« Nous sommes venus voir si la moutarde pique plus que la lacrymo »

Plusieurs dizaines de Comtois ont répondu à un appel national engageant à converger sur Dijon pour l'Acte 30 des gilets jaunes, samedi 8 juin. Les autorités redoutaient une tournure critique… et semblent avoir tout tenté pour la permettre : interdiction du rassemblement dans le centre, coercition avant le départ du cortège, gazages de participants passifs, coups, insultes… Résultat : le cœur historique en partie ravagé, des protagonistes et des passants blessés et choqués, des pacifistes oscillant entre dégoût et radicalisation.

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Samedi 8 juin, 14h, place de la République à Dijon. C’est le point de rassemblement principal du trentième acte des Gilets jaunes. C’est là que se retrouvent de nombreux manifestants venus de Bourgogne, mais aussi de régions voisines, de toute la France et même de l’étranger pour quelques-uns. L’appel national désignant la cité des Ducs comme « capitale de la contestation » réalise ainsi son effet. Si l'on compte environ 1.000 participants au plus fort de la journée, soit à peu près équivalent aux précédentes ou à celles d’autres localités comme Besançon, le profil des protagonistes change complètement.

Les Comtois comptent parmi les premiers contingents, plusieurs dizaines ayant fait le voyage. « J’en avais marre des défilés plan-plan dans la Boucle », assène l’un d’eux. « Ici, on ne rentre pas gentiment à la maison au premier lancé de gaz. On occupe le terrain, on se défend, on rend coup pour coup ». Beaucoup abondent en ce sens, arguant de leur volonté « d’en finir avec ce monde. » On y trouve majoritairement des jeunes hommes, mais aussi des couples bien établis, des mères de famille précaires de la ruralité, des retraités modestes.

La résistance frontale aux uniformes ou la « dégradation » de grandes enseignes sont présentées comme des réactions défensives et offensives. Une intérimaire de la région de Metz précise : « pourtant tout peut se passer sans heurt. Ce sont les enjeux, les contextes et la conduite des autorités qui déterminent comment ça se passe. Prôner l’insurrection et y être préparé ne suffit pas. C’est le mépris comme seule réponse aux revendications, les mains et les visages massacrés gratuitement pendant des mois, ainsi que les directives et comportements sécuritaires délirants au moment donné qui font que ça pète ou pas ».

Deux points de convergence pour un même combat

Que pensent les « anciens », les initiés des ronds-points, de ce sursaut aux relents martiaux ? Dans le défilé, à République ou au cœur de ville, s’il y avait peu de chasubles visibles surtout en tête, c’est que le noir leur a vite été préféré. Les téméraires engagés depuis le 17 novembre, qu’ils soient apartisans ou militants plus ou moins radicaux, décrivent un soutien graduel à cette frange en raison de la répression violente et de l’impossibilité de changer les choses. Quelques-uns tempèrent, expliquant que « si personne ne pleure pour une vitrine de banque et que les policiers sont parfois contenus, il nous faut dépasser cette dimension ».

Un deuxième site de ralliement, secondaire et « légaliste » a été annoncé, notamment pour préserver les familles et les plus fragiles des questionnements et craintes de répression. La place Bareuzai, dans une des voies les plus passantes, accueillait ainsi une bonne centaine de « révoltés » se plaçant plus volontiers dans une démarche subversive « de fond mais sur d’autres formes, par nécessité ou résolution ». Activistes historiques du mouvement, syndicalistes, encartés politiques ou sympathisants, étudiants, s’y étaient retrouvés.

Certains expriment des regrets quant aux « débordements » vécus ou rapportés, mais sont rarement dans la condamnation. « Les petits commerces parfois accrochés, les salariés impactés par ricochet, et le focus sur ce volet, c’est dommage », résume une « blouse-blanche » . Une collègue met en regard « la casse des hôpitaux, le danger vital pour les patients, l’épuisement du personnel, et dernièrement de l’affaire de Lons-le-Saunier… Je n’ai plus le courage de lancer un parpaing, privilégiant tant que possible une pancarte pour exprimer ma colère, mais comment ne pas vouloir tout faire péter ? »

Une autre interrogation s’est également posée à propos de la présence de la presse locale, de ses rapports avec le terrain, et donc du traitement final. Les quatre reporters indépendants venus de Besançon représentaient autant que les chroniqueurs locaux, tous statuts confondus. Une couverture réelle se résumant à quelques free-lance et journalistes, loin de pouvoir donner un rendu complet et diversifié. Mais, contrairement à d’autres villes, aucune intimidation n’a été constatée à l’encontre des médias avant la tournure du milieu d’après-midi, chacun pouvant œuvrer à sa guise.

« À peine arrivés, nous étions pris en étau et assaillis »

Lors de la phase initiale de convergence sur République, la foule chétive est encore calme. La manifestation a été interdite dans un vaste périmètre par un arrêté publié 48h plus tôt par le préfet Bernard Schmeltz. Les précédentes interdictions avaient été bravées sans problèmes majeurs, quelques poubelles ayant été incendiées le samedi précédent. Rien ne présageait cependant d’une crise, d'autant que les services dédiés avaient très tôt exhorté à la « désolidarisation avec les casseurs » sur les réseaux sociaux.

Aurélien, la trentaine, agent de sécurité, est un habitué des dates bisontines. « On s’attendait à une marche opiniâtre, avec peut-être des heurts lorsque la police enclencherait la phase de dispersion. Mais, à peine arrivés, nous étions pris en étau et assaillis ». Son père, Alain, souvent avec son fils, est un ancien sapeur-pompier bénévole. Sans histoire à bientôt 60 ans, il est loin des étiquettes extrémistes parfois brandies. Alors que les accès au centre sont bloqués par les CRS, les participants nassés modèlent à l’heure prévue un cortège dans l’urgence pour une embardée furtive. Les deux témoins qualifient la suite « d’agression ».

La manœuvre n'est pas contenue par les forces de police. Les choses ont alors dérapé, ce que détaille le jeune homme. Connu pour sa sérénité, il est entraîné dans ce franchissement « stoïque mais courtois. » Il aurait été pris à partie par un uniforme lui criant « dégage rapidos sale gros » à quoi il aurait répliqué « merci de rester respectueux ». Riposte immédiate, il prend deux coups de matraque à l’avant-bras. Une bonne ecchymose plus tard, il n’exclut pas de déposer plainte. « On voudrait créer une bombe à retardement qu’on ne s’y prendrait pas mieux », déclarait-il peu après, ému et remonté.

L’aîné reprend le récit : « J’étais alors un peu plus en aval de mon fils quand ça chauffait. Mais un policier, avancé près du passage à l’embouchure de cette ruelle adjacente, temporisant le flux sans chercher à le stopper, exhibait une grenade à main en triturant ostensiblement la goupille. Je me suis permis de lui demander d’être vigilant dans son discernement, ma santé étant fragile et mes déplacements moins fluides. Il m’a répondu de me casser sinon il allait me la faire péter dans le cul ». Plusieurs histoires similaires, dénonçant des insultes, humiliations, menaces, brutalités, nous ont été rapportées.

Un coup de poker dévastateur ?

Cette tentative d'empêcher la massification puis le départ du cortège s’est révélée être un échec pour les autorités. La réaction de ces manifestants, attentifs et aguerris aux nasses, barrages filtrants et contraintes diverses a été immédiate. Sur les quelques 500 présents, une bonne centaine était déjà dans une perspective houleuse. « Mais après ça, ce chiffre à doublé voir triplé », estime un observateur. Aux plus rompus à la maîtrise vestimentaire et comportementale incluant cagoules, équipements de protection et banderoles renforcées, se sont peu à peu ajoutés les centaines d’autres protestataires à l’arrière. Place Darcy, une traversée fracassante des artères commerçantes va alors pleinement éclore.

Cette « bousculade » n’est-elle pas un prétexte pour essayer de disculper une offensive préparée ? Pour Monique, bourguignonne salariée du privé depuis plus de vingt ans et adepte d’un activisme « soft », il y avait bien sûr des manifestants « là pour en découdre ». Mais comme pour tout, une minorité même intrépide ne peut imposer perpétuellement sa volonté au reste du groupe. « Sans doute qu’il y aurait eu de la casse quoi qu’il soit arrivé, mais jamais dans des proportions telles et avec une approbation aussi massive si de l’huile n’avait pas été jetée auparavant sur le feu de manière si inconsciente ». Un avis très partagé, même par les plus « tièdes. »

Une question déjà abordée lors de l’acte XXII à Besançon le 13 avril dernier, où toutes les analyses vont en ce sens. En l’absence d’une base minimale critique comme parfois en Allemagne ou durant des événements particuliers semblables au sommet de l'OTAN de 2009, l’émergence et la vitalité d’un bloc, à fortiori sur un mode « cortège de tête » dans une commune moyenne de Province, repose beaucoup sur sa capacité à fédérer une solidarité avec les 1 à 2/3 du reste du cortège, présents et résolus mais en retrait de la première ligne de frictions. En exacerbant les antagonismes dés le départ, la synergie n’en devient logiquement que plus déterminante.

« On ne rentre pas dans un nouveau monde sans effraction »

Vers 14h30, ils sont plus de 300 à former un cortège de tête compact et organisé place Darcy. Drapeaux « action antifasciste », rouges, français et régionaux, croix de Lorraine, ou « made in Jura », fleurissent derrière des banderoles « Chalon, six mois avec Dijon », « G.J. 51 Deter », « dialogue rompu, tous dans la rue », et « nous sommes venus voir si la moutarde pique plus que la lacrymo ». D’autres supports dénoncent la hausse de 6 % du tarif d’électricité au 1er juin, le malaise du personnel hospitalier avec 83 services en grève, ou le coût annuel de la fraude fiscale estimé jusqu’à 100 milliards d’euros en France.

Entre deux fumigènes et pétards, les slogans reprenent les traditionnels « Dijon réveille-toi », « à bas l’État, les flics et les patrons », et autres « anticapitalistes ». Capuches noires, keffiehs et masques à gaz abondent. A 14h45 la déferlante redoutée depuis des mois par la préfecture se produit. Les vitrines de plusieurs enseignes sont ciblées rue de la Liberté, à coups de pied, de marteau, et de barre à mine, en particulier Eram, Swarovski, l’Occitane, Sephora, Histoire d’or, Borde joaillier, ou MacDonald. D’autres « symboles » n’y échappent pas, comme l’Hôtel de Ville, du mobilier publicitaire, des distributeurs de banque, des caméras de vidéosurveillance...

Est-ce pour autant la « mise à sac irascible » désignée par certains notables ? Les dégâts restent limités dans le temps et semblent circonscrits à quelques multinationales et leaders économiques. Moins d’une dizaine au total, sur les centaines d’étals que compte la zone. Certes de nombreux autres commerces ont par la suite baissé leurs rideaux, le trafic routier et les transports en commun ont été durablement affectés. Il apparaît cependant qu’il s’agit bien d’une « démonstration de force » aux objectifs réfléchis.

Un jeune homme, qui préfère taire son identité et son parcours, explique pourquoi il clame ouvertement l’approbation de tels actes : « Prenons l’exemple de MacDo, déjà visé le 1er juin par un passage et des affiches. Malbouffe, gaspillage, destruction des ressources, exploitation des salariés, arrangements fiscaux… Les représentants et élus qui se pavanent avec l’équivalant d’un SMIC pour leur chemise oseront encore verser des larmes de crocodile là-dessus, c’est ça le vrai scandale. Quant aux autres boîtes, elles participent toutes à leur échelle à ce système de consommation infâme. Et puis, on ne rentre pas dans un nouveau monde sans effraction... »

Une carte postale sous les lacrymos

Les effectifs policiers, restés en retrait, tentent alors de reprendre le contrôle à partir de la place de la Libération. Plusieurs tables de « cafés chics » sont renversées, mais quelques gilets-jaunes interviennent et se placent en protection du reste de la terrasse. Reprise de la marche rue Lamonnoye, pour aboutir aux boyaux ténus du vieux centre. Aux abords de l’église Notre-Dame à 15h, le clap de fin retentit par l’arrosage étouffant aux lacrymogènes dont des dizaines de palets jonchent rapidement le sol. Dans ce chaos, la dispersion s’amorce par petits groupes disséminés dans tout le cœur de ville.

Une scène captée par le blogueur bisontin Alex, du Compost, illustre davantage qu'un détail sans gravité : une grenade termine sa course au sein même d’un appartement, au-dessus de « Maison d’être » rue Verrerie. C'est dans des conditions proches que Zineb Redouane a été mortellement blessée chez elle à Marseille... Les participants dépourvus de protections et les malheureux qui se sont hasardés ont sévèrement encaissé. Si les autorités déplorent seulement une hospitalisation suite à ces inhalations, les effets sont bien plus fâcheux.

Les cartouches utilisées tranchent en effet avec les anciens stocks périmés, celles de ce samedi se révélant plus corrosives d’après un CRS confirmant en « off » l’apport de munitions récentes. Une efficacité couplée à des doses vaporisées dans la démesure qui ont mis à terre les personnes se trouvant là, riverains et gens de passage comme gilets jaunes. Geoffrey, la vingtaine, street-médic de la capitale comtoise, à fait plusieurs points « chauds » en France. Il dépeint la situation : « ce fut clairement plus intense que d’habitude. Beaucoup de gens peu préparés ou tout à fait extérieurs au mouvement ont méchamment dégusté. Les prises en charge bénévoles ont été décuplées ».

Pourquoi un tel épilogue ? Les effectifs policiers, débordés à République et dépassés par la fulgurance du défilé, étaient en incapacité d’intervenir avant 15h. Le temps de consolider les troupes et la stratégie, le macadam était presque abandonné. Lors de l’assaut, au moins deux fonctionnaires ont été blessés dans des affrontements, par un jet de parpaing et de mortier d’après les autorités. La plupart des treize interpellations ont été effectuées à ce moment là, pour des « atteintes aux biens ou aux personnes, une dissimulation du visage, ou leur seule présence ».

Après quelques clashs sporadiques à Liberté et Rude jusqu’à 15h30, un retour au centre se profile place Bareuzai.

Bareuzai, place (à) d’une violence aveugle

Vers 16h, environ 300 gilets jaunes s'y retrouvent, venant dés le début de l’après-midi ou plus tardivement lors de la dislocation. Les forces mobiles surtout constituées de CRS les rejoignent et bouclent presque totalement le Dijon historique. Il est ordonné de repousser tout le monde sans distinction ni ménagement jusqu’à place Darcy. Un basculement va alors s’opérer, les forces de l’ordre se livrant à des violences explicites. Après un premier lancé de lacrymos au milieu de clients attablés et de bambins jouant près du carrousel, les protestataires débonnaires comprennent qu’ils vont subir une expulsion mouvementée.

Le quotidien local Le Bien public publie sur son site le témoignage de Patricia : « c’était pacifique on a vu des infirmières qui faisaient signer des pétitions aux gens pour le maintien des urgences. Et puis, il y a eu l’intervention des forces de l’ordre. Nous avons dû emmener ma petite-fille de 16 ans qui est asthmatique aux urgences. Tout le centre-ville était sous les gaz, il y avait des gens avec des enfants. Je suis sous le choc et furieuse » (voir ici). Une intervention à la limite de la frénésie vengeresse décriée par tous les activistes et badauds croisés, oscillant entre dégoût et radicalisation. « Pour nous c’est la démonstration que les black-bloc sont dans le vrai », décoche au débotté un couple de retraités.

« Toute personne cherchant à simplement discuter ou considérée pas assez rapide dans l’exécution des ordres donnés a été bousculée, molestée ou gazée parfois à bout portant », explique Alex du Compost. Un sit-in s’improvise, générant une pluie de coups de pied sur des individus à même le sol, bombe à poivre arrosée sur le visage, insultes et menaces à profusion. Manifestants, street-médics, et même médias, en prennent alors pour leur grade. Par exemple, une scène, filmée en continu par Factuel.info mais non-diffusée, montre sans équivoque un agent saisissant une femme pour l’éjecter un peu plus loin.

Un ami à elle tente alors de réclamer plus de diplomatie à l’intervenant qui réagit en fonçant sur le requérant, approchant sa tête casquée contre la sienne et hurlant sur un ton hagard : « quoi, qu’est-ce qu’il y’a », avant de lui assener des coups. Ses collègues interviennent en déversant spray et tonfa à l’entourage, s’acharnant sur un homme seul venu mains levées pour aider un vieillard sonné qui a trébuché lourdement sur du mobilier anti-SDF. Un journaliste d’Infos-Dijon.com, rare média « mainstream » présent, visiblement heurté, est même intervenu pour essayer de ramener les « gardiens de la paix » à la raison. En vain.

« Mange-merde », « cassos » et autres « pouilleux »

Les lacrymos M.P.7 reprennent alors, embrumant une énième fois ce large espace. Dans ce brouhaha, J.C., un reporter indépendant de Besançon se fait arracher son unique protection. Il raconte : « je reculais tranquillement, après avoir photographié les nuages qui s’approchaient. Jusque là je n’avais pas eu de soucis, et j’ai pu travailler y compris près des cordons. Mais d’un coup, une main gantée m’arrache brutalement mon seul petit masque en papier, absolument nécessaire pour tenir. C’était un CRS J’ai protesté en déclinant mon activité, on ne m’a même pas écouté ». Un autonome a pu lui offrir un substitut, sans quoi il aurait dû quitter le quartier.

Une lente remontée se met en place de la rue de la Liberté jusqu’à Darcy, atteinte vers 16h45. Un individu seul aurait alors crié « suicidez-vous » à ce niveau, « incident » largement diffusé par la préfecture. Après un temps passé là, la centaine d’irréductibles est à nouveau déplacée. A Saint Bernard et devant le siège de région, les lacrymos engagent à poursuivre la route, jusqu’à ce qu’un statut-quo fragile se dessine peu avant 17h30.

Billy Fumey, compositeur-interprète notoire originaire de Salins-les-Bains, était là, comme souvent sur le bitume, avec sa sœur. Lui aussi a constaté une gestion calamiteuse du maintien de l’ordre et une logorrhée inadmissible. « On s'est retrouvé esseulé au coin de la rue d'Aulny après une première salve place Saint-Bernard qui a bien piqué les yeux. Le temps que j'aide ma sœur en difficulté, les Brigades anti-criminalité (BAC) ont débarqué, nous sommant d'avancer dans un coin saturé de gaz ». La jeune femme s'oppose alors à cette « demande inconsciente et criminelle » vu le risque sanitaire encouru, avec pour réponse de « tout de suite fermer sa gueule et d’obtempérer. » William, quarantenaire fougueux et street-médic de Besançon, abonde. « J’ai été mis hors de moi. La BAC est allée jusqu’à bousculer un homme en béquille pour qu’il évacue dans la direction voulue. C’est une honte ».

Le confrère J.C. et sa binôme Alicia, qui viennent d’arriver sur République où sont conduits les derniers participants, sont repérés. Il leur a été demandé « une carte professionnelle » sans quoi « ils risquaient d’être arrêtés ». L'auteur de ces lignes intervient, en arguant d’un travail en pool et invoquant la liberté de presse. Après vérification d’identité, tous sont « relâchés ». Malgré l’accalmie, les confrontations ne vont pas s’arrêter là. Bien que la foule à gérer en est réduite à quelques personnes passives, Alex du Compost documente de multiples dérapages verbaux. « Mange-merde », « cassos », « pouilleux », sont dégainés sans la moindre provocation.

Alors qu’une jeune gilet jaune déclare à un des agents que ce comportement peut conduire à des tensions amenant à la mort, comme les bruits venant de Montpellier l’insinuaient à propos d’un street-médic, son interlocuteur s’époumone : « tant mieux, qu’il crève ». De simples piétons sont également éconduits de manière ferme, provoquant le mécontentement d’un couple de touristes. Le journaliste David Dufresne, connu pour son implication à ce sujet, relaiera la vidéo. Après une ultime ligne d’exclusion au-delà de la rue Garibaldi, les choses se calment définitivement à partir de 18h15 avec un retrait progressif du dispositif.

Le spectre anarchiste ressuscité ?

À un an des prochaines élections municipales, les réactions politiques alarmistes se sont succédées quant au bilan. François Rebsamen, le maire, a dénoncé « la prise en otage de la ville par une manifestation de gilets jaunes où des casseurs se sont livrés à des actes de violence absolument inadmissibles » (voir le Bien public ici) Nathalie Koenders, première adjointe, déclare aussi « condamner les violences qui ont eu lieu » et précise que « depuis trente semaines les habitants et commerçants de Dijon subissent ces exactions » tout en adressant son « soutien aux forces de l’ordre, services de secours, et agents municipaux, qui agissent avec professionnalisme ».

L’opposition n’est évidemment pas en reste, Laurent Bourguignat, de « Dijon ensemble », désignant « une violence qui fait ressurgir des souvenirs douloureux. De la razzia dans le centre-ville en novembre 2014, après l’affaire du barrage de Sivens, à l’opposition à la loi travail en mars 2016 qui a donné lieu à des affrontements, notre ville est régulièrement la cible des anarchistes. Les black-blocs bénéficient de relais locaux dans les espaces autogérés, ce qui explique leur présence régulière. C’est bien pourquoi nous sommes en totale opposition avec l’aménagement et la mise à disposition aux frais du contribuable d’un local municipal aux squatteurs des Tanneries ».

Emmanuel Bichot, « d’Agir pour Dijon », demande l’interdiction des manifestations, et se joint pleinement aux déclarations précédentes « en raison du soutien revendiqué de cette association aux causes et aux actions de la mouvance anarchiste. » Pas sûr que la nuance entre libertaires, terme enveloppant une palette étendue des pacifistes aux autonomes en passant par les sans-adjectifs ou les situationnistes, et le black-bloc, tactique éphémère d’action directe qui concentre des individus et tendances extrêmement divers, ne soient des observations suffisantes pour la majorité des représentants cités. Vers un retour des lois scélérates et d’un procès des Trente ?

Alors que le président Emmanuel Macron a lui même esquissé un mea-culpa « sur la méthode » concernant la crise débutée en novembre, beaucoup de décisionnaires ne semblent pas prêts à remettre en cause un système de plus en plus défaillant qui leur échappe. Avec des samedis qui se suivent et des marches pour le climat qui font le plein, devant le désespoir à Général Electric Belfort ou pour l’hôpital public à Lons-le-Saunier, jusqu’à quand la dénégation, le tout sécuritaire, et la fabrication de coupables idéaux, pourront-elles persister face à la réalité ? À Dijon, samedi 8 juin fut une journée éclairante, surtout sur le chemin d’une prochaine aube bien ombrageuse.

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