Un cheminot retraité et un étudiant préparant le CAPES d'histoire sont depuis quelques jours le secrétaire départemental du PCF du Doubs et le secrétaire de la section de Besançon. Guy Lazar a ainsi succédé à Thibaut Bize et Hasni Alem à Florian Gulli. Pour les communistes locaux, qui avaient largement accordé leur préférence pour le texte Pour un manifeste du PC du 21e siècle (42%, en tête devant le texte de la direction sortante), c'est une forme de continuité d'orientation.
A mots couverts avant le congrès d'octobre dernier, plusieurs militants bisontins en vue nous indiquaient souhaiter un changement de direction nationale. C'est aujourd'hui chose faite avec le remplacement de Pierre Laurent par le député du Nord Fabien Roussel. Ce faisant, on ne s'étonnera pas de constater que les communistes du Doubs sont soulagés de la confirmation de la prise de distance de leur parti avec la France insoumise. Ils avaient ardemment participé à la campagne de Mélenchon en 2012, ils ont fait service minimum pour celle de 2017...
Nous voilà donc dans le local de la fédération du Doubs, un petit rez-de-chaussée du quartier populaire des Orchamps à Besançon pour rencontrer les nouveaux animateurs. Ils ne sont pas seuls dans la petite salle de réunion. Une étudiante en histoire, non adhérente au parti, est plongée dans les archives – essentiellement des tracs et des bulletins – pour un travail universitaire. Il y a là Gérard Monnier, infatigable militant de base. Plus tard, l'ancienne adjointe à la solidarité internationale au maire de Besançon, Solange Joly, passera pour travailler avec une camarade dans la pièce voisine.
Première bataille contre la réforme Haby
Souriant barbu, Guy Lazar décline son CV de militant : « 60 ans, retraité SNCF, électricien dans des postes à haute tension transformant le courant alternatif de 63.000 volts en courant continu de 1500 volts... » Il adhère au PCF en 1976 pour contribuer à la popularisation de la lutte pour la libération de Nelson Mandela. Alors élève du CET Montjoux de Besançon, qui deviendra lycée professionnel lors du passage de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l'Éducation nationale, il se bat « contre la réforme Haby ».
Son adhésion communiste semble inséparable de son engagement à la CGT, deux ans plus tard, quand il entre à la SNCF. Il aura des responsabilités syndicales importantes : « j'ai été plus ou moins permanent, selon les mandats. J'ai été délégué du personnel, membre du CE, élu prud'hommes, défenseur des salariés, secrétaire de syndicat... » Il sera ainsi secrétaire de l'union locale de Mâcon, puis responsable du syndicat des cheminots à Dijon...
On l'interroge sur la double appartenance CGT-PCF qui fait tant jaser, voire fantasmer. Il sourit, comme souvent : « Quand on est dans une réunion CGT, on parle CGT. Quand on est dans une réunion PC, on parle PC... Il n'y a pas de lien de nature, mais de convergence de lutte... Ce sont des chemins parallèles, comme on a pu le voir dans les luttes anti-coloniales sur l'Afrique du Sud ou le Vietnam... »
1981 : « une bouffée d'oxygène
pour le mouvement social »
Quels débats internes l'ont marqué ? Il répond sans hésiter : « j'ai connu deux grands débats. Le premier en 1981, pour savoir s'il fallait ou non rentrer dans le gouvernement. Il y a eu quatre ministres communistes et des choses intéressantes ont été faites : des lignes SNCF ont été rouvertes, l'économie française a été boostée... Pendant un temps, ce gouvernement est parti des besoins des gens... »
Et quelle était la teneur des débats ? « Des minoritaires ne voulaient pas de ministres PC… Ils sont restés au parti. Il y a eu plus de soucis quand les ministres sont partis du gouvernement, certains voulaient qu'on reste... 1981 a représenté un grand espoir. C'était la première fois depuis la guerre qu'il y avait des ministres communistes. Il y a eu la 5e semaine de congés payés, les 39 heures, des droits syndicaux nouveaux... Ça a été une bouffée d'oxygène pour le mouvement social. Puis il y a eu une pause dans les réformes, décidée par Mauroy. Le parti n'en voulait pas, mais les salariés avaient la trouille du retour de la droite, ils ont été d'accord pour cette pause. Par exemple, les cheminots n'ont pas voulu faire grève contre le gouvernement... »
Le second grand débat dont se souvient Guy Lazar portait sur le référendum sur le traité de Maastricht : « il y avait une pression terrible. On nous expliquait que ceux qui étaient pour le non étaient contre l'Europe... » A l'époque, le PCF défendait le non, le oui l'emporta de justesse (51%)... et nombreux furent ceux qui regrettèrent plus tard d'avoir voté oui, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon.
Guy Lazar allait passer aux débats ayant justement présidé à la création du Front de gauche et à son existence chaotique après que Mélenchon eut quitté le PS en 2008. Mais on lui demande comment il a vécu la crise qui secoua la fédération PCF du Doubs qui, après avoir refusé de voter le texte d'orientation du 26e Congrès, fut dissoute puis mise sous tutelle par le comité central en 1988. « Je n'étais pas dans la fédération du Doubs », dit-il, suggérant avec une once d'humour : « ça aide ». Hasni Alem ajoute : « je n'étais pas né... »
« On sentait que le Parti de gauche avait une vision hégémonique de la gauche... »
Parlait-on de cela dans la fédération de Saône-et-Loire ? Guy Lazar poursuit : « J'étais davantage syndicaliste que politique à cette époque... Je savais qu'il y avait des tendances dans le parti pour davantage d'ouverture... On avait changé les mots, renoncé à dictature du prolétariat... Je sais que ça a été violent dans le Doubs, on sent encore la vague... Tous ceux qui ont quitté le PC à cette époque se sont retrouvés dans le mouvement, certains sont revenus dans le Front de gauche, la plupart sont restés fidèles aux idées communistes... » (Sur le sujet, cet article de Mina Kaci, dans L'Humanité, pose le contexte.)
Revoilà la Front de gauche, à qui le dernier congrès a réglé son compte : « Nous avons tiré le bilan de cette période, de ce que certains ont appelé l'effacement, quand nous avons mis Jean-Luc Mélenchon en tête... Dans le Doubs, on a eu un débat vif, fraternel et rassembleur. La majorité des communistes bisontins ne voulaient pas de Mélenchon candidat, mais on a quand même fait campagne... » Notre moue le fait préciser : « en 2012, on a fait campagne. Ça a basculé ensuite car Mélenchon n'était pas si unitaire que ça. On sentait que le Parti de gauche avait une vision hégémonique de la gauche, ça s'est confirmé aux législatives. On a tout essayé, proposé une circonscription pour chacun, mais ça n'a pas marché. Résultat : deux députés de droite à Besançon... »
Hasni Alem opine : « Il n'y a pas eu de négociation.... On aurait pu avoir plus de 70 circonscriptions avec une présence LFI-PCF au second tour... » Pour Guy Lazar, le leader insoumis a « raté sa sortie au soir du premier tour de la présidentielle. Il aurait pu dire : je suis candidat de la gauche, mettons nous au travail pour une Assemblée nationale de gauche... »
« Il y a une jeune garde, une avant garde, un collectif qui vit bien... »
Hasni Alem et Guy Lazar sont davantage qu'un duo : « on a mis en place un collectif où les jeunes sont en doublon avec d'autres, le temps qu'ils acquièrent de l'expérience.. On a la chance d'avoir des jeunes dans le Doubs, une fourmilière, un creuset... » Gérard Monnier, qui écoute attentivement, complète : « une réserve... »
Leur feuille de route est balisée, comme pour les autres formations politiques, par les élections européenne (mai 2019) et municipales (mars 2020). « On va mettre en avant des jeunes pour ce travail, c'est dans l'action qu'on se forme le mieux », assure Guy Lazar en citant un troisième larron : Mathieu Guynebert, étudiant à Besançon et nouveau secrétaire départemental adjoint. « D'ici trois ans, ils seront autonomes... Ils seront aussi encadré par Thibaut Bize, Christophe Lime, Gérard Monnier, Evelyne Ternant, Florian Gulli... Il y a une jeune garde, une avant garde, un collectif qui vit bien... »
Hasni Alem est un bon élève : « On apprend, heureusement qu'ils sont là pour nous accompagner, par exemple sur des questions administratives simples : comment louer une salle, gérer une trésorerie... On est aussi le seul parti à coller des affiches hors échéances électorales ». On pourrait cependant nuancer cette dernière affirmation...
« On est en capacité de recréer un espace à gauche sur Besançon»
Comment voient-ils le caractère explosif de la situation sociale alors que les partis de gauche rament ? Guy Lazar en convient : « 87% d'abstention à la législative d'Evry, c'est énorme, le dégagisme est au bout, mais il ne rassemble pas. Nous devons repartir à la conquête des citoyens, distribuer des tracts, redonner envie de faire de la politique... C'est long, mais on n'a pas le choix... Malgré l'URSS, les jeunes de 1981 ne sont pas les mêmes que ceux d'aujourd'hui... »
On fait remarquer que le PCF fit 15% à la présidentielle cette année-là. Guy Lazar a une explication : « C'était sur les bases de la guerre et de mai 68... Maintenant, on est en capacité de recréer un espace à gauche sur Besançon, dans une volonté de rassemblement ». Hasni Alem veut croire à l'efficacité des actions telles que la vente militante directe de fruits et légumes ou le tournoi de foot en solidarité avec la Palestine qui « créent des liens politiques entre les gens ».
Pour les élections municipales à Besançon, les communistes sont en phase avec la démarche entreprise par l'association EDGE : « Nous jouerons tout notre rôle », dit Guy Lazar, « la question de la tête de liste n'est pas importante pour l'instant, il faut d'abord travailler sur le contenu ». Il ne fait pas tout un plat de l'écueil de la personnalisation : « dans ceux qui comptent dans la vraie gauche, des gens sont connus, on n'est pas en sous-effectif au niveau candidatures... » On cite Christophe Lime ou Anne Vignot, il ajoute « et aussi Barbara Romagnan... »
Mais tout cela lui paraît prématuré : « il faut d'abord un rapport de forces, que les gens se ressaisissent lors des élections européennes. Et avant de parler municipales, il y a des combats sociaux à mener, qui sont là : gilets jaunes, retraites par points de Macron, Sécu... Il faudra participer aux ateliers d'EDGE, des candidats viendront peut-être de là. On est loin de se positionner sur une tête de liste. Notre souci, c'est que la ville reste à gauche, ou retourne à gauche. Que les Bisontins se ressaisissent de la politique... »