la fameuse discipline républicaine qui organisait largement les reports de voix aux seconds tours entre des nuances diverses mais compatibles, voire complémentaires. Cette fois, il y a d'assez grandes chances qu'aucune majorité législative ne sorte des scrutins de juin.

Cet éparpillement politique correspond à un éclatement sociologique, fruit du laisser-faire mené méthodiquement et dans la durée, qui a notamment vu croître les fortunes grandes et petites, mais aussi la précarité, d'abord des déclassés de l'industrie, puis de la jeunesse, puis de la jeunesse éduquée, puis des autoentrepreneurs, des retraités auxquels manquent des trimestres, des paysans devenus fournisseurs de « minerais », etc.

Fillon prétend qu'il est seul à pouvoir conjurer cette perspective et avoir une majorité sans laquelle il ne pourrait appliquer son programme. Mais si tel était le cas, cette majorité politique ne refléterait pas une majorité sociale en raison du scrutin majoritaire à deux tours et de la divergence des votes opposés au laisser-faire. En outre, elle aurait la rue contre elle. Ce serait aussi oublier que le FN pourrait constituer un groupe parlementaire important, que les affaires lui pourriraient son mandat, qu'une gauche de gauche divisée mais nombreuse à la présidentielle, pourrait se refaire aux législatives : autant de raisons qui pourraient l'empêcher d'avoir cette majorité à l'Assemblée nationale.

L'absence de majorité
provoquerait
un regain du parlementarisme,
de la délibération,
des débats

La bonne nouvelle de l'absence de majorité provoquerait un regain du parlementarisme, de la délibération, des débats. Le risque serait l'odeur de la soupe pour les girouettes.

Macron vise lui aussi ces majorités à géométrie variable nécessitant des abstentions bienveillantes par là, des concessions opportunes par ci. Les bons points distribués l'autre soir, selon le sujet, à Fillon, Hamon ou Mélenchon témoignent de son habileté, de son sens de la synthèse comme un certain François Hollande, mais aussi d'un manque d'ossature. En ce sens, la critique de la droite à son encontre est du genre : vous avez détesté Hollande, vous allez haïr Macron. Un peu court, mais ça peut être efficace. Et l'on ne sait pas encore qui aura l'investiture d'En Marche pour ces législatives dont la campagne a, ici et là, commencé sans ses candidats.

Le Pen pourrait être élue si elle réussit à additionner l'exaspération vis à vis de l'ordolibéralisme et son fonds de commerce xénophobe, face à un candidat qui symboliserait la caricature des dérives de l'Union européenne et de la finance réunies. On voit bien quelles sont les fragilités politiques de Macron et Fillon dans cette perspective. Il serait bien imprudent de se fier aux sondages leur prédisant un boulevard. Et s'ils l'emportaient, leur inclination à poursuivre la politique suivie depuis des décennies ne ferait sans doute que renforcer l'extrême-droite sur la durée.

Mille petits cailloux
sont prêts à
enrayer
une éventuelle dynamique unitaire

Tout cela devrait conduire la gauche de gauche à poursuivre sa reconstruction sur des bases anti-libérales. Peut-elle, pour éviter le naufrage électoral, accélérer cette mutation avant le premier tour de la présidentielle, comme des dizaines d'appels le lui suggèrent ? Autrement dit, peut-elle aller plus vite que la musique ? Ses responsables prendront-ils en compte la peur panique d'un éventuel choix entre Le Pen et Fillon qui pousse certains de leurs électeurs dans les bras de Macron ? Un des effets les plus curieux de cette peur réside dans l'irrationalité consistant à avoir défilé contre la loi travail et se préparer à voter pour son inspirateur qui veut aller plus loin encore.

Cette gauche de gauche peut aussi assumer cette mutation en regardant par dessus le second tour de la présidentielle dont ses deux candidats seraient éliminés, et préparer les législatives. Dans la débandade ? C'est ce qu'ont anticipé les soutiens de Macron qui ont voté Hamon à la primaire afin d'empêcher Valls de gêner leur champion. C'est un risque pris par ces électeurs plus à gauche qui ont porté Hamon à l'occasion de la primaire en se disant que Mélenchon devrait alors s'effacer. C'était mal connaître l'homme, mésestimer les dynamiques, ne pas imaginer que leur pacte de non agression est la première pierre d'une alliance législative qui reste à bâtir.

Reste qu'il n'y aura pas de 6e république sans victoire de Mélenchon ou Hamon le 7 mai, seulement la version parlementaire de la 5e en cas d'improbable succès le 18 juin. Et qui sait si le plus mal barré des deux ne jettera pas l'éponge dans les jours ou les deux ou trois semaines qui viennent...

Patience, la vraie campagne ne fait que commencer. Mais force est enfin de constater que mille petits cailloux sont prêts à enrayer une éventuelle dynamique unitaire. A commencer par la concurrence des candidats aux législatives soutenant Mélenchon, comme dans la seconde circonscription du Doubs. Ça, c'est à coup sûr un excellent carburant de machine à perdre !

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